Ô Mal-Aimé !

J'ai de plus en plus de mal à me lever le matin, avec ces soirées qui se terminent tard et ces absorptions massives de bières comme si c'était de l'eau pétillante.  Mais où est donc passée ma promesse faite à moi-même de boire moins ? Je me dis qu'il faut soit que j'arrête complètement, soit que je continue complètement ; en d'autres termes qu'un juste milieu n'est hélas pas compatible avec ma personnalité. Ce matin, j'ai un peu la tête qui tourne, et cela va hélas s'aggraver durant la journée, avec un point culminant au restaurant le soir (voir plus loin). Autre constat : durant les vacances avec la "dream team", il est presque impossible d'être tout le monde heureux en même temps. Alors que Léandra a l'air (curieusement) assez en forme aujourd'hui (elle chantonne fréquemment et a envie de se promener plutôt que de rester devant son PC : c'est déjà un fameux signe), Emily semble totalement désemparée, comme lors de ce fameux dimanche à Paris, en février de cette année.
En début d'après-midi, Léandra, Emily et moi allons faire un tour au Tunnel du Monty, que j'ai déjà traversé hier durant ma petite promenade à vélo. Le tunnel est toujours aussi glauque. Léandra sursaute et agrippe, à la manière d'un petit enfant, la main d'Emily lorsqu'un cycliste arrive par derrière. Sinon, Léandra est en forme durant le trajet (malgré mon mal de tête, ça me met de bonne humeur). En plein milieu du tunnel, elle photographie un pénis vert fluo. Rectification : elle photographie un graffiti représentant un pénis vert fluo dessiné sur le mur du tunnel (le tunnel est glauque mais pas au point de grouiller de zombies mutants exhibitionnistes). Vu qu'il pleut, on fait demi-tour un peu plus loin et on rentre au gîte.
Plus tard dans l'après-midi, on se rend tous à la brasserie de Bellevaux, un établissement perdu au milieu de la campagne malmédienne qui vient d'ouvrir en 2006. La brasserie est tenue par un Néerlandais et remplie de vieux Flamands (qui ne sont heureusement pas en short : voilà au moins un avantage du mauvais temps). Andrew et moi décidons de goûter les trois bières de la brasserie sous forme de petits verres à dégustation. Je n'aime pas trop le goût de la brune, encore moins celui de la blonde, mais j'apprécie celui de la blanche (qui ressemble un peu à un lambic blanc).
À la sortie de la brasserie, j'ai la tête engourdie. J'ai du mal à coordonner mes mouvements (rien à voir avec l'alcool), y compris mes foulées. Je prends sur moi pour que ça ne se voit pas et ne pas embêter les autres avec ça. Nous allons nous promener dans les champs aux alentours de la brasserie. Andrew et Léandra sont en super-forme, dirait-on. Andrew s'amuse à nous photographier en nous mettant en scène au tournant d'une petite route de campagne. Léandra fait tout pour faire sourire Emily (je trouve ça vraiment mignon de sa part). Elles font un bouquet de fleurs des champs. Andrew tombe en admiration devant des vaches. Il les photographie, leur donne un prénom, leur fait des grands signes à plusieurs reprises. Nous sommes tous dans un état d'esprit bucolique, un peu comme si nous étions les acteurs d'une peinture pastorale de la Renaissance vantant les mérites du retour à la nature (je n'ai pas un tableau précis en tête). Seule "ombre" au tableau : le viaduc de l'autoroute que l'on voit au loin (personnellement, je trouve qu'il a de la gueule, ainsi perché dans les collines boisées, mais, comme dirait Andrew, "c'est pas Millau, quand même"). [Digression temporelle : lors de l'écriture de ce compte rendu du 23 juillet dans ce journal, un jour plus tard, en un dimanche maussade, je trouve exactement à quoi cette scène de bergers me fait penser, sur le plan musical cette fois : la superbe "Find The River" de R.EM. Et voilà maintenant que je mets cette chanson en boucle et que je chiale comme une Madeleine en réécoutant attentivement les paroles, sur le temps qui passe mais aussi sur autre chose : le souvenir nostalgique des jeux d'enfant, des rivières, de l'insouciance oubliée, de ces longs moments de bonheur estival débordant de vie où rienn'avait vraiment d'importance : "Me, my thoughts are flower strewn, ocean storm, bayberry moon. I have got to leave to find my way. Watch the road and memorize this life that pass before my eyes. Nothing is going my way." Qu'est-ce que c'est beau. Tiens, quand j'y pense, c'est dingue que j'utilise ici l'expression "pleurer comme une Madeleine", parce que toute cette digression fait également un peu penser à la Madeleine de Proust, évidemment. J'ai le cerveau sinueux aujourd'hui.]
De retour à Stavelot, nous nous rendons dans un restaurant de cuisine du terroir, à deux pas du gîte, pour notre dernière soirée avant ce dimanche, déprimant d'avance, de retour vers la capitale. Le restaurant s'appelle "Ô Mal-Aimé" (en référence à Apollinaire, qui a séjourné à Stavelot, mais peut-être aussi un peu en référence à certains d'entre nous ?). L'ambiance de ce resto possède des points communs avec celle de "La Fleur en papier doré" à Bruxelles, surtout à cause des poèmes et des calligrammes qui recouvrent les murs, les serviettes, les sets de table… Le fond musical est composé de chanteurs francophones "à texte" (Renaud, Brassens, Brel...). Léandra est toute contente d'entendre (et de parler de) la "Supplique pour être enterré à la plage de Sète" de Brassens (c'est vrai qu'elle est incroyablement bien écrite, cette chanson, et qu'elle possède la particularité de ne contenir aucun refrain). Les murs des toilettes sont recouverts de dessins érotiques, voire pornographiques (c'est original). Nous avons par ailleurs la (mal)chance d'être proches d'un groupe de vieux habitués qui n'arrêtent pas de débiter des stéréotypes, sur Renaud ("il chante faux" : bon OK, c'est un peu vrai) ou sur le rôle de la Police. Quant à la nourriture, c'est délicieux (menu unique à 25 euros proposant un choix parmi 3 entrées, 3 plats et 3 desserts). Je mange un pâté, une araignée de bœuf ainsi que de la nougatine en dessert. Et je bois de l'Orval, comme d'habitude.

