Canard en plastique

Dans un premier temps, il y avait ce choix à faire, et je déteste choisir. Je suis un inadapté de l'option : pour tout ce qui relève des affaires courantes, je préférerais qu'on décide à ma place. (Je rêverais d'un intendant réglant ma vie sociale au jour le jour : « Aujourd'hui, tu vas là-bas ; demain, tu rencontres ces gens-là », etc.) Dans un deuxième temps, il y a eu un enchevêtrement de situations sociales compliquées, et je déteste les situations sociales compliquées. Ensuite, je me suis transformé brièvement en une balle de ping-pong que l'on renvoyait de l'autre côté du filet : pour les deux joueuses en présence, j'aurais été plus à ma place à l'autre Réveillon, ou plus exactement au Réveillon de l'autre. Plus ou moins au même moment, est arrivé un tentant Deus ex machina : Amy et Zapata m'invitant à une soirée parallèle, de telle manière que j'aurais très bien pu emprunter une troisième voie. Après avoir été enthousiasmé par l'idée, je l'ai rapidement mise de côté, car cette invitation arrivait après les deux autres. Je me suis alors dit qu'une façon radicale de régler mon dilemme était de passer la nuit du 31 décembre en solitaire. Cela n'aurait pas été un problème pour moi : être seul un jour de fête générale ne me rend pas triste. J'aurais acheté une bonne bouteille de champagne, une petite boîte de cigares et j'aurais passé le Nouvel An dans mon bain en compagnie d'un petit canard en plastique jaune que m'aurait prêté Léandra pour l'occasion. J'aurais été un John Difool amoindri et consensuel, se contentant de l'alcool (et d'un cigare) et passant son tour pour ce qui est de la drogue et des homéoputes. Enfin, j'aurais immortalisé ce long moment de baignade nocturne en me prenant en photo avec Ernest le canard. — J'ai finalement rejoint le Réveillon de Léandra : après tout, c'était un bon choix, à la fois relationnel et rationnel.

Je suis en train de préparer les toasts (ou en tout cas de réfléchir à la façon de les préparer) lorsqu'Andrew me dit : « Dans l'article où tu parles du prix Nobel attribué à Modiano, j'ai trouvé une faute : tu as écrit plusieurs fois "Mondiano" au lieu de "Modiano" ». — Et dire que je n'ai pas la possibilité de corriger la faute directement ! Quelle horreur ! Existe-t-il encore une rédemption après une telle erreur ?

* * *

Si j'avais été en forme pour écrire, j'aurais rédigé un paragraphe pour chacun des neuf autres protagonistes de ce Nouvel An, de Frida la dessinatrice de BD (c'est Léandra qui a proposé ce surnom : c'était évident !) à Nanash le docteur. J'aurais aussi glissé quelques mots sur, entre autres : la sordide histoire du vétérinaire qui ne savait pas qu'on ne pouvait pas mettre un écureuil dans un four à micro-ondes pour le sécher ; le débat autour du triste EZ ; la partie de « Time's Up! » durant laquelle j'ai eu la chance de faire partie de la bonne équipe (celle de Léandra et Andrew) ; ou encore les lanternes thaïlandaises que nous avons lancées dans la nuit froide.

Mais depuis le 31 décembre, je ne suis pas du tout en forme ; pas du tout en forme pour écrire, bien que tout soit lié. J'ai beau déclarer n'avoir ni haut, ni bas, je suis dans un bas ! Plus rien n'a de couleur et je me traîne misérablement jusqu'à mon clavier pour balbutier quelque chose de passablement mauvais, que je finis par envoyer à la corbeille. — Ha, il est beau le renouveau de mon journal ! Au diable donc pour une quinzaine de jours l'aspect journalier : j'en suis totalement incapable. (Si c'est pour écrire de la merde, autant ne rien écrire du tout !)

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