Les petits paragraphes dominicaux (4)

Le vilain petit poney. — À l'anniversaire de mon petit-cousin Roberto, dans la maison de Fridric et de son épouse, ma cousine Chelsea (17 ans) : « Pour mes dix-huit ans, j'aimerais avoir un poney. Pas un cheval... Non. Je n'aime pas les chevaux... Non, vraiment, je voudrais un petit poney... C'est pas plus haut qu'un gros chien, un poney... Et ce poney, j'en ai une idée très précise : il serait très, très moche, mais ce serait mon poney... Un poney que j'aimerais malgré sa laideur, en quelque sorte. »
Le/la dulciné(e), le retour. — Au même anniversaire, mon oncle Tino, s'adressant à moi : « Et le mariage, c'est pour quand ? » (Ils sont tous à l'affût d'une compagne, c'est prodigieusement énervant.) Réponse : « Jamais, je suppose. Je suis contre le mariage... Déjà que pour la petite copine, c'est pas gagné alors... » Chelsea : « Et un petit copain, ça n'irait pas ? » « Non, mais c'est pas possible, vous en avez parlé en réunion de famille ou quoi ? » Il semblerait que rester aussi longtemps sans personne est socialement perçu comme anormal et qu'il leur faille donc trouver une sorte de circonstance atténuante.

Monstre. — Roberto a reçu des armes de guerre en plastique pour son anniversaire et joue en compagnie des deux autres enfants de la maisonnée : son voisin (muni d'une mitraillette) et Gaëlle (armée d'un couteau « à la Rambo »). Le voisin tire sur moi avec sa mitraillette... Comme je ne sais pas faire les choses à moitié (c'est tout ou rien), je mime ma mort tragique d'une manière très théâtrale, avec moult convulsions et hoquets réalistes, en tombant de ma chaise et tout et tout. Ensuite, je ne bouge plus et reste les yeux fermés pendant une bonne minute. Les trois enfants s'approchent de moi et j'en profite pour me réveiller et me relever d'un coup en gueulant : « Je être monstre ! Moi manger chair fraîche ! Moi manger petits enfants ! » Entre la peur et l'amusement, ils s'enfuient dans l'escalier. Je réitère l'expérience à de nombreuses reprises, à la grande satisfaction des trois gosses. La belle-mère de mon cousin : « C'est Hamilton qui s'amuse le plus dans cette histoire ! » — En effet, je m'amuse comme un gamin !

Immigration flamande. — Mon papa explique à ma famille maternelle : « Mon grand-père est venu s'installer en Wallonie vers l'âge de vingt ans. Il était électricien et a marié une paysanne, chose que sa famille n'a jamais accepté. Alors, par amour, il a renié ses parents, est parti s'installer dans le Hainaut et a complètement oublié ses racines flamandes. Il a eu treize enfants et leur a tous appris le français, mais pas un seul mot de flamand. C'est la raison pour laquelle mon père ne connaissait pas le néerlandais et que ça s'est perdu depuis lors... » Dommage !

Pleurs. — Gaëlle pleure à chaudes larmes : « Je ne veux pas rentrer chez maman, noooon ! Je m'amuse bien ici ! Je ne veux pas, je ne veux pas ! » C'est déchirant mais c'est le lot des enfants de la plupart des couples séparés, du moins je suppose...
Résolution de la crampe mentale par métaphore ferroviaire. À lire ce que j'ai écrit sur l'existence du Monde extérieur dimanche dernier, c'est à croire qu'étudier Wittgenstein pendant des mois ne m'a pas servi à grand-chose... (Tsss, tu n'avais pas écrit que tu n'en parlerais plus ? Si, mais je fais ce que je veux !) Dans De la certitude, le philosophe réfute de manière très subtile les arguments en faveur d'une telle pensée. Par exemple : « 339. Image-toi quelqu'un qui doit aller chercher son ami à la gare mais qui, plutôt que de simplement consulter l'horaire et, à une certaine heure, se mettre en route pour la gare, dise : "Je ne crois pas que le train va réellement arriver, mais je vais tout de même aller à la gare." Il fait tout ce que ferait une personne ordinaire, mais l'accompagne de doutes et de mauvaise volonté, etc. » Ce livre est sans doute un des meilleurs remèdes pour soigner le solipsisme. Néanmoins, il faut constamment que j'en relise des passages pour chasser ces vilaines pensées de mon esprit, un peu à l'exemple d'un médicament que l'on doit prendre à vie.
Îlot de normalité. Léandra : « Quand je suis chez eux, j'ai l'impression d'observer un îlot de normalité dans un monde de plus en plus désespérant de méchanceté et d'individualisme. » C'est la joie, ce soir, chez Léandra !
You're so free, you can buy the lie... — Léandra toujours : « Pour la majorité des gens, tu n'existes que si tu consommes... » Nouvelle voiture, nouvelle télévision, nouveau mobilier, nouvelle cuisine, etc. Projeter d'acheter une nouveauté technologique est presque devenu chez certains un véritable moteur d'existence, une raison de vie à part entière. « Et, dit-elle, chez ceux qui ne peuvent pas suivre financièrement et consommer comme les autres, cela crée de la frustration... » Je souris et elle me demande pourquoi. C'est parce que son discours me rappelle directement une très belle chanson du groupe punk néerlandais The Ex intitulée « Prism Song » (Turn, 2004), qui résume à la perfection cette mode du consumérisme forcené. Extraits : « Here's the soap that will set you free, cleaning up your visions of reality, and all the salesmen will agree: surround sound DVD is ecstacy! » La batteuse et chanteuse Katherina Bornefeld récite ensuite sur un ton monocorde une série de mensonges et de banalités que les publicitaires tentent de nous faire gober (avec un succès certain) : « Life can be sweet with those candy-bars. Increase your ego with that brand new car. Insure your safety, buy the lie, and buy and buy and buy and buy. (...) Fast food burgers slim your time. Send a present to your Valentine. Get your airmiles travel free. In September start your Christmas shopping spree. It's in the stars, be a millionaire. Conquer the world with new underwear. (...) Keep on track with the digital fun. Book in time for the winter sun. Get a free cell-phone, call all day. The next great prey is on its way. » 

Prism Song by The Ex on Grooveshark

Enterrements. — « S'il venait à mourir, irais-tu à son enterrement ? », me demande Léandra. Réponse : « Non, absolument pas. Je trouve que c'est très faux cul d'aller à l'enterrement de quelqu'un avec qui on n'a plus aucun contact. » « Et si c'était celui-là et non celui-ci qui mourrait, tu n'irais pas non plus ? » « Ha, dans ce cas, c'est un peu différent. C'est un vieil ami. J'ai vraiment été très proche, donc j'irais à son enterrement quand même... » Puis je rajoute : « D'ailleurs, si c'est moi qui venais à décéder, je suis presque certain qu'il viendrait lui aussi à mon enterrement... Enfin, si ça arrive, je compte sur toi pour me tenir au courant, hein... » (Rires.)

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