Mélodies du petit matin

Certaines mélodies ne révèlent leur charge que dans la solitude du petit matin, alors que le soleil pointe seulement à l'horizon et que rien ne perturbe encore le silence de la nuit qui se termine, à l'exception peut-être du chant discret de quelques oiseaux très matinaux et de la rumeur lointaine de quelques voitures égarées. Ajoutons ne fût-ce qu'une once d'agitation citadine ou une lumière trop vive à ces perles délicates et elles perdront immédiatement une grande partie de leur vitalité : ce sont des mélodies du petit matin.

Kraftwerk, « Megaherz » (album Kraftwerk, 1970). — (C'est avec cette musique que tout commence. Avant elle, le petit matin n'existait sans doute même pas.) Qui pourrait croire en entendant le début bruitiste et angoissant que ce dernier disparaîtra après deux minutes environ pour laisser la place à... tout autre chose ? Aucune parole, aucun indice ne sont là pour me guider, pourtant c'est bien un lever du jour que j'imagine à chaque fois : de la deuxième minute à la cinquième, le calme précédant l'aurore ; de la cinquième minute à la neuvième, les premiers rayons du soleil brûlant le monde dans un léger crépitement.

Megaherz by Kraftwerk on Grooveshark

Neu!, « Leb' Wohl » (album Neu! 75, 1975). — Il y a une nette filiation entre cette mélodie et la précédente, dans la mesure où les deux fondateurs de Neu!, Klaus Dinger et Michael Rother, ont fait un bref passage par Kraftwerk au début des années 1970. Les morceaux sont en outre tous deux conditionnés par une ambiance très particulière, renforcée ici par le bruit des vagues et quelques timides paroles : « Tears come in my eyes. On a hill by the sea, we made love in the sand. The stars were shining and we were... free. » Une image de nuit étoilée et de totale liberté : si cette mélodie me fait curieusement penser au petit matin, c'est parce qu'elle est intimement liée à cette situation (un point dans le temps).

Leb Wohl by Neu! on Grooveshark

Valley of the Giants, « Bala Bay Inn » (album Valley of the Giants, 2004). — Je serais bien incapable d'expliquer précisément pourquoi la chanson « Bala Bay Inn » du supergroupe canadien Valley of the Giants me rappelle « Leb' Wohl » de Neu!, pourtant l'impression qu'il s'agit d'une subtile variation du même air est présente à chaque écoute, sans que je puisse pointer du doigt une séquence mélodique ou rythmique particulière. Peut-être le tempo ? Ou bien plutôt le sentiment de formidable liberté qui se dégage de la chanson, à travers cette histoire pittoresque d'un hôtel de l'Ontario, coincé entre une baie et un chemin de fer, où le temps semble s'être arrêté depuis le début du XXe siècle ?

Bala Bay Inn by Valley of the Giants on Grooveshark

Bill Callahan, « One Fine Morning » (album Apocalypse, 2011). — La seconde face du vinyle Apocalypse de Bill Callahan est traversée de bout en bout par une sorte de sérénité apaisante : les sujets abordés sont sombres mais leur transposition est tranquille, presque joyeuse. Il faut accepter les bons et les (très) mauvais côtés de l'existence, les surmonter : tel semble être le message. Le dernier morceau de l'album, « One Fine Morning », dans lequel même les montagnes s'inclinent devant le soleil levant, constitue une sorte d'apothéose de cette impression : un beau matin, tous les problèmes seront derrière nous et seul restera — dans toute sa fraîcheur — le présent.

One Fine Morning by Bill Callahan on Grooveshark

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