Fins de séries

Au boulot, sur l’heure de midi, la conversation tourne de nouveau autour du film Melancholiade Lars Von Trier. Mon chef Lodewijk (un passionné de cinéma, qui a travaillé plus de dix ans à la Cinémathèque de Bruxelles) est allé le voir hier soir. Il a bien aimé, mais en sortant de la salle, il ne sait pas très bien ce qu’il a vu. Un peu comme nous tous, quoi... "Quel est le sujet de ce film ?", demande-t-il à la tablée. À ce moment, je discute avec d’autres collègues mais le mot-clé "Melancholia" attire immédiatement mon attention. Je suis tout fou. Je fais de grands gestes énervés, j’ai les yeux qui brillent et je commence à déclamer mon explication du film, autrement dit que tout est une vision symbolique et fantasmée de la réalité, à l’exception de la première partie, filmée à la volée (dans le style du Dogme95), décrivant le mariage. Le reste du film, c’est dans la tête de Justine la dépressive. Bref, trêve de répétitions : grosso modo, je réexplique oralement tout ce que j’ai déjà écrit ici. La discussion dure presque une heure. Mes collègues écoutent mais ne sont pas très convaincus : certains rigolent ou me regardent avec de grands yeux. Je reviens constamment sur la symbolique du "golf 19 trous", du "pont", du "cheval psychopompe" (je fais même le malin en disant qu'en fait, tout compte fait, le cheval du film est un anti-psychopompe car il essaie de faire le trajet inverse en tentant de ramener une "morte" à la vie, oui, oui, c'est ça, Hamilton...) et de "la fusion quasi-sexuelle avec le néant et la mort". Je passe certainement pour un grand malade...

Pour conclure ma plaidoirie, je leur dis de visionner à nouveau cette œuvre en ayant mon explication à l’esprit. Ma collègue Sylvette me lance : "Pourquoi faut-il toujours que tu cherches une explication à tout ? C’est juste un film, c’est du cinéma, c’est pour se détendre...". J’ai une réponse toute faite à cette question : si je veux me détendre, je ne vais pas au cinéma ni ne regarde d’ailleurs un film de Von Trier. En outre, ça m’obsède de ne pas comprendre quelque chose. En sortant de la séance, ça m’énervait de penser que j’avais dû louper de nombreux éléments cruciaux. 

(Attention, les quatre prochains paragraphes contiennent des spoilers) Sylvette dit qu'il est parfois intéressant de ne pas comprendre la fin, de ne pas avoir d'explication, de rester dans le doute. Elle cite comme exemple le livre Moi qui n'ai pas connu les hommes de la romancière belge Jacqueline Harpman. Une histoire d'un groupe de femmes retenues prisonnières par de mystérieux gardiens qui, un jour, doivent fuir, laissant la cage ouverte et les femmes libres... Mais libres d'aller où ? Partout, elles ne rencontrent qu'un paysage désolé et la répétition malsaine des mêmes situations : des femmes enfermées dans des cages, qui ont eu moins de chance que le groupe de survivantes, car leurs cages à elles n'étaient pas ouvertes au moment de la fuite des gardiens. La mort de l'humanité semble au bout du chemin... Et, d'après Sylvette, aucune explication n'est donnée sur le pourquoi d'une telle situation. Aucun souvenir. Aucune mémoire. Ma collègue bibliothécaire m'a en tout cas donné envie de lire ce livre.

La discussion bifurque ensuite sur les fins de films ou de séries. Quelqu'un dans la salle a-t-il compris Lost Highway de David Lynch ou tous les éléments de la série Twin Peaks, du même auteur ? Non, mais mes collègues me proposent de me pencher sur la question (je crois qu'ils se foutent gentiment de ma poire). En y réfléchissant, plus tard, je me dis qu'il y a peut-être moyen de faire un rapprochement entre Lost Highway et Melancholia, dans le sens où les deux films sont composés essentiellement de deux parties, qui apportent deux perceptions totalement différentes d'une réalité somme toute identique.

