Alternatives

Ce matin, mes six collègues présents au boulot et moi-même nous rendons au grand rassemblement sur la place communale de Seraing, à moins d'un kilomètre de notre lieu de travail, en signe de protestation contre la fermeture par ArcelorMittal de la "phase à chaud" de la sidérurgie liégeoise. Sur la route comme sur place, c'est l'action commune, l'union de toute la gauche ou presque... Côté syndicats, beaucoup de rouges de la FGTB (de tendance socialiste), de nombreux verts de la CSC (de tendance chrétienne), des représentants étrangers (comme la CFDT française) et même quelques rares bleus égarés de la CGSLB (de tendance libérale). "Mais qu'est-ce qu'ils foutent là ?", nous demandons-nous, ma collègue Wynka et moi... À côté des syndicats, le PTB (Parti des travailleurs de Belgique) est également en force, ainsi que quelques altermondialistes et quelques anarchistes...
Sur la place communale, noire – ou plutôt rouge et verte – de monde (au micro, ils annoncent 10.000 personnes, puis "plus de 8000", puis "des milliers"...), nous écoutons les discours des représentants syndicaux (deux gars de la CSC et deux de la FGTB, aucun de la CGSLB – faut pas déconner non plus !). Un des types de la CSC est un peu mou : il lit son texte et n'a pas l'air d'y croire plus que ça... Wynka dira qu'on a l'impression qu'il fait un sermon. Elle exagère (elle est presque de mauvaise foi)... Remarque de Sylvette : "On voit que tu n'as pas assisté à beaucoup de sermons dans ta vie !". Les deux représentants FGTB sont plus convaincants (je suis clairement partial en affirmant cela car, mon père étant un délégué "métallo" FGTB et un "bouffeur de curés", il m'a inculqué, sans même le vouloir, certains codes). À la tribune, Marc Goblet (président de la FGTB Liège-Huy-Waremme) est remonté : c'est le plus radical de tous les intervenants, celui qui mentionnera clairement l'idée d'une nationalisation du secteur sidérurgique... Et pourquoi pas en effet ? 

Dans d'autres discours, certaines phrases sont proches du non-sens. On parle de Lakshmi Mittal comme d'une personne sans cœur, uniquement intéressée par le fric (mais c'est presque une évidence, non ? Une tautologie...) ; on montre du doigt le capitalisme, devenu immoral ("devenu" ?). On nous donne presque du : "Les capitalistes, ce sont des méchants pas beaux !". Oui, mais à quoi s'attendait-on ? Quand on joue avec des loups, il ne faut pas s'étonner quand ils montrent les crocs... C'est plus une question de permanence des structures que de méchanceté : une organisation capitaliste est là pour faire du fric et pour étendre sa domination ; elle est par essence amorale, voire immorale, dans la mesure où elle n'a pas pour but d'être morale et s'installe dans chaque "espace libre" qui lui est donné d'occuper (son "comportement" change selon le système politique – le cadre légal – dans lequel elle s'installe). Un holding, une multinationale (peu importe le nom qu'on lui donnera) qui peut s'installer partout sur Terre ira toujours, à un moment donné, s'implanter là où les conditions de profit sont au maximum, se contrefichant de l'éthique, non pas parce que "c'est comme ça" mais parce que tout capitaine d'entreprise qui prendrait des décisions à l'encontre de ce type de fonctionnement ne pourrait pas être capitaine d'entreprise dans un tel système, justement. Ne pas se rendre compte de l'immoralité intrinsèque du système capitaliste et de ses "agents" – dont Mittal n'est qu'un des nombreux représentants, avec pour seule particularité celle d'être tout en haut de la pyramide , c'est se prendre un mur dans la gueule tôt ou tard. 

On en revient toujours au même débat... Comment sortir de ce système ? Encore faut-il vouloir en sortir... Et quelle est la proportion de la population qui se pose réellement la question d'un changement de société et de ce qu'il conviendrait d'installer à la place ? Je n'ai évidemment pas de réponse toute faite à cette question (le contraire eût été étonnant).
À mon sens, la seule solution qui pourrait marcher est une idée ancienne mais toujours balayée d'un revers de la main (mais que faites-vous de la libre entreprise mon bon monsieur ?) ou, dans le pire des cas, d'une salve de mitrailleuses... Cette solution (prônée par le socialisme, initialement du moins) est d'absolument reprendre le contrôle démocratique des moyens de production, peu importe comment. La démocratie politique ne vaut rien si elle n'est pas accompagnée d'une démocratie économique. Autrement dit : pour que tout le monde s'en sorte (car c'est le nœud du problème), il faut produire non pas dans le but de faire du profit mais dans celui de créer/fabriquer/construire pour les besoins de tous. Pour un état, ça peut prendre la forme d'une nationalisation (mais pas dans le sens de "sauver et de revendre plus tard à une entreprise privée") ; dans une vision anarchiste (ou anarcho-syndicaliste), c'est, dans le cas d'ArcelorMittal, l'occupation sauvage d'une usine et la reprise en main coûte que coûte des outils, par ceux qui les utilisent vraiment, au profit de ceux qui en ont besoin.

Ouais, c'est bien beau, tout ça, mais on fait comment dans ce monde-ci ? Ha ben ça, c'est la grande question, qui mériterait à elle seule plusieurs des "soirées causerie" que nous voudrions mettre en place, Léandra et moi.

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Simon & Garfunkel, les Doors, les Beach Boys, les Beatles, Bob Dylan, Fats Domino, le Velvet Underground, Marvin Gaye... Aujourd'hui soir, à la Maison du Peuple, ils ont sorti leur playlist "Oldies".

Je suis seul aujourd'hui. Emily se repose (d'après ce qu'elle m'a dit hier) ; Léandra et Andrew sont à leur cours d'impro, à se lancer des "FREAK OUT!" déjantés ; quant à Walter, je ne sais pas... Constat bizarre : à chaque fois que je parle de ceux qui ne sont pas là, je me limite à eux quatre. Ça aussi, c'est la "permanence des structures".

Je n'ai rien de plus à raconter... Je passe deux heures à écrire le texte ci-dessus (tout ça pour ça ?) et puis voilà ! Je ne pense pas que j'ajouterai un "addendum" aujourd'hui. Je m'en vais vers dix heures, non sans faire, de loin, un grand sourire et un signe à Clémentine, la serveuse sympa, qui me renvoie la pareille.

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De retour à mon appartement, dans ma boîte aux lettres, se trouve une carte postale en provenance de New York ! C'est la première carte que je reçois de ma vie où le continent "Europe" doit être indiqué en toutes lettres après "Bruxelles, Belgium" ! Pas besoin de regarder l'expéditeur : il s'agit d'Amy et de Zapata ! Ils quittent actuellement San Francisco pour le Mexique. Le contenu de la carte postale : New York, une ville "consumériste à crever et qui joue à la loterie avec l'économie mondiale" (ça, c'est de Zapata) ; "ONUcrottes, Eurocrottes, même combat !" (ça c'est d'Amy). Mais bon, c'est les USA, c'est tout et son contraire et ils adorent (du moins, j'espère !).

Une bonne occasion pour enfin mentionner le blog de ces deux lascars : Mundus Novus. Très chouette journal narrant leur voyage, mais il faut un mot de passe pour le consulter : contre ça, je ne peux rien faire. Un jour, je publierai peut-être ici les cartes de leur long périple : ce sera toujours mieux que rien pour les curieux !

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