Archives annuelles : 2011

Réveillon

Certains de mes invités ont-ils remarqué la disposition du jeu d'échecs installé sur la commode près de la table ? Sur le plateau de jeu, neuf pièces censées symboliser les neuf personnes présentes à ma soirée de Réveillon. Parmi les blancs, le roi, la reine, le fou gauche, le cavalier droit et un pion ; parmi les noirs, le roi, la reine, le fou droit et la tour gauche. Une des symboliques possibles, parmi les nombreuses combinaisons, est la suivante : les deux couples sont les deux paires de monarques (Léandra et Jonas sont-ils les noirs ou les blancs ?) ; Walter et Andrew les deux fous/évêques ; Emily la tour ; Flippo le pion ; moi le cavalier. 
Je m'étais dit au départ que les pièces auraient pu évoluer sur l'échiquier en fonction du déroulement de la soirée : une personne s'en allant se traduirait par le retrait de sa pièce de l'échiquier ; une personne arrivant, au contraire, par l'ajout d'une pièce ; une dispute qui éclate par la création d'une menace (ou d'un échec)... Néanmoins, j'ai, et ce dès le début de la soirée, complètement oublié de m'occuper de ce putain de jeu d'échecs. Aucune pièce n'a donc bougé, comme si rien ne s'était passé du tout. Pas grave : de toute façon, après réflexion, je trouve cette idée "d'échiquier mouvant" un peu nulle. 

Comme d'habitude, j'ai profité de l'occasion pour mettre une cravate. Arrivés en premiers, Jonas porte un nœud papillon et Léandra est joliment vêtue de blanc. Plus tard, sur le pas de ma porte, Andrew soupire : "Oh non ! Ne me dites pas que vous avez fait des efforts vestimentaires !". Quant à Flippo, il se moque (entre autres) de ma "laide cravate", du moins en début de soirée (l'alcool aidant, il finira par la trouver jolie).
Léandra m'offre un "cadeau de Noël en retard" : elle a eu l'excellente idée de m'acheter une bande dessinée (ou plutôt un "roman graphique", comme on dit) intitulé Logicomix, une œuvre qui devrait assurément me passionner puisque les principaux protagonistes sont de véritables héros-philosophes à mes yeux : Bertrand Russell, Ludwig Wittgenstein et une armée de logiciens ! Je donnerai sans doute très prochainement dans ce même journal mes impressions de lecture.

Comme apéro, j'ai décidé de réitérer le cocktail que j'avais proposé, il y a une dizaine d'années, à un réveillon organisé dans un ancien appartement (celui dans lequel je logeais, à la lisière du Bois de la Cambre, lorsque j'étudiais à l'ULB) avec certains des mêmes invités d'ailleurs : 1/5e de Disaronno, 1/5e de liqueur de groseilles, 3/5e de jus d'orange (en théorie mais c'est meilleur quand il y en a moins), le tout passé au shaker, auquel on rajoute un soupçon de mousseux (normalement, il faut du Champagne, mais ça me dérangeait de le diluer dans un cocktail). L'aspect visuel est assez répugnant (on dirait de l'eau stagnante !) mais c'est quand même très bon. 
Jonas s'occupe des toasts (il est très déçu de ne pas avoir trouvé du pain de mie, "comme en France") et Emily des Saint-Jacques à la fondue de poireaux (entre autres), une recette simple, paraît-il, mais délicieuse. Pour le plat principal, nous disposons de deux appareils à pierrade/grill/raclette. Quatre personnes ont apporté de la viande et des sauces, Andrew a apporté différents poissons marinés. Emily, qui revient de ses vacances à la montagne, a ramené du fromage. Cela fait en tout plusieurs kilogrammes de viande, dont l'engloutissement total relève de l'utopie : à la fin du repas, je devrai en congeler près de la moitié. Comme dessert, un tiramisu concocté par Léandra, ainsi que des biscuits italiens. Enfin, à minuit, j'ouvre deux bouteilles de Champagne Malard. Il m'a été conseillé par un vendeur de chez Nicolas (le magasin de vin) mais est loin d'être le meilleur que j'ai goûté de mon existence.

En seconde partie de soirée, nous jouons à différents jeux : Shabadabada, dont le règlement est resté assez flou (tous les protagonistes n'avaient pas les mêmes règles en tête, apparemment), Privacy (le jeu dont j'ai déjà parlé il y a presque six mois) et même Questions pour un Champion (Andrew se précipitera sur les cartes pour faire son Julien Lepers, seul rôle qu'il aime jouer).

