L'image du bonheur

"La première image dont il m'a parlé, c'est celle de trois enfants sur une route, en Islande, en 1965. Il me disait que c'était pour lui l'image du bonheur et aussi qu'il avait essayé plusieurs fois de l'associer à d'autres images mais ça n'avait jamais marché. Il m'écrivait : il faudra que je la mette un jour toute seule, au début d'un film, avec une longue amorce noire. Si on n'a pas vu le bonheur dans l'image, on en verra le noir."

Aujourd'hui soir, durant la fin d'un trajet à vélo, seul, sur une piste cyclable à travers bois et à travers champs, je n'ai cessé de penser à cette première scène de Sans Soleil, de Chris Marker (1983). Une scène qui m'a marqué au plus profond de mon être et qui me marque encore à chaque fois que je la regarde... Trente-deux secondes de perfection. Le rythme, les silences, la voix, la succession des images, le noir : tout y est parfait, et à jamais.

La scène pose une question essentielle : qu'est-ce que le bonheur ? Ou, plus exactement : quelle image se fait-on du bonheur ? Chaque individu possède sa propre réponse, sa propre image.

Si je me suis remémoré cette scène à ce moment particulier de mon périple à vélo, c'est pour une raison très précise : j'ai retrouvé pendant une heure (à peine) mon image du bonheur... Seul, totalement seul, le soleil couchant devant moi, le premier quartier de lune à ma gauche, des champs à perte de vue... Quelques bosquets... Un chemin donnant sur un bois, à un kilomètre environ... Quelques nuages non menaçants... Une ferme au loin... Des grillons tout autour... Et cette odeur d'humus tellement propre à ces crépuscules du mois d'août... Voilà un tableau de la liberté ! Je me suis arrêté plusieurs fois et le temps, lui aussi, s'est arrêté, à plusieurs reprises. Durant ces quelques brefs interludes, je me suis senti libre, totalement libre, et j'ai retrouvé mon "image du bonheur". Je ne suis pas difficile, en fait. Sauf que je pourrais refaire le même chemin demain et ne rien ressentir du tout.

Je commence par la fin, mais tant pis : c'est le plus important. Le reste de la journée se trouve ci-dessous, dans un ordre qui ne bouleverse pas la chronologie.

* * * 

Aujourd'hui, toute ma journée est placée sous le signe du vélo. En effet, je dois rejoindre Tom, son ami Alexandros ainsi que Jessy à Namur pour un "fietstrip", pour reprendre le mot de Tom. Mes trois comparses sont plus motivés que moi : ils veulent faire Bruxelles-Maredsous ce premier jour ; Maredsous-Chimay le deuxième jour ; Chimay-Dinant le troisième, et puis revenir à Bruxelles. Dès le départ, je ne suis partant que pour un jour. Raison principale : ma fille est chez mes parents et, pour cette unique semaine de vacances avec elle, je veux être présent, m'en occuper et pas spécialement courir les routes de manière inconsidérée.

Première étape de la journée : rejoindre tout le monde à Namur. Je pars de chez mes parents (qui habitent Falisolle) par un temps maussade, avec mon Minerva vieux de plus de quinze ans mais néanmoins très bon, et je parcours sans trop de problèmes les quelque 25 kilomètres qui me séparent de Namur. Le rendez-vous est fixé chez Pat et Alizé, qui habitent cette bête ville, ou plus exactement qui habitent "La Plante", comme aimera le rappeler Pat. "La Plante", c'est un lieu-dit namurois, un petit village pas loin du centre historique de Namur qui a été intégré à la ville lors de la fusion des communes... Pat a prévu une "collation" pour le midi. Par collation, il entend : des bières et des chips en apéro, un spaghetti à la bolognaise avec du vin en plat principal, un dessert, des Calvados et des cafés... Y a pas à dire : Pat sait recevoir. Pour l'occasion, arrivent aussi en voiture FBsr, Alineke, avec leur fils Marc Aurèle, et Ophely (enceinte jusqu'au dents, mais ça ne se voit pas trop). Marc Aurèle est le portrait craché de FBsr (lunettes, bouille générale) sauf qu'il a les cheveux blonds, presque blancs. En le voyant, je pense à mon amie Léandra, plus particulièrement à son "type d'hommes", et une blague qui ne ferait rire personne à la table me traverse l'esprit.

Après un midi copieux, Tom, Alexandros, Jessy et moi finissons par prendre la route vers Maredsous : nous longeons la Meuse jusqu'à Anhée, puis le RAVeL de la Molignée jusqu'à la fameuse abbaye. Le groupe est sympa, je les apprécie tous. Tom, pas besoin de le décrire... Alexandros, je ne le connais pas bien et ça fait des années que je ne l'ai plus vu (il voyage tout le temps, c'est même une curiosité qu'il soit en Belgique). Il a une discussion intéressante. Par exemple, sur la capillarité de l'eau : "On représente toujours un goutte d'eau avec le haut pointu mais cette forme, elle ne la possède que lorsqu'elle est démarre du robinet. Sinon, elle est toujours plus ou moins sphérique." On en vient à se demander combien de temps il faut à une goutte de pluie pour parcourir la distance qui la sépare du sol... Dernière randonneuse : Jessy est une musicologue qui a fait des études de lutherie en Italie. Elle est assez "nature" (à Marc Aurèle durant le repas chez Pat : "Les requins ne sont pas méchants, ils ne font que manger pour survivre") et toujours souriante. Bref, un bel après-midi.

Nous buvons des verres à Maredsous (à la brasserie, ils vendent des planches de dégustation "trois bières" : si j'en crois mon expérience récente, c'est à la mode pour le moment). Nous faisons encore une petite partie du trajet ensemble, puis les trois randonneurs décident de faire du camping sauvage dans un champ. Je les quitte à Maredret et je continue ma route vers chez moi. 

La suite, je l'ai déjà racontée.

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