Archives mensuelles : mai 2013

Le vieux tailleur hommes-dames

Au « Flandre » à Namur, en début d'après-midi. J'attends la fin des cours de Gaëlle, assis à ma place habituelle (rangée du fond, à deux tables de distance du couloir menant aux toilettes) et je dévore un délicieux steak frites saignant à la sauce Archiduc accompagné, à défaut d'Orval, d'une Westmalle Triple. Le vieil homme directement à ma droite, vêtu d'un marcel à l'effigie de Johnny Hallyday  (les serveurs l'appellent d'ailleurs Johnny) déguste une Rochefort 10 et me regarde de temps à autre. Il finit par me lâcher : « Didjou, t'es comme moi, m'fi : t'as bon appétit, t'aimes bien mingi ! » Je lui réponds que manger est une des plus grandes joies de l'existence. Il me raconte une partie de la sienne : il a septante-neuf ans et c'est un ancien tailleur pour hommes et dames. « Si t'as un problème avec une tirette, je te la refais ! Avant, je réparais les tentures aussi, mais j'ai arrêté parce que ça demandait trop d'espace... » Le vieil homme a également exercé le métier de disc jockey : « J'ai plus de trois mille "33 tours" et presque autant de "45" ! Tu me dis ce que tu aimes et je te le trouve ! » Il possède des éditions collector de Johnny, évidemment, mais aussi, déclare-t-il, des albums de Buddy Holly, de Pink Floyd, des Beatles ou des Who (qu'il prononce curieusement « les Waughts ») en parfait état. J'ai pris sa carte de visite, à tout hasard : inutile de faire semblant de ne pas être intéressé...

Des vertus de l'insularité

À la question du philosophe : « Comprenez-vous cela ? », ils répondent à l'unisson : « Oui, nous comprenons, et nous allons le prouver ! »

Bien caché derrière les bons vœux du modérateur (« débat ouvert à tous », qu'il espère « libre », « fécond », etc., etc.), quel est le motif premier de l'organisation de toutes ces conférences philosophiques au théâtre Marni ? C'est Léandra qui, quatre jours plus tard, a extrait la réponse — nette, précise, tranchante, aiguisée comme la lame d'un couteau Tojiro — du fouillis désorganisé de mes paroles : ces soirées constituent un prétexte pour discuter en bonne compagnie ; une énième manifestation de l'esprit de club. La raison de ces réunions, c'est surtout de montrer qu'on a compris : ceux qui, après la conférence proprement dite, commentent, affirment et contredisent à tout-va font partie du groupe de ceux qui comprennent, du moins le pensent-ils. Et chacun de ces étalages de profonde compréhension est suivi de bien pire encore : de bourgeoises qui gobent, gloussent et acquiescent en lançant des « Ha oui ! » et des « Oh, très subtil ! ». (Elles boivent notamment l'agaçant commentaire de Jacques Sojcher débutant par : « Je dois t'avouer que ta conférence m'a prodigieusement énervé. »)

Au milieu de tout ce verbiage, une exception : la conférence d'aujourd'hui consacrée aux peintres Francis Bacon et Mark Rothko, que j'ai trouvée fascinante d'un bout à l'autre. Peut-être est-ce parce que l'orateur du jour, Jean-Claude Encalado, a eu le bon goût de rester en repli, de ne jamais discourir, mettant en avant les actes et les écrits des deux artistes ? Car les actes de ces deux-là montrent beaucoup plus que n'importe quel discours, et la meilleure façon de ne pas les trahir, c'est de ne pas interpréter, de ne pas dire quelque chose sur eux et sur leur œuvre, mais seulement de le montrer, par les anecdotes, les expériences de vie, les actes et ce qu'ils en ont dit (c'est-à-dire, parfois, pas grand-chose : Rothko était un adepte du silence, comme L.W. !).

— Lorsque l'une de ses toiles était utilisée comme décoration, Rothko ressentait une immense déception, proche du sentiment de trahison, et préférait la racheter. Cela, ajouté à d'autres actes et textes de l'artiste entendus lors de la conférence, me donne envie d'en savoir plus. Je pense que je vais commencer par ses rares textes publiés comme : Écrits sur l'art. 1934-1969 et La réalité de l'artiste. (À suivre donc.) 