À la toute fin de la soirée, ne reste plus que Flippo et Walter. C'est plus ou moins à partir de ce moment que je commence à leur "piquer" des clopes et à fumer (comprendre : c'est à partir de ce moment que suis commence vraiment à être saoul). Flippo s'en va prendre le premier métro vers 6 heures du matin. Walter, quant à lui, reste plus tard encore. Nous carburons à la bière pendant que Walter fait son Julien Lepers, me posant des questions en série (contrairement à Andrew, j'adore répondre à ce genre de quizz). 

Après le départ de Walter (vers 8h30 environ), je me mets à tout ranger frénétiquement et à faire l'énorme vaisselle restante : impossible d'aller me coucher sans avoir tout nettoyé. Vers 10h30 du matin, je suis content du résultat et je peux enfin m'endormir comme une masse.

Déprime et intelligence

"Journal : le besoin de consigner toutes les réflexions amères, par l'étrange peur qu'on arriverait un jour à ne plus être triste..."
(Cioran, Le crépuscule des pensées, 1940)

Après un début de journée passé en compagnie de mes parents et de ma fille dans un village de l'Entre-Sambre-et-Meuse, je suis de retour dans mon appartement bruxellois. Walter passe chez moi pour m'apporter un appareil à pierrade et raclette (demain, nous fêtons le Réveillon dans ma salle à manger, bigre !). Walter n'a presque plus de souffle, il est fiévreux : c'est, dit-il, une "rechute", neuf jours après [voir à la date du 21 décembre, dernier paragraphe] l'inoculation de six vaccins destinés à le protéger des éventuelles horribles infections qu'il pourrait attraper lorsqu'il sera au Congo dans moins d'un mois.


Walter est en voiture et nous allons boire un verre au Parvis de Saint-Gilles. À nouveau, je note sur mon téléphone portable plein de mots-clés pour me rappeler de ce dont nous avons parlé mais, comme à chaque fois ou presque, je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir en faire, de ces mots, et surtout comment rendre mon texte cohérent et un tant soit peu intéressant.
Un des sujets de discussion tourne autour de la relation entre la dépression (dans son sens le plus courant, c'est-à-dire un trouble qui entraîne du désespoir, une perte d'envie, de motivation et de confiance en soi...) avec l'intelligence : les gens intelligents sont-ils plus soumis que les autres à la dépression, à la déprime, au "spleen" ? 
Je raconte une anecdote à Walter : durant mes courses de Noël, à la librairie Tropismes, je suis tombé sur (et j'ai failli acheter pour Andrew et pour lui) un livre intitulé Trop intelligent pour être heureux ? L'adulte surdoué, écrit par la psychologue Jeanne Siaud-Facchin. La quatrième de couverture est éloquente :
"Et si l'extrême intelligence créait une sensibilité exacerbée ? Et si elle pouvait aussi fragiliser et parfois faire souffrir ? Être surdoué est une richesse, mais c'est aussi une différence qui peut susciter un sentiment de décalage, une impression de ne jamais être vraiment à sa place. Comment savoir si on est surdoué ? Comment alors mieux réussir sa vie ? Comment aller au bout de ses ressources ?"
Nous en arrivons au constat suivant : à trop observer, réfléchir et analyser une situation donnée, on ne peut qu'être décalé et dans la totale incapacité de vivre l'instant présent. 

Les personnes intelligentes, dans la mesure où elles comprennent tout plus vite, mieux et de manière plus profonde (bah oui), se rendent compte que la vie n'est qu'une somme de tragédies et d'absurdités : une petite planète qui trace sa "route" dans le néant et le vide absolu ; aucun but à notre existence ; un concours de circonstances totalement abracadabrant qui fait que nous vivons et que nous nous en rendons (hélas ?) compte ; la douleur et la mort au bout du chemin ; bref : l'humanité, une merde de mouche dans le Cosmos... Alors, que faire, si ce n'est tomber dans la déprime ou, afin de ne pas y sombrer, dans des croyances ou des religions sans fondement ? Ou encore faire n'importe quoi, tiraillé entre son éducation structurante et des expériences de vie qui ne le sont pas.

