Humour allemand

Schopenhauer, philosophe et humoriste. — 9h30. J'attends ma collègue Wynka, dont le train est en retard, en sirotant un café Americano brûlant à la terrasse du Starbucks de la gare de Bruxelles-Central. Devant mes yeux, la préface à la première édition du Monde comme volonté et représentation d'Arthur Schopenhauer.

Dès les premières pages, le livre me plaît car l'auteur y est à la fois démesurément exigeant et subtilement ironique. Il explique que l'œuvre que nous avons devant nous (et qui fait quand même plus de 2000 pages — le travail d'une vie) ne transmet qu'une seule et unique idée et que cette idée n'est compréhensible que de manière "organique" : elle ne possède ni fondation, ni sommet ; chaque partie contient l'ensemble et l'ensemble contient chaque partie. Dès lors, écrit-il, il convient de lire ce livre au moins deux fois : alors seulement nous aurons une chance d'assimiler son propos. 

Mais ce n'est pas tout ! — Pour le comprendre, il eût fallu que je lusse également un texte plus ancien de Schopenhauer, intitulé De la quadruple racine du principe de raison suffisante : une dissertation philosophique, que l'auteur, dans sa "répugnance" à se répéter, n'a pas cru bon d'insérer dans son Monde comme etc. Mais lire cela ne suffit toujours pas ! Car il faut aussi, bien sûr, connaître les écrits principaux de Kant (le plus grand philosophe depuis etc. etc.) sur le bout des doigts. Enfin, nous apprend Schopenhauer, la lecture de Platon et des Upanishads (des textes philosophiques liés à la spiritualité hindoue) n'est pas obligatoire mais constitue cependant un atout non négligeable.

Et c'est là que ça devient comique... Car Schopenhauer, à l'inverse d'autres philosophes pince-sans-rire (suivez mon regard), aime s'amuser ("Il n'est guère de journal trop sérieux pour accorder une place à la plaisanterie dans cette vie qui, de bout en bout, prête à équivoque") et explique que son livre n'a pas obligatoirement pour vocation d'être lu, qu'il peut servir à plein d'autres choses pour qui ne le comprendrait pas. Extrait (j'étais, je l'avoue, littéralement plié en deux en lisant ce passage) :

« (...) Le lecteur qui est arrivé jusqu'à cet avant-propos dissuasif a cependant dû acheter ce livre pour de l'argent comptant et risque de s'enquérir de ce qui l'en dédommagera. Ma seule échappatoire sera alors de lui rappeler qu'il peut tout de même user d'un livre, sans le lire, de bien des manières. Ce livre peut, comme bien d'autres, remplir un vide dans sa bibliothèque où, bien relié, il fera assurément bon effet. Ou bien, s'il a une amie cultivée, il peut le déposer sur sa coiffeuse ou sur sa table à thé. Ou encore, pour finir, il peut, ce qui vaut mieux que tout et que je lui recommande tout particulièrement, en faire une recension. »
Interview. — Pour la publication de l'année 2012, à mon travail, nous devons réaliser une série d'interviews de personnalités en relation avec le monde syndical. Ma collègue Wynka et moi nous sommes donc rendus ce matin dans les locaux de la FGTB pour interviewer, à l'aide d'un matériel d'enregistrement semi-professionnel (un Marantz PMD-661 et un microphone à condensateur d'entrée de gamme) un ancien président de centrale syndicale qui, soit dit en passant, s'est reconverti dans la location de villas dans le Sud de la France.

Entendue, durant l'interview : une opinion intéressante sur le retour en force du paternalisme d'entreprise. Cette façon d'encadrer la main-d'œuvre ouvrière était assez fréquente dans l'Europe du XIXe et du début du XXe siècle : le directeur de la société (un charbonnage, par exemple) jouait en quelque sorte le rôle d'un père de substitution, à la fois autoritaire et bienveillant, et ce notamment afin d'avoir un contrôle accru sur son personnel, en les maintenant dans un milieu clos, autarcique et en veillant à leurs différents besoins — logement, nourriture, mais aussi éducation des enfants, hôpitaux et soins de santé... L'interviewé nous dit qu'il a vu la reproduction de ce schéma paternaliste à Bangalore, en Inde. Conclusion du monsieur : l'exploitation et le cloisonnement des ouvriers se répètent, mais à un niveau international désormais.

Maison du Peuple. — En milieu de soirée, deux hommes s'installent à la table jouxtant la mienne. Ils parlent de travail et de cartes de crédit, notamment. Le plus vieux (un chauve, début de soixantaine) s'excite :

« Y a une nouvelle stagiaire, française, à mon travail. De temps en temps, elle me téléphone pour me poser une question en rapport avec ce qu'elle doit faire pour nous... Mais dès que j'ouvre la bouche, elle me coupe et recommence à parler, sans attendre ma réponse. Hier, je lui ai crié dessus : "TU ARRÊTES MAINTENANT ! TU TE TAIS ET TU ME LAISSES PARLER !". Elle est allée pleurnicher chez le supérieur, qui m'a donné raison : "Il faut que tu écoutes ce que Jean-Claude t'explique quand tu lui poses une question", qu'il lui a dit... »

Sont joyeux, les stages, dans cette boîte...

Laisser un commentaire