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Convergence vers les urnes. — Il est bientôt midi. L'ancienne école communale de ma fille, à Forest, est réquisitionnée pour l'occasion. Des parents marchent avec leurs enfants. Des vieilles personnes ont enfilé leur costume du dimanche. Des attroupements se forment et se déforment au gré des rencontres : « Ha tiens, qui voilà ! Tu vas bien ? Ça faisait longtemps ! » Tous se dirigent vers les (ou reviennent des) différentes salles de classe aménagées pour « l'événement majeur » de ce dimanche en Belgique, à savoir les élections communales. Petit village ou grande ville, j'ai toujours l'impression de contempler le même spectacle bon enfant, qui ressemble à s'y méprendre à une sortie de messe dominicale... Ou en tout cas à l'image que je m'en fais car, mécréant que je suis, je n'ai jamais assisté à une sortie de messe dominicale.

Aucune file. Je rentre directement dans l'isoloir. Toujours cette vieille tour d'ordinateur ridicule qui ressemble à celle du 386 que mon père m'avait acheté au début des années 1990. Et puis cet écran tactile aussi sensible au crayon électronique que Milton Friedman aux idées du socialisme révolutionnaire. — Que faire ? Pour qui voter ? Quoi que je fasse, il s'agira du mauvais choix. Ceux-ci risquent de trahir la gauche, ceux-là ne sont peut-être même plus de gauche... Hop, hop, je fais mon choix, qui ne changera de toute façon pas d'un iota la marche du monde. Je sors de l'isoloir, je rends cette stupide carte électronique opaque (informatiquement parlant) au président de bureau, qui se charge de la placer dans ce qui fait office d'urne (le même genre de fente que celle d'un distributeur automatique de billets). Je reprends ma convocation dûment cachetée et me dirige vers la sortie, vers le tram... J'ai rendez-vous avec Léandra au Parvis de Saint-Gilles dans une demi-heure.

Midi au Parvis. — « Marrant, le nouveau serveur à lunettes », me dit Léandra, en terrasse de la Maison du Peuple. « Avant moi, un type prend un simple jus d'orange. Ça lui coûte trois euros. Ensuite vient mon tour. Je commande également un jus d'orange ainsi que ton café, et il me demande quatre euros. Je lui demande : "Quatre euros, seulement ?" et il me répond : "Oui, je vous ai fait le pack jus d'orange et café". Je suis interloquée : "Mais ça n'existe pas, ça !", et il me répond : "Oh, je le fais seulement quand j'en ai envie" ! »
Léandra me raconte que ce week-end, elle a discuté de couples avec Andrew. Ce dernier, dit-elle, a fait une remarque très intéressante : il lui a dit que ce qu'il cherchait avant tout dans une relation, ce n'était pas tant construire quelque chose avec la personne que déconstruire, autrement dit (si j'ai bien compris, ce dont je ne suis pas certain) avoir le courage de se remettre chacun en question, déconstruire ses propres valeurs et comportements, pour élaborer quelque chose d'autre...

Léandra enchaîne : « Nous avons aussi un peu parlé de toi, Hamil, et nous sommes tombés d'accord sur le fait que tu ne recherches absolument pas ce type de relation... Une relation amoureuse basée sur la déconstruction et le changement, je veux dire... Tu ne tomberas par exemple jamais amoureux d'une femme qui aurait pour ambition de te transformer. Celle-là ne t'intéressera pas du tout. Elle pourra à la limite devenir une très bonne amie pour toi, mais jamais une amoureuse. Tu veux quelqu'un qui t'accepte exactement comme tu es ! » (Ce commentaire est rigoureusement exact : ma façon d'être ne bougera jamais d'un iota. Qui plus est, je suis comme ça pour l'ensemble de mes relations humaines : je ne veux pas changer les gens ; je veux tomber sur les bons directement ! C'est en ce sens — et en ce sens uniquement — que l'on peut me considérer comme un putain d'élitiste.)

Soirée au Parvis. — De retour à la Maison du Peuple, le soir. Je carbure au café et à l'eau pétillante. J'entame la rédaction d'une synthèse de mes lectures et constate que résumer une matière pareille est beaucoup plus compliqué que de la comprendre.

En fin de soirée, Léandra et Andrew viennent s'installer à ma table. Ils reviennent du Centre culturel Bruegel, rue Haute, où ils ont assisté à un spectacle de contes narrant la vie solitaire et surréaliste de trappeurs vivant dans le Nord-Est groenlandais... Là où la population se réduit à un iota et où la nuit dure des mois entiers.
Durant cette fin de soirée, il est notamment question de réserver un gîte en Ardenne pour passer le Nouvel An 2013 ensemble. Un constat : il y a deux ans, nous organisions une grande soirée de fin d'année ; il y a un an, nous la faisions chez moi en plus petit comité ; cette année, nous ne sommes plus que trois ; l'année prochaine, fêterons-nous le Réveillon... tout seuls ?

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