Méthodes

Au travail en ce moment, un exercice intéressant : dans le cadre d'une prochaine publication, nous devons résumer plus de 180 ans d'histoire de Belgique en très peu d'espace (quatre-vingt pages au grand maximum). Un exemple extrême : pour introduire un chapitre, je suis chargé de présenter les caractéristiques générales de la période 1914-1939 en... une demi-page ! (Pratiquement, cela signifie que j'ai dû synthétiser le déroulement de la Première Guerre mondiale, ses conséquences, les évolutions politiques et sociales de l'entre-deux-guerres, le suffrage universel, le krach d'octobre 1929, la Grande Dépression et la montée des totalitarismes en Europe en moins de 2000 caractères.) Certains de mes collègues, soucieux du petit détail superflu, en feraient des cauchemars. Quant à moi, grand adepte de l'explication synthétique et des grandes généralisations, je m'en délecte !

L'exercice paraît facile de prime abord, mais c'est un leurre : l'histoire, traversée par les exceptions et les contingences, supporte très mal l'induction. Plus je diminue la taille de mon texte, plus ce que je raconte risque d'être faux. Pour éviter pareil écueil, je dois être d'autant plus précis que mon texte est court. Il existe néanmoins un seuil de saturation au-dessous duquel je ne puis descendre. Par exemple, si je devais résumer les causes de la Première Guerre mondiale en un seul terme, je n'y arriverais pas. (Mais il est tout de même intéressant de noter que dans pareil cas, ma mémoire me ressort directement un de ces mots hérités d'un cours d'école secondaire, voire primaire : « Archiduc » !)

Pour le moment, mon bureau ressemble à un champ de bataille : des photocopies et des livres sur l'économie belge (un autre sujet qui m'a été attribué) se battent pour arriver au-dessus d'une pile de joyeux bordel. Curieusement, alors que je refuse qu'une fourchette soit de travers lorsqu'elle est posée sur une table, ce chaos-ci ne me dérange absolument pas (c'est un véritable paradoxe que je n'ai pas encore résolu). Curieusement aussi, je m'y retrouve parfaitement : j'ai feuilleté tous ces livres et je sais quelle page je dois lire pour avoir accès à tel ou tel type de renseignement. Et comme d'habitude, je ne prends aucune note. Un jour, je me noierai dans la marée d'informations que j'aurai moi-même engendrée (et ce sera bien fait pour ma gueule).

Technique de ma collègue Wynka lorsqu'elle rédige : elle écrit un premier jet, puis un deuxième, puis un troisième, etc. Et aussi : elle surligne des pans entiers de son texte (en évolution constante donc) en jaune/bleu/vert pour se rappeler de ce qu'elle doit encore revoir/corriger/développer. Je la vois travailler de cette manière depuis cinq ans. C'est efficace pour elle (elle travaille très bien) mais j'ai tout de même le plus grand mal à comprendre comment c'est possible. L'idée même de « premier jet » me répugne : soit une chose est finie, soit elle ne l'est pas ; il n'y aucune place pour un entre-deux. — Quand j'observe Wynka travailler, je me rends compte du contraste saisissant entre sa procédure et la mienne. Car si je veux passer à un nouveau paragraphe, il faut que celui d'avant soit clôturé, autrement dit qu'il n'y ait plus aucun problème en suspens. C'est à cette seule condition que je peux écrire un second paragraphe. Et lorsque celui-ci est rédigé, il faut que je relise le tout (le premier et le deuxième paragraphe donc) afin de voir si le texte forme un flux homogène. (C'est sans doute la raison pour laquelle écrire un long texte suivi est un calvaire : parce qu'il faut que je relise constamment tout ce que j'ai rédigé, du début à la fin).

Souvenir d'une vieille discussion à la Bibliothèque royale, concernant la rédaction de mon mémoire :
« J'en suis seulement à l'introduction.
— Mais l'introduction, tu dois l'écrire en dernier lieu !
— Non. J'écris tout en suivant, de la première à la dernière ligne.
— C'est une très mauvaise idée. Tu vas te planter. »
(Erreur, erreur !)

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