Grippé

Antisévérité. — Lorsque j'annonce à Gaëlle qu'elle va retourner dans le giron de sa mère dans deux heures environ, elle perd son sourire : « Deux heures ? Mais c'est beaucoup trop peu ! » Débute alors la ribambelle assez poignante des déclarations de pur désespoir : « Je ne veux pas retourner chez maman ! Ça n'a rien à voir avec la Nintendo DS, tu sais : c'est parce que je ne veux pas te quitter ! » ; « En fait, je crois que je suis un peu amoureuse de toi ! » ; « Ici, je peux faire ce que je veux... Tu es beaucoup moins sévère ! » — Cette dernière déclaration est sans doute particulièrement vraie ; elle s'explique, mais pas seulement, par le fait que je ne garde ma fille qu'en dehors des jours d'école, et qu'il est évidemment plus facile d'être moins sévère sans avoir au-dessus de la tête les sempiternelles contraintes de la semaine. Il y a autre chose néanmoins : Gaëlle a sept ans, elle est intelligente et possède un sens moral très développé ; plus besoin de la cadenasser à l'aide de règles rigides et ridicules, très difficiles à justifier si ce n'est par le mensonge, la malhonnêteté ou la mauvaise foi. Elle veut jouer à un jeu vidéo : pourquoi ne pourrait-elle pas jouer à un jeu vidéo ? Elle a envie d'inventer des histoires de Pokémons dans sa chambre avant de s'endormir : pourquoi ne pourrait-elle pas se les inventer et aller dormir quand elle en ressent le besoin ? Les réponses que l'on peut apporter contre cette façon débonnaire de voir l'enfance (« Parce que c'est comme ça que la société fonctionne », « Parce qu'il y a des règles », « Parce que c'est un enfant et qu'elle doit obéir ») ne me satisferont jamais. Durant cette période très particulière de la vie, la plus créative et la plus décisive d'entre toutes, on ne peut construire de hautes tours si l'on est entouré d'engins de siège (analogie foireuse : la grippe, sans doute). Les conditions imposées au corps et à l'esprit dès le plus jeune âge devront forcément se désapprendre un jour ou l'autre, à l'âge adulte : mieux vaut donc que ma fille ne les apprenne pas du tout, ou en tout cas le moins possible.

Grippé. — En soirée, impossible de me concentrer. Toutes les phrases que j'ai écrites sur Chávez me paraissent vaines — et partiales, aussi ! Impossible de rédiger quoi que ce soit. Et tout ce retard à nouveau accumulé dans mon journal, quelle tristesse ! Tout est vain, triste, vain... Pourquoi ai-je si difficile à avancer aujourd'hui ? La réponse arrivera au beau milieu de la nuit : eh bien, il fallait que ça arrive... Je suis grippé !

Laisser un commentaire