Charlotte parle de la fin de Lost, qui est apparemment très décevante. Je ne me prononce pas car je n’ai jusqu’à présent jamais regardé un seul épisode de cette série. Si j’ai bien compris, à la fin, tous les protagonistes se rendent compte qu’ils sont morts d’un accident d’avion depuis le début de l’histoire et qu’ils attendent sur une sorte d’île/purgatoire. Ma mère m'en avait déjà parlé, en me disant qu'elle était elle aussi très déçue par ce genre de fin. Une fin du genre Ubik de Philip K. Dick, quoi (rien de nouveau à l'horizon). Ma maman avait aussi été extrêmement désappointée par la fin de la série Twin Peaks (la fameuse scène de l'agent Dale Cooper devant le miroir).


Pour terminer ce long repas de midi, je parle de la fin des Sopranos. À voir les réactions sur le Web, nombreux sont ceux qui la détestent, cette fin, couvrant le concepteur de la série (David Chase) d'injures pour avoir "bâclé" les derniers instants de cette formidable saga. Pour ma part, je trouve que c’est une des plus belles fins de l’histoire des séries, d’une intelligence inouïe. Pour résumer (faudra que j’écrive un texte entier sur le sujet, un de ces jours), lors du 21e et dernier épisode de la sixième et dernière saison, Tony Soprano, le "héros" de la série, est au restaurant avec sa famille. Une musique ponctue la scène. Plusieurs personnes ouvrent la porte, faisant retentir une clochette, et Tony, à chaque fois, relève la tête pour voir qui entre. La cinquième fois, Tony regarde et subitement, tout s’arrête : un cut to black surprenant, le noir complet pendant plusieurs secondes... Plus d’image, ni de son, ni de musique. Et puis le générique de fin. Et puis c'est tout ! Beaucoup ont fait le constat suivant : David Chase laisse le destin de la famille Soprano se poursuivre sans nous. Par ce troublant cut to black, il signifie que l’on arrête de suivre leurs aventures. Je suis presque certain que ceux-là ont tout faux. Le cut to black final, c’est la mort de Tony Soprano, tout simplement : il s'est fait buter, par derrière, d'une balle dans la tête et la série s'arrête avec lui. La scène est truffée de plans de caméra du genre "point de vue personnel" : à chaque fois que quelqu’un ouvre la porte du restaurant, le spectateur voit ce que voit Tony Soprano. La cinquième fois, même chose, sauf que ce que voit Tony Soprano est le noir absolu. Idem pour l'audition : le néant absolu. Bref, il est mort. Terminer une série de cette manière relève du génie. Un mauvais scénariste aurait fait éclabousser du sang sur les murs ; celui-là a préféré jouer de manière subtile avec l'intelligence du spectateur. Tout cela est d'ailleurs très bien expliqué dans un article (en anglais), réalisé par un gars qui avait beaucoup de temps à consacrer à ce sujet.

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Je passe ma soirée à la Maison du Peuple (ha ?). Dès mon arrivée, le serveur, un des plus sympathiques, le grand avec des longs cheveux bruns et une barbe, me lance : "Monsieur ? On s'occupe de vous ? Vous avez déjà eu votre Orval ?". Je suis un habitué et je suis prévisible. J'aurais pu lui sortir : "Absolument pas, je vais prendre un thé au jasmin s'il vous plaît", mais non : j'ai mes habitudes. Certaines mauvaises langues diraient que je n'aime pas le changement. Et elles auraient sans doute raison.

Léandra a une soirée de prévue aujourd'hui, mais peut-être va-t-elle me rejoindre plus tard. En attendant, j'expérimente un concept personnel : le fait d'être totalement seul entouré de gens

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Léandra finit par arriver. 

On parle de la perméabilité des attitudes chez l'être humain. Nous sommes depuis l'enfance habitués à copier, à singer les autres. C'est une question de survie, surtout au début de notre existence. Conséquence : les autres influencent notre façon de nous comporter de manière évidente, mais certains sont plus perméables aux comportements que d'autres...

Léandra a de nouveau dans son calepin un stock impressionnant de nouvelles devinettes visuelles. Elle est en mode "on" pour le moment : son cerveau, dès qu'il dispose d'un moment de libre, cherche sans relâche de nouvelles énigmes tordues à soumettre aux pauvres amis qui s'accrochent tant bien que mal à cette torture mentale.

On parle de plein d'autres choses, sans doute aussi.

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