Après le « débat », Alizé, Pat et moi nous installons à trois pour manger. La vingtaine d'autres convives s'installent quant à eux, ensemble, le long d'une longue table qu'ils viennent de créer. Remarquant notre isolation (comment ne pas la remarquer ?), je lance : « Ils sont la Grèce et nous sommes la Crète ! », ce à quoi Pat répond : « Bah ! C'est un joli pays, la Crète, non ? »

Fatecraft

Lorsque je m'intéresse à quelque chose, quel que soit ce « quelque chose », je le fais toujours de manière radicale ; je m'y intéresse vraiment. Est-ce à dire que je m'y intéresse avec passion ? Non : le terme est ici particulièrement mal choisi car j'associe la passion à quelque chose de chaud, d'impulsif et de corporel. Or, nulle passion ne me traverse pour l'instant : je suis en plein dans le froid, dans l'analyse et (sans doute trop) dans l'intellectuel ; dans une période faste donc. Faste mais froide. — Et voilà que je recommence : je digresse à coup de tirets cadratins ! — La focalisation idiote du moment* se nomme Fatecraft. C'est un jeu en ligne auquel je joue en compagnie d'amis (anciens et actuels) de la glorieuse alliance MonLégionnaire. Il se déroule dans un monde imaginaire et fantastique de style médiéval (vu l'utilisation de la pierre dans les constructions et le développement des villes, du commerce et des corporations, l'action, si elle se situait en Europe, se déroulerait à n'en pas douter à la fin du Moyen Âge). Réalisé avec un certain perfectionnisme et un sens du travail bien fait par une équipe indépendante originaire de Québec, ce jeu possède un aspect addictif tout en n'étant curieusement pas chronophage : on se balade sur une carte, on remplit des quêtes, on se spécialise dans un ou plusieurs métiers, mais on n'est pas obligé d'être tout le temps en ligne ; on programme sa journée de jeu puis on vaque à ses occupations quotidiennes. L'addiction est donc totalement différente de celle d'un World of Warcraft ; elle est en grande partie intériorisée : dans la rue, dans le tram, dans le train ou dans mon lit, je réfléchis, sans être connecté, aux prochaines actions que je vais accomplir, à la meilleure manière d'optimiser ma journée de jeu... Et tout bien réfléchi, c'est peut-être encore pire ! (À suivre.)

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* Non pas que je renonce à la philosophie car, en parallèle, je continue à lire. Je dévore en ce moment (entre autres) la Généalogie de la morale et je suis désespérément à la recherche de l'édition complète des Parerga et Paralipomena.

Ender

Train de retour vers Bruxelles en compagnie de Yama. — Oui, j'irai certainement voir Ender's Game au cinéma à la fin de l'année, mais je serai forcément déçu. J'imagine presque déjà la musique grandiloquente et les batailles spatiales épiques, qui mettront de côté tout ce qui fait de ce court roman d'Orson Scott Card (1985) un chef-d'œuvre inspiré : les réflexions stratégiques du petit Andrew « Ender » Wiggin, mais aussi sa psychologie et son incapacité, du fait qu'il a été choisi depuis sa plus tendre enfance comme seul espoir de l'humanité face à la menace des Doryphores, de vivre la moindre parcelle de naïveté enfantine. (Il est, de par son génie, sacrifié sur l'autel de l'utilité militaire.) — Comment rendre compte de tout cela dans un film à grand spectacle sans sombrer dans le harrypotterisme ? Comment rendre à leur juste valeur ces longues séances d'entraînement dans l'environnement très confiné d'une école spatiale ? Comment, encore, restituer le personnage légendaire de Mazer Rackham, le sauveur de l'humanité lors de la seconde invasion, le seul à avoir découvert le talon d'Achille des envahisseurs extraterrestres, c'est-à-dire leur esprit de ruche ?... Je me dis que le seul événement facile à filmer dans cette histoire, somme toute, c'est la chute renversante : ce moment incroyable où, après des semaines de simulation de combats spatiaux de plus en plus corsés, le jeune Ender se rend compte que son entraînement n'en était pas un et qu'il a annihilé toute une civilisation consciente, à l'exception d'un seul œuf, qu'il se chargera de protéger. (Un jour, je me ferai lyncher pour ma manie consistant à bafouer systématiquement la sacro-sainte règle du spoiler.)

Cueillette

Gare des Guillemins à Liège, de bon matin. Sur l'un des panneaux d'affichage, mon train en correspondance est annoncé à l'heure, sans aucun retard. « Ça alors ! » Je continue à marcher lentement tout en jetant un œil aux autres panneaux que je croise sur mon chemin. Plus loin, au moment de prendre l'escalator, un « +0H08 » écarlate s'affiche enfin : le train est en retard, rien ne change et me voilà rassuré.

