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Histoires de courbes

Angles droits & fers à cheval. — L'appartement de Jonas, où je suis invité ce soir, se situe en plein Centre-ville, pas loin de la place Rouppe et des festivités du 1er Mai. Tout y est parfaitement droit et rangé. (« Ce n'est pas tous les jours comme ça », se plaindra mon hôte... — Mon œil, ouais !) Seule note discordante : dans le casier à moitié vide d'une étagère, trois boîtiers de DVD ont eu l'outrecuidance d'être attirés par la gravité et de former une oblique. Avec la poubelle remplie de papiers méticuleusement chiffonnés, il s'agit de l'unique trace de désordre... Un désordre aussi contrôlé qu'une bande dessinée de Chris Ware.  — C'est dire !
Si l'appartement de Jonas était une œuvre d'art, 
ce serait une BD du génial Chris Ware, définitivement...
(Image-poster tirée du site Web Acme Novelty Archive.)

Jonas aurait dû subir une intervention chirurgicale hier, mais l'anatomie de ses reins en a décidé tout autrement... Épisode tragi-comique qui fait sourire Léandra : Jonas n'est pas un être humain ordinaire (c'est un cyborg !) car il a ce qu'on appelle des « reins en fer à cheval ». La petite intervention n'a donc pas eu le résultat escompté : le chirurgien a tripatouillé pendant une heure dans son bide à la recherche d'une veine que jamais il ne trouva, à l'image de David Vincent et de son raccourci. Du coup, tout est à recommencer et la prochaine fois, il faudra peut-être réellement opérer. Aujourd'hui, Jonas a mal au ventre et, selon les aléas de la douleur, préfère rester soit assis, soit debout.

La Petite Boutique des horreurs. — Léandra et Jonas ont vu cette curieuse comédie musicale d'épouvante dernièrement (Little Shop of Horrors, réalisé par Frank Oz en 1986). Ils m'expliquent l'histoire en quelques phrases : un fleuriste au bord de la faillite se refait une santé financière grâce à une mystérieuse plante carnivore qui attire à nouveau les clients mais, en contrepartie, a besoin constamment de sang pour subsister. Alors qu'au début du film le végétal se contente de peu, il devient au fur et à mesure de plus en plus gourmand... On devine la suite. 
« C'est marrant, me lance Léandra, un des acteurs, c'est le type qui joue dans la série des "Y a-t-il un flics...", là...
— Le lieutenant Frank Drebin ? Leslie Nielsen ?
— Non, je ne pense pas que c'est ce nom...
— Si, si, feu Leslie Nielsen ! C'est lui qui joue dans ces films...
(Après vérification, il s'avère que la personne dont parlait alors Léandra est Steve Martin... Rien à voir avec les "Y a-t-il une flics...", même si je comprends la confusion.)
— Enfin bref... Il joue le rôle d'un sadique qui maltraite sa copine. Dans la vie de tous les jours, il est dentiste, mais il ne fait ce métier que pour pouvoir torturer les gens...
— Et il se fait bouffer par la plante ?
— Bah ! Ouais... »
Le Quark et le Jaguar. — Après le repas (des hamburgers maison !), Jonas mentionne Murray Gell-Mann, un physicien américain, prix Nobel de physique 1969 pour avoir postulé dès 1964, et ce avant qu'on n'en découvre la trace par l'expérience, l'existence des quarks, particules élémentaires de la matière. Il me passe un de ses ouvrages de vulgarisation parmi les plus connus, au format de poche : Le quark et le jaguar. Voyage au cœur du simple et du complexe (1994)... Ou comment de la simple particule de matière peuvent naître des agencements d'une extrême complexité, comme les organismes vivants ou le langage. Sur la couverture, la gueule menaçante d'un jaguar : pour le coup, ils n'étaient pas très inspirés, chez Flammarion... (Je ne sais pas, moi, ils auraient pu l'illustrer par un quark montrant ses crocs, ce bouquin...)

Malgré le manque d'inspiration de l'éditeur quant à la première de couverture, le livre semble tout ce qu'il y a de plus passionnant. Plus d'informations ici-même lorsque je l'aurai lu, si je le lis un jour. (Sans doute, mais quand ?)