Baudelaire, qui s'est laissé aller à la pensée aristocratique (avec ou sans raison – ça le regarde ; dans un sens, je le comprends) et qui était loin d'être un con, a bien cerné le problème : "(...) ce que je sens, c'est un immense découragement, une sensation d'isolement insupportable, une peur perpétuelle d'un malheur vague, une défiance complète de mes forces, une absence totale de désirs, une impossibilité de trouver un amusement quelconque." (Lettre à Madame Aupick, sa maman, 30 décembre 1857)
Walter dira, à raison : "C'est là que l'expression 'imbécile heureux' prend tout son sens" : l'imbécile ne se pose pas de questions, il est content de tout ce qu'il rencontre dans l'existence, blablabla... Mais Walter et moi ne sommes même pas certains que ce soit vrai : des idiots dépressifs, ça existe aussi (nous avons plein d'exemples en tête). Je me rends bien compte, en écrivant tout cela, que je suis à la limite (à la limite ?) de l'élitisme et de la prétention déplacée, mais je m'en contrebalance.
Il a également été question du travail comme d'un moyen de lutte contre la dépression : en travaillant, on se rattache à une routine, à un horaire, on se sent moins hors système. À y réfléchir, c'est totalement paradoxal : le temps de travail, tel que je le conçois, devrait être limité au plus strict minimum tant il est abrutissant. En optimisant au mieux les compétences, les créativités de chacun, on pourrait travailler beaucoup moins. Cioran encore : "Le travail : une malédiction que l'homme a transformée en volupté" ; ou Russell : "L'un des symptômes d'une proche dépression nerveuse est de croire que le travail que l'on fait est terriblement important". Quand je lis Russell, je me dis que je ne suis pas dépressif. (J'y reviendrai (un jour).)

* * *

Nous décidons d'aller manger une pizza à la pizzeria de la Place de Bethléem, à deux pas du Parvis. Walter, exténué par ses vaccins (dit-il), prend sa voiture pour aller jusque-là. Nous faisons le tour du quartier pendant un quart d'heure, tout ça pour... nous garer à 100 mètres du Parvis.

Je m'étais déjà rendu quelques fois dans cette pizzeria mais toujours en terrasse, en été ou au printemps, jamais à l'intérieur. À l'intérieur, c'est... euh... différent. Il n'y a pas de serveur, simplement un type qui arrive de temps en temps pour nous servir, mais nous voyons bien que c'est le cadet de ses soucis. Son problème, à lui, c'est de parler avec d'autres gars d'un truc qu'il montre du doigt sur l'écran de son ordinateur portable. "C'est une couverture, c'est clair", dira Walter. La pizza, par contre, est délicieuse.

Walter me parle d'un curieux épisode de Columbo, "Last Salute to the Commodore" (1976), un des seuls de la série au cours duquel Columbo n'est lui-même pas certain du coupable (un affront au canon "columbien"). En effet, contrairement à la plupart des épisodes, le coupable est révélé à la fin : un "whodunnit", comme on dit dans le jargon policier (un "truc" plus typique d'Agatha Christie que du lieutenant à l'imperméable) !

Walter (en forme tout compte fait, malgré ses vaccins) parle également du rapport entre l'existentialisme de Sartre et En attendant Godot de Beckett. Dans la mesure où je ne connais ces sujets que de manière très superficielle, je suis bien incapable de comprendre, ni même de répondre quelque chose de sensé.

Emily revient de ses vacances en Haute-Savoie : elle est quelque part entre l'aéroport de Zaventem et la Gare de Bruxelles-Midi. Elle doit nous rejoindre. Après avoir mangé notre pizza, nous allons à sa rencontre et la retrouvons dans une rue de Saint-Gilles, avec son sac à dos et sa valise à roulettes qui fait du bruit (roulouroulouroulourou sur les pavés). La rencontre se passe presque exactement en face de l'immeuble où vit de Léandra.

Nous terminons la soirée à l'Union. Emily et Walter remarqueront à plusieurs reprises que "c'est bien mieux qu'au Verschueren", "qu'il y a moins de poivrots", "qu'il y a plus d'étudiants". Normal : quand on est étudiant et qu'on est au Parvis, on va à l'Union (rien n'a changé en dix ans). N'empêche : je préfère le Verschueren, je persiste et signe, et je vous emmerde tous autant que vous êtes !

