« And I know I will be loosened
From the bonds that hold me fast,
And the chains all around me
Will fall away at last.
And on that grand and fateful day,
I will take thee in my hand,
I will ride on a train,
I will be the fisherman. »
Mon mois de février 2015 s'est en grande partie évaporé : étant donné que je n'ai pas eu la force — physique surtout (maladie), mais aussi mentale (apathie) — de rédiger un seul article conséquent au cours de ce mois, beaucoup de détails de ma vie se sont perdus à jamais. Les discussions avec Léandra, le repas chez FBsr, ce que j'ai réalisé à mon travail à tel ou tel moment, ce que j'ai fait de telle ou telle soirée, les joies et les peines de ma fille, de même que ses réflexions parfois étranges : tout cela devient aujourd'hui de plus en plus brumeux dans mon esprit. Ma mémoire « emmental » — cette stupide mémoire qui est capable de se souvenir de conneries lues ou entendues il y a des années, mais qui ne retient quasiment rien à court terme, et strictement rien à très court terme — ne m'est pas d'une grande aide. Tout ce que je peux faire, c'est prendre quelques « thèmes » de ce mois de février et les développer du mieux que je peux, histoire de quand même conserver quelque chose de ma vie à ce moment-là.
Grippe. — Tout d'abord, il y a eu cet état physique déplorable, lié sans aucun doute à la grippe. « Ce n'est pas la grippe, c'est un "état grippal" », m'avait lancé Sylvette début février. (Léandra, qui était également malade avec seulement un décalage de quelques jours par rapport à moi, a apparemment dû se coltiner le même genre de commentaires à son boulot.) — Mais comment Sylvette aurait-elle pu ressentir ce que je ressentais ? Comment aurait-elle pu savoir que ce n'était pas la grippe ? Réponse : « Si tu avais la vraie grippe, tu aurais été plus mal en point. » Mais comment aurait-elle pu connaître mon degré de mal-être ? Aurait-il fallu que je me torde de douleur, que je me plaigne constamment, que je vomisse partout et que je m'endorme sur mon clavier ? Ou bien aurait-il fallu que je me mette en incapacité de travail prolongée ? Apparemment, si j'avais voulu convaincre la plupart de mes collègues, oui, j'aurais dû me faire porter pâle, car si on peut quitter son lit, c'est qu'on n'a pas vraiment la grippe, mais seulement un « état grippal », terme à la mode utilisé notamment par les homéopathes, ce qui ne me donne pas envie de creuser plus profondément. — Peu importe en fait : il faut que j'arrête de me justifier sur mes « états intérieurs », pour autant que ce terme signifie quelque chose.
La mystérieuse disparition du docteur F. — Donc, je n'étais vraiment pas en forme au cours de la première quinzaine du mois dernier. J'ai fini par me dire qu'il serait avantageux de consulter mon médecin traitant, le docteur F, à Forest. Mais le docteur F a disparu de la circulation. Il ne répond plus au téléphone et la porte de son cabinet n'est plus une porte de cabinet : c'est une porte de maison normale. Seul vestige de l'ancien état des choses : l'emplacement de la sonnette, qui n'est plus désormais qu'un trou béant avec des fils. Mon docteur est-il mort ? — Finalement, je ne me suis pas du tout fait soigner. Je déteste changer de médecin : j'en avais un que j'aimais bien, en qui j'avais confiance, et voilà qu'il disparaît sans prévenir ! Ce qui me déplaît le plus dans cette histoire de « changer de médecin », c'est la prospection : chercher un nouveau médecin m'épuise, parce que je ne peux m'empêcher de m'imaginer à quoi le nouveau va ressembler et quel caractère il va avoir ; à me demander si je ne vais pas passer pour un idiot devant lui (ce qui m'arrive souvent devant un médecin), si je vais l'apprécier, etc. J'ai donc abandonné la prospection en cours de route, assez vite pour tout dire. De toute façon, grippe ou pas grippe, il me semblait évident que j'avais attrapé un virus ; il ne me restait plus qu'à patienter.