Je vois des passagers qui pestent à cause d'un retard de train et remarque ceci : ces gens ne sont pas des habitués ; s'ils s'énervent, c'est parce qu'ils sont des néophytes du transport ferroviaire. De la part d'un navetteur journalier, le comportement face à un retard peut prendre toutes sortes de teintes, comme l'amusement, le rire nerveux, le cynisme désabusé ou encore la plus stricte neutralité, mais rarement l'énervement ou la colère. (Sauf, bien sûr, si la personne en question est un CADD).

« Tu me dis : "Qu'importe le cueilleur : un fruit reste un fruit !" — Je te réponds qu'un tel arbre n'existe pas ; que tu confonds "faits" et "interprétation des faits" ; que dans le verger des événements, la cueillette est déjà une transformation. » (Hans Winstub, Des faits et de leur interprétation, 1937.)

Fungi

Ma fille déclare soudainement : « Quand on dit : "Il ne faut jamais dire jamais", en fait c'est faux car on le dit deux fois. » Je lui réponds qu'il faudrait privilégier l'expression : « Il faut toujours dire toujours » qui, elle au moins, est logiquement vraie.

Ce dimanche est plus morne que le plus morne des dimanches de novembre, parce que nous ne sommes pas en novembre mais en mai. Assez curieusement, pour passer le temps alors qu'il pleut dehors, ma mère propose à Gaëlle de regarder le film Amadeus (ma maman propose donc aussi cette occupation aux enfants de la seconde génération). — Miloš Forman prend de nombreuses libertés par rapport à la biographie de Mozart mais il met en avant un trait intéressant de sa personnalité, qu'il n'est pas le premier à souligner : son côté enfantin. Dans Le monde comme volonté et représentation (tome II, livre III, chapitre 31), Schopenhauer cite à ce sujet une courte phrase du biographe allemand Friedrich Schlichtegroll, contemporain du compositeur : « Dans son art, il est devenu très tôt un homme, mais dans tout le reste, il est toujours resté un enfant », tout en ajoutant son point de vue personnel sur la question : « La raison première pour laquelle chaque génie est un grand enfant, c'est qu'il regarde le monde comme une chose étrangère, comme un spectacle, et donc avec un intérêt purement objectif. Ainsi, pas plus que l'enfant, il n'a cet esprit de sérieux, cette sécheresse qui caractérise les gens ordinaires, lesquels, incapables d'aucun intérêt autre que subjectif, ne voient toujours dans les choses que des motifs pour leur action. » — Si l'on suit cet exposé, pour être génial, il faut être adulte très tôt ou bien enfant très tard : deux comportements qui se rejoignent très facilement.

Dans la taxinomie moderne, à côté des règnes végétal et animal, on retrouve entre autres celui des Fungi. Le lobby des pizzaïolos a encore frappé !

Artificiel

Malgré la Lex Leandrae, malgré la loi martiale, malgré l'idée d'un seul petit texte par jour, je suis toujours en retard dans la rédaction de mon journal. La plupart du temps, je convertis les trois ou quatre paragraphes quotidiens (ceux que j'aurais écrits habituellement) en morceaux que je sépare à l'aide d'un simple tiret cadratin, de manière à ne pas me compromettre dans une sale et sombre histoire de plusieurs paragraphes. Mais c'est évidemment ridicule et artificiel, et à chaque fois que j'essaye d'être artificiel, ça ne fonctionne pas !

Gaëlle, dans la conversation courante : « Haruna n'arrête pas de parler de sexe. » (Sa voix traîne sur le dernier mot, qui résonne bizarrement.) « Il m'a dit que lorsque je serai plus grande, il aimerait sexer avec moi ! » — Curieux sentiment que celui qui consiste à imaginer un petit garçon de l'âge de ma fille en train de lui faire des avances sexuelles (d'autant plus que ce n'est pas la première fois).

« (...) et le soir, alors qu'il n'avait jamais connu que les lumières de la métropole, il vit pour la première fois la Lune qui, haute dans le ciel, éclairait la petite ville de sa pâle lumière : "Quel est donc ce laid disque abîmé qui nous gâche la vue ?" demanda-t-il, "Pourquoi faut-il qu'il soit si difforme et parsemé de trous ?" "C'est la Lune", lui répondis-je le sourire aux lèvres, "et nous ne l'aimerions autant si elle n'était point percée !" » (Jacques-Denys Quentin, Hôtel des Pèlerins, 1822.)