De retour au gîte, je propose de jouer au Time's Up, un jeu de société sympa où il faut faire deviner à son coéquipier des personnages célèbres de différentes façons (d'abord en les décrivant, puis avec un mot, puis enfin avec un mime). Je propose ce jeu parce que je crève de mal à la tête et que ça va me remettre d'aplomb (du moins c'est ce que je me dis), mais aussi sans aucun doute car j'essaye de retarder le plus loin possible mon sommeil (signification pour moi de la fin des vacances). Au tirage au sort, Andrew et moi faisons équipe. Andrew est une machine de guerre mémorielle qui trouve très rapidement les personnages. On finit donc par gagner la partie, malgré le fait que je ne suis pas en forme (je n'arrive pas à revenir sur le nom de Django Reinhardt ni sur celui du Comte de Monte-Christo).
Le jeu terminé, Léandra va dormir. On termine la nuit en regardant "The Big Fish" de Tim Burton. Andrew monte rapidement se coucher. Emily et moi regardons le film jusqu'au bout (je m'endors néanmoins à plusieurs reprises). Comme à chaque fois (c'est la quatrième fois que je visionne ce film), je fonds en larmes à la fin (cette fois-ci, contrairement à hier, je crois que ça ne s'est pas vu), lorsqu'à l'enterrement du "père-conteur", on se rend compte que toute une série de personnages que l'on croyait le fruit d'une simple imagination fertile "existent" réellement. Décidément, je pleurniche quand même beaucoup pour le moment.

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