Fisherman's Blues. — Mes trois seuls médicaments furent du Dafalgan (pour faire tomber la fièvre et les autres douleurs sourdes), une boîte de cachets pour la toux et surtout, surtout, comme à chaque fois que je suis malade, l'écoute en boucle de country, de folk et de bluegrass. Les musiques du Deep South ou bien celles de l'Irlande, écoutées dans mon lit le soir toutes lumières éteintes, constituent mon meilleur calmant et mon meilleur remède lorsque je suis malade... ou triste... ou d'humeur maussade. Cette musique me permet d'attendre tranquillement que « ça passe » en m'imaginant des gens heureux qui dansent avec beaucoup de simplicité dans l'herbe fraîche du mois d'août, sur des airs de banjos et de violons presque incontrôlables (ou quelque chose d'approchant). — Cette fois-ci, il y a eu ce morceau écouté des centaines de fois, pendant des jours et des jours : « Fisherman's Blues » du groupe britannique The Waterboys (album Fisherman's Blues, 1988). Une formidable chanson qui raconte l'histoire d'un homme rêvant de s'en aller loin de ses soucis et de ses souvenirs, tel le pêcheur qui quitte la terre ferme ou le machiniste d'un train à vapeur lancé à toute vitesse à travers la campagne endormie (deux métaphores courantes, presque « bateau » [ha-ha !], mais plus c'est simple, plus j'apprécie). J'adore vraiment cette chanson. J'aime le fait que le narrateur veuille laisser derrière lui le monde qui l'oppresse et se libérer des chaînes qui le retiennent, mais qu'en même temps, il laisse subrepticement une place pour une seconde personne : « With light in my head, with YOU in my arms... », « I will take THEE in my hand » (on remarquera l'utilisation de l'archaïque thou/thee). Cela me rappelle ces nuits d'été durant lesquelles, adolescent, je rêvais de regarder le ciel en silence, mais avec quelqu'un, une sorte d'élue imaginaire. (Cela n'est jamais arrivé : la seule personne élue avec qui j'ai été en interaction, c'est Maïté, et elle n'aimait pas les étoiles.) — J'ai également longtemps réfléchi à ce qui rendait cette chanson si extraordinaire, et je suis arrivé à la conclusion que, au-delà des paroles très touchantes, ce sont les « whooo! » et autres « whooohooo! » lancés par le chanteur Mike Scott qui font la différence... Ces « whooo! » n'arrivent pas à n'importe quel moment, oh que non : ils surviennent aux bons moments, et avec la bonne intensité. Il y a quelque chose de fou en eux, quelque chose d'incontrôlé, un air frais de pure liberté. Je les entends comme : « Je lance des "whooo!" si j'en ai envie et je me fiche de savoir que vous les trouvez inconvenants ou ridicules ». (J'aimerais pouvoir un jour être sur une scène, chanter cette chanson et lancer des « whooo! » quand il faut lancer des « whooo! ».)
Draco dormiens nunquam titillandus. — Durant ce mois de février, il y a aussi eu la série de films Harry Potter. Je l'avais déjà regardée en français avec ma fille (voir par exemple ici), mais je l'ai à nouveau visionnée certains soirs, tout seul cette fois-ci, en version originale, en arrêtant fréquemment le déroulement du film pour m'informer sur un personnage, un lieu, un objet... Je me suis plongé dans cet univers et, à mon grand étonnement, je me suis rendu compte qu'il n'est vraiment pas mal foutu (j'avais un a priori négatif à son sujet, lié à son succès, mais apparemment non fondé). L'histoire prend ses racines dans un lointain passé : par exemple, Hogwarts (Poudlard en français) a été bâti en plein cœur du Moyen Âge et il y a moyen de se documenter sur tout l'arrière-plan historique du lieu, sur les anciens élèves, etc. Je vais donc lire le premier livre... et peut-être voir si Gaëlle n'a pas envie de le lire elle aussi ? Elle ne lit pas assez. (Comme je l'ai déjà écrit : si, enfant, j'avais eu connaissance de cet univers, je l'aurais plus que certainement adoré. Mais au moment où j'étais enfant, c'est L'Histoire sans fin de Michael Ende qui avait attiré toute mon attention. Un beau livre aussi à n'en pas douter).