Espaces non euclidiens. — Jonas décroche d'un des murs de son séjour la page d'une revue scientifique qui fait actuellement office d'affiche et nous en montre le verso : une publicité pour Les aventures d'Anselme Lanturlu, curieuse série de bandes dessinées de vulgarisation signée Jean-Pierre Petit. Je m'exclame :

« Ha ? Jean-Pierre Petit ? Le scientifique français fan d'ufologie ?
— Pardon ?
— Mais oui ! C'est celui qui croit que des extraterrestres ont déjà pris contact avec des gouvernements humains ; et qu'ils ont transféré une partie de leur savoir technologique aux États-Unis, entre autres.
— Ha bon... »
(J.-P. Petit est un partisan de ce qu'on appelle dans le jargon l'HET, l'hypothèse extraterrestre pour expliquer le phénomène OVNI. Il est également connu pour s'être intéressé à « l'affaire Ummo » — une histoire rocambolesque de lettres dactylographiées qui auraient été envoyées par les émissaires terrestres d'une civilisation extraterrestre...)

Dans ses aventures (disponibles en ligne gratuitement au format PDF sur cette page), Anselme Lanturlu, jeune homme gentil et naïf portant la plupart du temps un chapeau, découvre l'univers fascinant des mathématiques, de la géométrie non euclidienne, de la relativité et des singularités de l'espace-temps, souvent aidé dans sa démarche candide par la belle Sophie, une jeune femme aux lunettes rondes dont les courbes avantageuses permettent au lecteur de comprendre en un coup d'œil que sur une surface non plane, la somme des angles d'un triangle n'est pas égale à 180° !

Sophie cajolant Anselme en prologue de Big Bang 
(Les aventures d'Anselme Lanturlu, tome 6, p. 2)

La même, en pleine séance de vulgarisation, dans Le Géométricon
(Les aventures d'Anselme Lanturlu, tome 1, p. 27)
(Heureusement — ou malheureusement, selon le point de vue — pour le lecteur, 
il n'est pas question ici de mécanique des fluides ou de taux de pénétration...) 


L'épisode de la dinde. — Léandra me demande quel est l'épisode de Friends qui m'a le plus marqué. Par de bol : je n'ai jamais regardé cette série (paraît que c'est très comique pourtant, même si les rares extraits que j'ai vus n'ont jamais réussi à m'arracher le moindre sourire). Elle me pose cette question car il semblerait qu'un épisode ait marqué les esprits plus que tous les autres : celui dans lequel Joey se coince la tête dans une dinde... « Quoi ? Comme dans Mr. Bean ? », m'exclamé-je. Pfff... Quelle bande de copieurs, ces « friends »...

La philosophie en Terminale. — En France, ils ont de vrais cours de philo. Jonas nous montre un des ouvrages qu'il a dû se farcir en Terminale sur l'histoire de la pensée européenne, signé Jacqueline Russ. De nombreux auteurs y sont analysés : Nietzsche, Schopenhauer, Heidegger ainsi qu'une flopée de Français qui ont influencé la pensée du XXe siècle mais qui ne sont pas à proprement parler des philosophes, comme par exemple Bourdieu ou Levi-Strauss... Il y a même une partie consacrée à la Belge Isabelle Stengers... Je regarde à W... W, W, W... Pourquoi ai-je l'impression qu'un philosophe manque cruellement à ce palmarès ? (Un rêve, sans doute.)

« Et tout, et tout, m'fin, t'vois... » — J'attends mon tram à la station de prémétro Anneessens. Sur le même banc que moi, à ma gauche, deux femmes et un homme à l'aube de l'âge adulte se partagent une cigarette. Leurs phrases sont en grande partie constituées des termes « et tout », « m'fin » et « t'vois », à tel point que ça en devient très comique. Par exemple : « M'fin, j'étais vénère après lui, t'vois, et tout, et tout !  — Ouais, ouais, trash, remarque, m'fin, moi aussi ça m'énerverait, t'vois, ce genre de chose, t'vois, et tout, quoi... » Et en plus, ils fument !

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