« Tu dors ? »

En début de soirée, je rentre chez mes parents en empruntant la "dorsale wallonne" (la ligne de train qui relie Liège, Namur, Charleroi, Mons, Tournai, etc.). Entre Liège et Huy, sur la banquette située directement à ma gauche, deux jeunes hommes — je leur donne 25 ans — parlent d'amour, si je puis dire... (Cette discussion a été retranscrite en très léger différé.)

« (...) Le naturel, quoi, le na-tu-rel, mec !
Ouais, moi aussi je suis comme ça. La simplicité, c'est important...
— La simplicité, voilà ! La simplicité ! Nan, mais j'te jure : y a des femmes qui passent leur vie à se maquiller...
Ouais. Tu la ramènes chez toi, tu couches avec elle et le lendemain, tu te demandes qui c'est !
Hahaha ! Tu baises une bombe et le lendemain, sans maquillage, tu te rends compte que c'est un thon.
"Mais qui êtes-vous Mademoiselle ?" Haha !
— "Je suis désolé mais c'était juste pour un soir, hein... Je croyais que vous le saviez !" Hahaha !
— Mais bon... Sérieusement. Y a pas que le physique qui compte.
— Non, c'est vrai, y a pas que le physique, y a pas que le physique...
Moi, j'aime bien tout. Mais je suis plus dans les métisses. J'aime les blacks, mais... 
Moi, j'aimerais bien trouver une black, comme ça je ferais de petits métisses... Moi, je suis pour le métissage, tu vois...
Ha oui ? C'est bien, ça. C'est bien. »
Plus tard, alors que le train continue sa course entre Namur et Tamines, une famille s'installe. Une petite fille d'environ quatre ans s'assied sur la banquette en face de moi pour colorier un cahier à dessins. Elle est maquillée. Sur son front, en rouge délavé, le mot "TSUNAMI" et au-dessus de son nez, séparant le "TSU" du "NAMI", un point d'interrogation vert. Elle est accompagnée d'une adolescente boulotte et d'une femme plus âgée (fin de trentaine ?) qui, si j'ai bien compris, est sa marraine et travaille dans le monde de l'équitation.
Je suis fatigué à cause de la nuit dernière et du boulot. Je m'endors donc à moitié et ferme les yeux. J'entends la petite fille en face de moi poser une question :
« Tu dors ? 
Laisse le Monsieur tranquille, lance la marraine.
Non, non, je ne dors pas, dis-je les yeux fermés.
Mais pourquoi tu fermes les yeux alors ?
(J'ouvre les yeux et la regarde) Parce que je fais l'inverse des autres personnes. Quand je ferme les yeux, je suis réveillé. Et quand je les ouvre, je dors. Là, par exemple, je dors.
T'es fou !
Oui, sans doute. »
(J'ai failli lui demander si elle était certaine qu'elle était éveillée et si elle ne pouvait pas concevoir que c'était elle-même qui dormait en ce moment, mais je me suis retenu : je ne veux pas être à l'origine de futurs cauchemars idéalistes.)
Plus tard, la même petite fille :   
« Tu as une amoureuse ?
— Non.
Non ?
Non.
Et tu as des enfants ?
Oui, j'ai une petite fille un peu plus âgée que toi.
Tu as un enfant mais pas d'amoureuse ?
Oui, tu as tout compris.
Pourquoi tu n'as pas d'amoureuse ?
(Le train arrive à destination, je reprends ma valise et mon sac.)
Je ne sais pas, mais si tu as une idée concernant la raison, je suis preneur ! »
(Rire de quelques personnes dans le wagon... La petite fille, quant à elle, reste de marbre.)

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