Caméléon

Je n'aime pas le corporatisme et j'ai toujours eu d'énormes difficultés ne fût-ce qu'à imaginer que je pouvais être proche (ou éloigné) d'un groupe de personnes simplement parce que je partageais (ou pas) l'appartenance à un même corps de métier. Aujourd'hui, je suis plus ou moins historien et archiviste, mais j'aurais pu choisir une tout autre voie : vendeur de crèmes glacées, mathématicien, jardinier, astronome, informaticien, ingénieur, cuisinier, philosophe, spéléologue, bibliothécaire, architecte ou encore libraire... Mais aurait-il fallu, si je m'étais dirigé vers ces métiers-là, que je me sente concerné par le destin des autres glaciers, mathématiciens, jardiniers, astronomes, etc. plus que par celui de n'importe qui d'autre ? Que je défende bec et ongles ma profession pour lui donner la place « qui lui revient » dans le merveilleux monde enchanté du labeur rémunéré ? — Que je sois médiéviste de formation tient presque du concours de circonstances : du fait que, enfant, j'étais émerveillé par les ruines des châteaux forts parsemant les hauts-plateaux ardennais de Belgique et du Luxembourg (mais j'étais aussi, de la même manière, à la même époque, émerveillé par les barrages, par les étoiles et par les grottes) ; du fait aussi que cette prof de français, en fin de secondaire, m'a gentiment rétorqué, sans plus d'explication : « Non. Toi, tu dois aller à l'université ! » (elle avait raison, mais pas pour les bonnes raisons) ; du fait enfin que, dans la mesure où je devais (du moins paraissait-il alors) étudier à ladite université, il a fallu que je choisisse quelque chose de léger mais pas trop, car j'étais, comme je le suis toujours aujourd'hui d'ailleurs, très fainéant. Par conséquent, j'ai choisi l'histoire dans l'idée de bifurquer, après seulement deux années d'études, vers la science du livre et des bibliothèques. Mais j'ai continué l'histoire jusqu'au bout avec, évidemment, le Moyen Âge comme objectif. (À quoi tout cela tenait-il et à quoi cela a-t-il servi ? À rien et à rien, si ce n'est, tout de même, à faire de belles rencontres amicales et amoureuse, à trouver une certaine forme de liberté et à m'amuser en travaillant sur l'histoire du jeu d'échecs en Occident.) — Aujourd'hui, je participe à une assemblée parce que c'est mon métier de participer à ces assemblées. Après la séance, je ne sais pas quoi dire, je ne sais pas quoi faire, je suis constamment gêné, mais je m'accroche pour paraître normal. Mes pairs trouvent naturel que je sois là et que je parle de tout et de rien avec eux. Ils me connaissent. C'est pourtant, je le sais, une imposture de tous les instants. J'aurais pu être marchand de crèmes glacées ou architecte tout en restant un imposteur quand même. J'aurais pu participer à un congrès de botanistes consacré dans son entièreté à la thigmonastie que je me serais comporté exactement de la même façon ! Manière compliquée, s'il en est, d'expliquer que je n'ai pas vraiment de métier, que je n'en aurai jamais vraiment et que je suis un imposteur quand j'essaye de m'en fabriquer un, socialement du moins.

