« Trois choses me servent de réconfort, mais de trop rare réconfort : mon Schopenhauer, la musique de Schumann, enfin les promenades solitaires. Hier le ciel laissait présager un orage de première grandeur, je gravis en toute hâte un sommet voisin, qu'on appelle le "Leusch" (tu pourras peut-être m'expliquer le sens de cette nomination), trouvai là-haut une hutte, un homme en train d'abattre deux chevreaux, et son garçon. L'orage éclata sur le mode le plus violent, avec tempête de grêle, j'éprouvai une incomparable exaltation et saisis à quel point nous ne comprenons bien la nature que lorsque nos soucis et nos tracas nous contraignent à trouver refuge auprès d'elle. Qu'était-ce alors pour moi que l'être humain et son indécise volonté ? Qu'avais-je à faire de l'éternel : "Tu dois", "Tu ne dois pas" ? Comme c'était autre chose, l'éclair, l'ouragan, la grêle, libres forces sans éthique ! Comme elles ont de la chance, comme elles sont puissantes, pur vouloir que ne vient point troubler l'intellect ! »
Archives mensuelles : juin 2013
Hamilton's Holiday
Je suis un être routinier, mais... — Mais il y a un moment où il me faut, en une fois, casser impitoyablement la routine. La tabasser. La rouer de coups. La démolir. L'annihiler. L'incendier. Et il faut que sur les morceaux sanguinolents, sur les chairs tuméfiées, sur les cendres encore fumantes de cette putain d'habitude, naisse quelque chose de frais, de neuf... — Un phénix ou une Turritopsis nutricula, peu importe : quelque chose de frais et de neuf.
J'ai donc décidé, pour la première fois depuis l'existence de ce journal, de prendre des congés ; de faire une pause de quelques mois. Non pas pour arrêter définitivement l'écriture mais pour réfléchir à de nouvelles orientations, quelles qu'elles soient. (J'ai beau avoir une très grande réserve d'oxygène, l'air libre me manque, et tout ce que j'écris pour le moment me paraît beaucoup trop chargé de gaz carbonique.)
Faut-il un mot de la fin ? Non, je n'y arrive pas. Terminons donc, amis, cette session d'écriture de la manière la plus abrupte et la plus normale qui soit : par un point.
« L'aubépine du comte Eberhard »
« Cher Monsieur Engelmann !Merci beaucoup pour votre aimable lettre et pour les livres. Le poème d'Uhland est vraiment magnifique. Il en est ainsi : si on ne cherche pas à exprimer l'inexprimable, alors rien n'est perdu. L'inexprimable est plutôt — inexprimablement — contenu dans l'exprimé ! (...) »
(Extrait d'une lettre de Ludwig Wittgenstein à Paul Engelmann,
9 avril 1917, reproduite dans Ilse Somavilla [dir.] et
François Latraverse [trad.], Ludwig Wittgenstein.
Paul Engelmann. Lettres, rencontres,
souvenirs, 2010, p. 33.)
« Le comte Eberhard le Barbu
du pays de Würtemberg
S'en allait en un pieux voyage
Vers les rivages de Palestine.
Un jour qu'il chevauchait
À travers une fraîche forêt,
Il eut tôt fait de couper
Une verte brindille d'aubépine.
Il la plaça soigneusement
Sur son casque de fer ;
Il l'emporta au combat
Et sur les flots de la mer.
Et de retour chez lui,
Il la planta en terre,
Où bientôt maintes pousses nouvelles
Naquirent au doux printemps.
Le comte, fidèle et bon,
Lui rendait visite chaque année,
Se réjouissant du courage
Avec lequel elle grandissait.
Le seigneur était vieux et las ;
La petite branche était désormais un arbre,
Au pied duquel s'asseyait souvent
Le vieillard dans un rêve profond.
La voûte, haute et large,
Lui rappelle par de doux murmures
L'ancien temps
Et le pays lointain ! »
Antépénultième