Planning

6h16 : réveil.
6h32 : départ de l'appartement.
6h41 : arrivée du tram (station Albert).
6h57 : départ du train (gare de Bruxelles-Midi).
8h02 : arrivée du train (gare de Liège-Guillemins).
8h09 : arrivée du bus (devant la gare).
8h27 : arrivée au boulot (Jemeppe-sur-Meuse).
8h28 : préparation du café.
8h31-12h20 : travail.
10h04 : Aurèle passe pour se prendre un café et remonte directement dans son bureau.
12h21 : arrivée du livreur de Pizza.
12h24-13h14 : repas.
13h15-17h10 : travail, mise en ligne d'un article qui ne ressemble toujours à rien.
17h19 : départ du bus pour le centre de Liège.
17h47 : départ du train pour Namur-Charleroi.
18h47 : arrivée à la gare, où ma mère m'attend, en voiture.
19h01 : arrivée chez mes parents.
19h45 : souper.
21h44 : Gaëlle au lit. Histoire de Schtroumpfs et de bateau fantôme pour l'endormir.
Vers 22h : devant la télévision, avec ma maman, film Jo, avec de Funès et Blier.
0h44 : épisodes de Futurama dans mon lit.
2h17 : dodo.

(Et ouais : je rattrape le retard comme je peux, et je n'ai pas envie de me fouler pour une journée où il ne se passe pas grand chose.)

"Hamilton & le Temple du Conformisme"

Qu'est-ce que je vais bien pouvoir raconter aujourd'hui ? Si j'avais été un tantinet malin, j'aurais divisé le sujet d'hier en deux parts plus ou moins égales et gardé le morceau sur la psychologie comportementale pour ma journée de mercredi. J'aurais alors procédé comme dans un double album de Tintin : à la fin de la première partie, j'aurais tenté de garder le lecteur en haleine grâce à une série de questions ridicules :
La violoniste du Parvis de Saint-Gilles est-elle totalement dingue ? Combien d'argent Joshua Bell a-t-il récolté durant son expérience dans le métro de Washington ? Quels résultats Solomon Asch arrivera-t-il à tirer de son test de vision ? Asch est-il ophtalmologue ? Les humains ont-ils du caca dans les yeux ? Tout ça, vous le saurez dans le prochain épisode des aventures d'Hamilton, "Le Temple du Conformisme" !  

Hé bien non, c'est raté. Je vais être obligé d'écrire ma journée "passionnante" de ce mercredi.

Je me lève à 6h16, je pars de mon appartement à 6H32 et j'arrive à la Gare de Bruxelles-Midi à 6h47. À la sortie du prémétro, je prends un café et une bouteille de Coca-Cola dans un des commerces adjacents. Mon train de 6h57 est à l'heure. Le voyage se passe sans problème. 
Arrivé à la gare de Liège-Guillemins, avant d'aller chercher mon bus, je reprends un café à l'Espress "Oh" Juice. Le gars est un passionné du café : chaque semaine, il propose un café différent, ainsi que de délicieux "Macchiato". Il fait aussi des Smoothies, que je n'ai jamais goûtés. (Je pourrais sans doute écrire plusieurs articles sur le café, mais je garde ça pour une prochaine fois.)

J'arrive au boulot à 8h22 (en avance donc). Seul mon collègue Aurèle et une des stagiaires en bibliothéconomie sont présents aujourd'hui. C'est le calme absolu. Sans succube collègue pour me distraire, je travaille sans discontinuer. Je termine la réécriture d'un article sur les partis politiques sur le Web qui doit être en ligne demain. Notre vie (institutionnelle du moins) en dépend. Si cet article n'est pas en ligne, nous allons à l'encontre de très graves ennuis, etc., etc.

Et puis, je reprends mon train dans l'autre sens, je passe ma soirée seul à la Maison du Peuple. Je ne parle à personne, si ce n'est aux serveurs pour leur demander à boire. Et puis je rentre chez moi. Tout ceci est terriblement passionnant.
Asch_experiment

Génies hors contexte

Je pourrais écrire que mon train direct pour Liège a été supprimé pendant les vacances scolaires et que, comme d'habitude, ce changement d'horaire m'est complètement sorti de l'esprit le premier jour de son application.
Je pourrais écrire qu'à mon boulot, seul ou presque, je dois terminer en quatrième vitesse la mise en ligne d'analyses d'éducation permanente, sous peine d'excommunication.

