Dès les premières pages, le livre me plaît car l'auteur y est à la fois démesurément exigeant et subtilement ironique. Il explique que l'œuvre que nous avons devant nous (et qui fait quand même plus de 2000 pages — le travail d'une vie) ne transmet qu'une seule et unique idée et que cette idée n'est compréhensible que de manière "organique" : elle ne possède ni fondation, ni sommet ; chaque partie contient l'ensemble et l'ensemble contient chaque partie. Dès lors, écrit-il, il convient de lire ce livre au moins deux fois : alors seulement nous aurons une chance d'assimiler son propos.
Mais ce n'est pas tout ! — Pour le comprendre, il eût fallu que je lusse également un texte plus ancien de Schopenhauer, intitulé De la quadruple racine du principe de raison suffisante : une dissertation philosophique, que l'auteur, dans sa "répugnance" à se répéter, n'a pas cru bon d'insérer dans son Monde comme etc. Mais lire cela ne suffit toujours pas ! Car il faut aussi, bien sûr, connaître les écrits principaux de Kant (le plus grand philosophe depuis etc. etc.) sur le bout des doigts. Enfin, nous apprend Schopenhauer, la lecture de Platon et des Upanishads (des textes philosophiques liés à la spiritualité hindoue) n'est pas obligatoire mais constitue cependant un atout non négligeable.
Et c'est là que ça devient comique... Car Schopenhauer, à l'inverse d'autres philosophes pince-sans-rire (suivez mon regard), aime s'amuser ("Il n'est guère de journal trop sérieux pour accorder une place à la plaisanterie dans cette vie qui, de bout en bout, prête à équivoque") et explique que son livre n'a pas obligatoirement pour vocation d'être lu, qu'il peut servir à plein d'autres choses pour qui ne le comprendrait pas. Extrait (j'étais, je l'avoue, littéralement plié en deux en lisant ce passage) :
« (...) Le lecteur qui est arrivé jusqu'à cet avant-propos dissuasif a cependant dû acheter ce livre pour de l'argent comptant et risque de s'enquérir de ce qui l'en dédommagera. Ma seule échappatoire sera alors de lui rappeler qu'il peut tout de même user d'un livre, sans le lire, de bien des manières. Ce livre peut, comme bien d'autres, remplir un vide dans sa bibliothèque où, bien relié, il fera assurément bon effet. Ou bien, s'il a une amie cultivée, il peut le déposer sur sa coiffeuse ou sur sa table à thé. Ou encore, pour finir, il peut, ce qui vaut mieux que tout et que je lui recommande tout particulièrement, en faire une recension. »
Sont joyeux, les stages, dans cette boîte...