Bon Samaritain

Jerry Seinfeld, George Costanza, Elaine Benes et Cosmo Kramer vont-ils mourir dans un crash, piégés à l'intérieur du jet privé qui est censé les emmener à Paris mais qui subit un méchant décrochage alors qu'il survole la côte Est des États-Unis (première partie du double-épisode final de Seinfeld, 1998) ? « Is this it? Is this how it ends? », crie Jerry. « It can't. It can't end like this! » Non, la série ne se terminera pas avec la mort des quatre principaux protagonistes. Dommage : ç'aurait pu être une belle fin malheureuse et bien abrupte, comme je les aime ! — Après quelques longues secondes de panique, les pilotes redressent l'appareil et le posent en douceur dans la localité imaginaire de Latham (Massachusetts) pour une courte escale. Se promenant dans les rues de la petite ville en attendant le redécollage de leur avion, les quatre amis assistent, sans jamais intervenir, à un carjacking à main armée : ils regardent, passifs, un obèse se faire dépouiller de sa voiture et se contentent de lancer de temps à autre des plaisanteries douteuses concernant son poids... Mais l'homme les remarque et signale leur conduite (ou plutôt leur non-conduite) à un agent de police, qui les arrête pour avoir enfreint une loi récemment votée dans le comté, du nom de « Good Samaritan law », selon laquelle le fait d'ignorer une personne en danger est un crime passible d'amende, voire d'emprisonnement. (Ironie de ce show à propos de rien : ils sont arrêtés pour... n'avoir rien fait !) — Alors vient le procès, ce drôle de procès qui clôt les neuf saisons hilarantes d'une des plus célèbres sitcoms de l'histoire des sitcoms américaines... L'idée derrière ce curieux final est facile à comprendre : il s'agit de transformer la toute dernière histoire en un immense et unique retour de flamme : pendant neuf saisons, ces quatre-là se sont souvent comportés comme des salauds sans nullement se faire inquiéter ; ils ont toujours fuit d'une manière ou d'une autre leurs responsabilités ; ils n'ont pas arrêté de mentir, tricher, voler et écraser les autres ; ils se sont comportés en parfaits égoïstes et, à aucun moment, ils n'ont fait preuve de la moindre empathie... Aujourd'hui, ils sont jugés pour un fait qui, en quelque sorte, résume l'ensemble de leur comportement passé. Nombreux sont ceux qui se pressent à leur procès et, dans l'assistance, certains sont là pour les voir tomber. À la barre, les témoins convoqués par l'accusation se succèdent à vive allure : la vieille Mabel Choate, à qui Jerry a volé un pain à l'arraché ; Robin, ancienne petite amie de George, qui a vu ce dernier bousculer et piétiner femmes et enfants pour sortir en premier d'un immeuble en feu ; etc. Finalement, au terme de tous ces témoignages, les quatre seront reconnus coupables par le jury et écoperont d'un an de prison ferme. — Est-ce une bonne sortie pour une série de cette qualité ? Il faudrait, pour répondre à cette question en toute connaissance de cause, que je regarde l'ensemble du show une seconde fois. Une chose est certaine : j'ai détesté ce procédé, hélas par trop fréquent dans les séries à succès, consistant à ressasser d'anciennes scènes tournées des années auparavant en les intercalant dans le fil de l'intrigue sous forme de flashbacks... Un bon scénario ne devrait jamais avoir recours à de pareilles redites ! (Voilà qui est exprimé même si tout le monde, à commencer par moi, s'en balance ! Maintenant, exit Seinfeld !)

Zone pluvieuse

Me plaindre du temps qu'il fait dehors ne sert à rien. C'est un peu comme si je me plaignais que le chêne perd ses feuilles en hiver : je n'ai aucune prise sur l'événement donc pourquoi me lamenter ? Le fait de me plaindre du temps, de la météo est quelque chose que je ne pratique qu'en société, et non pour moi-même : c'est une activité qui se déroule en compagnie d'autres humains qui acquiescent avec tristesse en lançant des « Eh oui ! » ou bien des « Pfff ! » de circonstance. Seul, il ne m'arriverait jamais de regarder par la fenêtre de mon appartement le soir et de soupirer en constatant que le ciel est couvert et qu'une ridicule petite bruine maussade tombe par intermittence sur la ville. Les conditions météorologiques n'ont aucune prise sur mon moral, mais lorsque je parle du temps avec des amis ou des collègues, il m'arrive pourtant parfois de lancer des phrases bateau comme : « C'est déprimant ! » — En Wallonie, un mot de trois lettres permet de décrire avec une assez bonne précision le temps qu'il fait en ce moment en Belgique : il fait cru. « Cru » est une belgicisme qui signifie à la fois froid et humide. Il fait cru lorsque, même emmitouflé dans un imperméable, l'humidité arrive à se frayer un chemin à l'intérieur des vêtements, jusqu'à la peau, et à donner au corps une sensation désagréable de froid mouillé. On entend parfois dire que les Inuits ont au moins douze mots différents pour décrire la neige, parce que cette dernière est de circonstance là où ils habitent, mais cette croyance est au mieux un beau raccourci sans trop de sens, au pire une information complètement fausse (voir ce lien ; le reste du site vaut la peine d'être lu ou, au moins, survolé). En Belgique, on pourrait croire, de la même manière, que nous avons de nombreux mots pour décrire le froid et l'humidité, mais il n'en est rien : nous avons seulement le mot « cru » en plus dans notre vocabulaire, et ce n'est déjà pas si mal. — Je sais à quoi me fait penser le ciel bruxellois depuis quelques jours : à l'album Astérix chez les Belges ! Dès que les trois Gaulois pénètrent dans la partie septentrionale de la Gaule, le ciel devient d'un gris uniforme et pesant, hommage à peine voilé de Goscinny et Uderzo au grand Jacques et à son ciel « si bas » et « si gris ».