Aigreur

Safari. — Hier, Alizé nous envoyait un petit message pour savoir si nous serions intéressés par un « safari à Charleroi » en novembre. Le concept, initié par Nicolas Buissart, « artiste multi-formes », est de faire découvrir la cité industrielle sous un angle inhabituel. Je cite le site Web dédié à cette initiative : « Visitez la ville industrielle la plus incroyable d'Europe. Élue "plus laide ville du monde" par un récent sondage néerlandais, Charleroi offre une large gamme d'attractions excitantes. Suivez-nous pour un safari urbain et découvrez l'endroit où la mère de Magritte s'est suicidée, la maison tristement célèbre de Marc Dutroux, le métro fantôme, la rue la plus déprimante de Belgique, grimpez au sommet d'un terril et visitez une authentique usine désaffectée. (...) »

J'étais sans doute de très mauvaise humeur pour répondre du tac au tac à toute la liste d'adresses : « Comment dire ? Étant donné que j'ai passé ma jeunesse à jouer sur des terrils ou dans des friches industrielles en banlieue de cette ville, ça ne m'intéresse pas vraiment. Je trouve même tout ça un peu déprimant, pour tout dire... », puis ajouter : « Quand je parlais de projet "déprimant", je faisais non pas référence au côté sinistré de la ville mais plutôt à l'idée d'organiser un safari dans une cité comme si l'on allait observer le "baraki" et le pauvre depuis une jeep. J'y vois de la condescendance plus que de l'humour. Mais je vous souhaite bon amusement quand même (j'attends votre feed-back avec une certaine impatience). »

Pas de quoi en faire un fromage pourtant, car à en croire le concepteur, « l'idée n'est pas d'enfoncer la ville plus bas qu'elle ne l'est. Au contraire, c'est de démontrer que nous, Wallons, nous pouvons faire preuve d'autodérision. » (Source.) Pourquoi est-ce que je n'aime pas alors ? Comme je l'ai écrit plus haut, c'est sans doute l'idée même de safari qui me dégoûte, ainsi peut-être que le petit côté racoleur et « merchandising » du site Web décliné en quatre langues, où l'on nous propose d'acheter un tee-shirt « I hou van Charleroi »...

Aujourd'hui, Alizé me répond (en commençant par « Cher Hamil ») que je ne peux pas juger de l'état d'esprit dans lequel elle et les autres se trouvent et que rien ne me permet de dire qu'ils y vont pour se moquer du « baraki ». « D'ailleurs, on est toujours le baraki de quelqu'un d'autre », ajoute-t-elle mystérieusement. Ensuite elle parle de découvrir cette réalité « avec bienveillance »... Bref. Je n'ai de toute façon jamais jugé de leur état d'esprit, mais simplement de celui du projet. Suis-je le seul à trouver moche l'idée d'un tel safari ?

Aigreur. — /ɛ.ɡʁœʁ/ n.f. ; du lat. acror, « saveur piquante ». Fig. Disposition d’esprit et d’humeur qui porte à offenser les autres par des paroles piquantes. « Tous ceux que nous avons longtemps fait attendre dans l'antichambre de notre faveur finissent par fermenter et succomber à l'aigreur. » (F. Nietzsche.)

Rédaction. Grève des chemins de fer ce mercredi : je travaille chez moi. « Chez moi », comme tout le monde le sait, ce n'est pas mon appartement silencieux mais un café bruyant du Parvis de Saint-Gilles, dont il n'est plus nécessaire de citer le nom.

Je reste des heures entières attablé à côté d'une des grandes fenêtres de la taverne. Je ne commande que du café et de l'eau pétillante. Rien n'existe en dehors de mon ordinateur et du texte, de plus en plus volumineux, dont je dois encore et toujours terminer la rédaction dans le cadre de mon boulot. (Cet article-là sera ma seconde grande aventure écrite de 2012, à côté du présent journal. Je ne suis cependant satisfait ni de l'un, ni de l'autre. — De toute façon, je ne suis jamais satisfait de quoi que ce soit.)

Léandra débarque alors que je suis installé à la même table depuis près de huit heures. Elle a rendez-vous avec des personnes de « l'impro » pour manger un morceau ou boire un verre avant leur séance... De mon côté, je suis plongé dans l'histoire de l'occupation de la base logistique d'Intermarché à Villers-le-Bouillet (c'est palpitant). « Vous pouvez vous installer ici », leur dis-je, « mais de mon côté, je continue à travailler. »
Le moins qu'on puisse dire, c'est que j'ai dû passer pour quelqu'un d'aigri. Je continue à me concentrer sur mon ordinateur et ne participe pas à la conversation... « Hé, Hamilton, ce serait bien que tu viennes faire de l'impro avec nous ! » Réponse : « C'est totalement hors de question ! » Je les imagine, à la suite de cette rencontre, lancer à Léandra, intrigués : « T'avais pas dit que c'était l'un de tes meilleurs amis ? »

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