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Vieux carnets, I. — Sur le temps de midi, je feuillette rapidement les six vieux carnets qu'une lectrice nous a confiés cette semaine. Les quatre premiers sont des cahiers de voyage datant de la dernière décennie du XIXe siècle. Le touriste inconnu qui les a tenus jouissait d'une belle plume et s'intéressait de près à la culture et à la société des pays qu'il visitait (la Suisse, la Grèce...). Je lis à voix haute l'histoire de cet ancien condamné à mort vivant à l'écart d'un village, abhorré des habitants de la région, que les autorités grecques ont mis devant ce terrible choix : ou bien mourir, ou bien devenir lui-même bourreau ! — Les deux derniers sont des carnets de guerre. S'y trouve consignée la vie d'un soldat de la Première Guerre mondiale : son quotidien de combattant, sa permission à Paris (« Quelle joie de retrouver des gens civilisés ! »), les tranchées, les longues marches avec de la boue jusqu'aux genoux... Les carnets courent jusqu'en avril 1916 : ennemis se rapprochant de leur position dans la matinée, retour au calme dans la soirée, et puis plus rien !

Vieux carnets, II. « J'adore ce genre de carnets !
— C'est vrai ? me demande Rolande.
— Oui, oui ! On y trouve des idées brutes, enregistrées au jour le jour. On est au plus proche de la pensée de celui qui les a écrits ! Il n'y a pas de censure, pas de filtre !
— Tu en tiens un ?
— Un quoi ?
— Tu tiens un carnet de voyage ?
— Un carnet de voyage ? Oh non, non... Pas vraiment... »
(Mes collègues savent que je rédige un journal, non ?)

La Toile de Doëlle*, I. — « 88 Constellations for Wittgenstein » est un méticuleux projet artistique interactif autour de la vie et de l'œuvre de Ludwig Wittgenstein, débordant d'analogies en tous genres : « 88 » comme le nombre de constellations composant le ciel selon l'Union astronomique internationale, mais aussi comme le nombre de touches de la plupart des pianos modernes, ou encore comme dans la date de naissance de Wittgenstein, de Hitler et de Chaplin, tous trois nés en avril 1889. Ce projet est une tentative « non-linéaire » et « tentaculaire » d'aborder, à travers les 88 constellations, tout un monde fait de liens déstructurés, en rapport plus ou moins étroit avec Wittgenstein : Weininger, Russell, Turing, le Cercle de Vienne, le Tractatus, les jeux de langages, mais aussi (assez curieusement de prime abord) le 11 septembre 2001, le film 2001, l'Odyssée de l'espace (quand on retourne « 2001 », ça fait « LOOS », comme le nom du célèbre architecte autrichien) et son monolithe, ou encore Jean-Luc Godard et son film Deux ou trois choses que je sais d'elle. Le sujet « Wittgenstein » se prête particulièrement bien à cette vision éclatée constellée d'informations hétérogènes, à ces points reliés entre eux par de très nombreuses associations d'idées, parfois assez tordues. L'auteur, un Canadien du nom de David Clark, est un talentueux qui a le sens du détail !

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* Chaque quatorzième jour du mois, un paragraphe consacré à un lien Web qui m'est envoyé par Doëlle. Merci à elle de jouer le jeu !

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