« I'm afraid, Dave »

3-1-5. — J'aperçois Elven dans son bureau, qui est la première à m'accueillir : « Tiens, tiens, mais qui est-ce donc ? Ha mais qui voilà ! Mais c'est Hamilton ! » Elle me conduit jusqu'au bureau que Doëlle partage avec l'une de ses collègues. Je dis bonjour à Anouk en passant, aussi. Quant aux deux hommes qui participent à la réunion, je ne leur ai pas encore donné de prénom d'emprunt. Exercice délicat car je sais désormais que ce journal est « le plus vieux roman de la vie » de certaines. Hum... Le premier, je l'appellerais bien Solomon, comme David Elliot Hanneth Solomon, alias « Soda » dans la bande dessinée du même nom... (T'en penses quoi ?) Le second, un prénom composé évidemment, mais lequel ? Luc-Olivier ? (Une demi-heure rien que pour trouver deux surnoms et je n'en suis même pas satisfait !)

Doëlle, Solomon et Luc-Olivier me font découvrir tout le processus de numérisation et de valorisation patrimoniales qui a été mis en place au sein de leur institution. Au troisième étage, Luc-Olivier commence par me montrer la « fin du processus » : ce qui deviendra à terme un portail de valorisation du patrimoine accessible à tous. Au premier étage, Solomon me révèle comment il gère l'archivage des données numérisées depuis son ordinateur. Au cinquième étage enfin, nous visitons le sanctum sanctorum : la salle des serveurs. L'archivage numérique se fait en deux temps : la journée, les nouvelles données sont stockées dans un tampon (une rangée de disques durs) et la nuit, elles sont transférées sur des bandes LTO qui peuvent être connectées et éjectées automatiquement grâce à un bras mécanique... Tout a bien changé depuis 2001 : à cette époque lointaine, l'enlèvement des mémoires de stockage se faisait encore manuellement et il fallait s'équiper d'une combinaison spatiale pour se charger de l'opération.

« I'm afraid. I'm afraid, Dave.
Dave, my mind is going. I can feel it. »

Rien. — Rien, il ne se passe strictement rien durant le reste de la journée. Je travaille chez moi l'après-midi et le soir, je me disperse : je lis mais pas vraiment, je surfe sur le Web mais pas vraiment, je regarde des films mais pas vraiment, je joue mais pas vraiment. Le temps passe et il ne se passe rien. Je finis tout de même par m'endormir, vers deux heures du matin, pour me réveiller à trois, me rendormir à quatre, me réveiller à cinq, etc.

Kraus et Dollfuß. — (Quand je parlais de ceux qui ne se pliaient pas à la moindre bourrasque idéologique, je ne pensais pourtant pas faire de l'ironie...) Mais qu'est-ce qu'il lui a pris, à Karl Kraus, de cautionner, dans les années 1930, le régime dictatorial d'Engelbert Dollfuß, entraînant par cette prise de position pour le moins choquante la déception de nombreux intellectuels et écrivains, comme par exemple Georges Canetti qui lui a envoyé une très belle lettre d'indignation ? Certes, Kraus n'a jamais vraiment été convaincu (ou alors que très partiellement) par la démocratie parlementaire et a eu tout au long de sa vie une série d'opinions que l'on pourrait qualifier de « réactionnaires », mais était-ce une raison pour soutenir l'austrofascisme et ses dérives totalitaires, alors qu'il s'était opposé au même moment et de manière acharnée au national-socialisme ? Dans sa préface à Troisième nuit de Walpurgis, Jacques Bouveresse donne l'explication suivante, qui n'excuse en rien le comportement du satiriste : c'est justement parce que Kraus considérait le national-socialisme comme le mal absolu (« Tout sauf Hitler ») et parce qu'il voulait par-dessus tout empêcher que l'Autriche ne devienne une simple annexe du Reich qu'il a défendu la dictature de Dollfuß : pour lui, seul un régime fort de ce type était capable d'empêcher l'Anschluß et de préserver l'Autriche — sorte de dernier grand bastion de la culture germanique — de l'indicible barbarie nazie. L'histoire lui donnera tort : tout au plus l'austrofascisme (et la relativement bonne entente qu'il a entretenue avec Mussolini) aura-t-il sans doute retardé l'Anschluß de quelques années.

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