Le vieux papy

Le premier cheval que Gaëlle monte n'a pas l'air très en forme : « C'est un vieux papy », explique la monitrice, « il n'est pas content parce qu'on le fait travailler. » Gaëlle doit faire un tour de piste au pas. Alors que ma fille se trouve avec son cheval au fond du terrain, la monitrice se met tout à coup à courir en criant : « Ha non, ha non ! Il gratte le sol ! Il va se coucher ! » Et en effet, le cheval se couche, malgré que Gaëlle soit assise dessus. Par la suite, vu que le cheval frappe le sol du pied antérieur droit et veut tout le temps se coucher, on le ramène à son box et Gaëlle monte une ponette du nom de Chippie. À nouveau, elle doit faire un tour de piste au pas, mais très vite Chippie s'emballe et se met à courir au galop ! Gaëlle hurle et finit par tomber par terre dans le sable, l'animal continuant sa course tout seul. Elle pleure, mais la monitrice la réconforte : « Tu sais, les chutes, ça arrive à tout le monde, ce n'est pas grave ! », avant de se tourner vers nous : « Les chevaux sont très excités pour l'instant. C'est sans doute parce qu'il fait froid et qu'ils ont envie de se dépenser. » — Évidemment, je ne crois pas un traître mot de son discours : je sais parfaitement qu'elle participe à un complot mondial visant à cacher la vérité, la vraie vérité vraie. On ne me la fait pas, à moi : si les animaux sont agités, c'est avant tout parce que ces derniers temps, des lumières étranges balaient le ciel la nuit et parce que dernièrement, à intervalles réguliers, des vaches et des chevaux ont été retrouvés morts, atrocement mutilés, dans les champs alentour. Les sectoïdes ont commencé leur moisson décennale et rien ne pourra les arrêter.

Mauvaise idée que d'aller dans un zoning commercial en voiture un jour de Saint-Nicolas. Ma mère se plaint : « Ça va être l'enfer pour sortir de cet endroit ! » — Ils devraient presque ajouter une pancarte au seuil de la zone : « Vous qui entrez dans ce temple de la consommation, abandonnez toute espérance ! »

J'ai souvent dit que le prologue de Sans Soleil de Chris Marker était pour moi une des plus belles accroches de l'histoire du cinéma. Ces trente secondes, seulement ponctuées de quelques images et de quelques mots, donnent en quelque sorte le sommaire de ce que nous allons voir dans le reste du documentaire : des liens inédits, des ponts audacieux... Si on n'est pas touché pas ces trente premières secondes, on n'aimera pas la suite.

Dans un tout autre monde, celui du dessin animé pour adultes, on ne pourra qu'être marqué (ou bien ne pas l'être du tout) par les toutes premières secondes du premier épisode de Rick and Morty. Quand j'ai vu cette formidable accroche pour la première fois, j'ai compris que cette série risquait d'être extraordinaire. Et elle l'est, effectivement. Roiland et Harmon ne passent pas des heures à mettre lentement en place les personnages, non, non : ils nous obligent à prendre le train en marche sans plus d'éclaircissements, suivant ainsi une des sacro-saintes règles du récit de science-fiction, qui est de plonger sans expliquer. En une minute à peine, on a donc compris de quoi ça parle : d'un scientifique (génial, narcissique, mégalomane et alcoolique) et de son petit-fils légèrement limité du bulbe (en)traîné malgré lui dans l'aventure.

Gaëlle regarde La Reine des neiges à la télévision ce soir, un long métrage d'animation qu'elle a déjà vu au cinéma et qu'elle a adoré. Chansons interminables et bons sentiments gnangnan se succèdent à un rythme soutenu : c'est une horreur ! Et il faut toujours qu'il y ait cette panoplie complète de personnages formatés, un peu comme si les grands studios d'animation gardaient en stock une dizaine de fiches de personnalités-types qui font mouche à chaque fois : le brave idiot de service (ici, un bonhomme de neige ; ailleurs Scrat l'écureuil ou Jar Jar Binks), la princesse gaffeuse, le faux gentil qui dissimule son jeu machiavélique, le héros solitaire, etc. Il y a tout au long de ce film de grands moments épiques ratés : par exemple, cet instant où la princesse Anna se transforme en statue de glace pour sauver sa sœur aînée Elsa d'un coup d'épée meurtrier. L'histoire aurait gagné en grandeur si la fin avait été tragique : transformée en statue de glace pour l'éternité, Anna serait restée un symbole de bravoure, montrant le prix élevé qu'il faut parfois payer pour faire triompher le bien (du moins ce que l'on considère comme étant le bien) ou faire passer un idéal. Une fin de cette trempe aurait exprimé tout autre chose : qu'il existe dans la vie des points de non-retour. — Mais non, elle dégèle et tout rentre très vite dans l'ordre ! Quelle erreur, mais quelle erreur !

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