Je pourrais écrire que je suis allé voir une série de courts métrages animés de Bill Plympton avec Léandra au ciné-club du Potemkine ce soir.
Je pourrais écrire que Léandra est très heureuse en ce moment car tout se passe bien avec Jonas, son amoureux, qu'elle va rejoindre en Normandie ce mercredi.
Cependant, je n'écrirai rien de tout cela car j'ai décidé de me consacrer aujourd'hui à une seule question, que Léandra et moi avons soulevée à la brasserie Verschueren, une heure après avoir souri devant les curieux dessins animés de Bill Plympton. 

* * *

Pour comprendre la question qui va suivre, il faut tenir compte de trois éléments.
1) À l'intérieur du Verschueren, la "violoniste attitrée" du Parvis de Saint-Gilles est venue jouer à 50 centimètres de notre table. C'est une dame curieuse, qui passe pour une folle mais qui vaut la peine d'être vue et entendue au moins une fois : elle joue du violon de manière légèrement hystérique, en pinçant de temps en temps quelques cordes ou en agitant son archet de manière saccadée. En parallèle, elle chante (ou plutôt crie), soit dans un registre très aigu, soit au contraire dans un registre très grave. Je n'ai jamais compris ce qu'elle chantait. Ça ressemble à "Ognomonokotomononono... Gniiiikitttikimigniiiikitimiki..." (j'ai fait une recherche sur Google mais ça n'a rien donné).

2) Parlant de violon, je mentionne l'expérience musicale, digne d'un test de psychologie sociale et devenue célèbre – l'initiateur, Gene Weingarten du Washington Post, a gagné un Pulitzer pour l'article qu'il en a tiré –, qui a eu lieu le 12 janvier 2007 à Washington, dans la station de métro "L'Enfant Plaza" : Joshua Bell, violoniste virtuose américain, coiffé d'une casquette de baseball, interprète incognito dans la station six morceaux du répertoire classique pendant 43 minutes, sur son Stradivarius vieux de près de trois siècles (le Gibson ex-Huberman de 1713). Conclusion du journal : sur les 1097 personnes qui sont passées devant lui, très peu (sept pour être exact) se sont arrêtées pour l'écouter réellement, une seule dame l'a reconnu (elle lui donné 20 dollars) et, en dehors de ces 20 dollars "de reconnaissance", il a reçu en tout et pour tout 32 dollars et 17 cents. Car oui, comme le notera Weingarten, certains des passants ne lui ont donné que de simples petits pennies...
3) Je parle à Léandra d'Orson Welles et du fait qu'il a été très vite reconnu comme un génie. Rien de plus normal : c'était un enfant extrêmement précoce, du genre à adapter du Shakespeare à l'école élémentaire... Nous avons également brièvement parlé de Mozart : selon un consensus général, Mozart était également un génie... Tout le monde (ou presque) est d'accord, mais pourquoi ? La plupart des gens (moi y compris) tiennent pour acquis le fait que Mozart était un génie non pas à l'écoute de son œuvre mais parce que les spécialistes ont toujours pensé, dit et écrit que Mozart était un génie (et ils ont d'ailleurs sans doute raison, mais ce n'est pas le propos).

* * *

Tous ces éléments se combinent pour donner naissance à la question du jour : est-il possible de reconnaître un génie (ou un virtuose) en dehors de tout contexte ? Question qui découle de la première : comment un public donné décide-t-il qu'une personne est (ou n'est pas) un génie ? 

Revenons à la "violoniste du Parvis", lançant ses sons stridents à l'intérieur du café, sous le regard amusé, moqueur ou interloqué des clients. Déplaçons la dans un autre environnement. Par exemple, disons que c'est la nouvelle violoniste avant-gardiste du moment, qui vient de sortir un album chez le label ultra-indépendant Constellation Records. Rajoutons à cette situation hypothétique quelques critiques dithyrambiques par-ci, par-là, de la part des Inrockuptibles ou d'autres journaux branchouilles. À ce moment, il se trouvera toujours des personnes pour adorer la violoniste... Pourquoi ? Parce que si des critiques disent que c'est bien et que plein d'autres gens qui ont lu les mêmes critiques disent que c'est bien, ben c'est que c'est forcément bien, t'as rien compris à la vie, toâââ ! 

Ce texte n'a ni queue ni tête. Comment vais-je retomber sur mes pattes ? Aucune idée... Et puis, je m'en fous un peu. La thérapie, tout ça...

L'exemple de la violoniste du Parvis est imaginé (elle existe bel et bien mais n'a pas encore rejoint un label musical), mais des exemples bien réels existent. Prenons Queen : presque tout le monde trouve que c'est fantastique, Queen... Même des gens très bien comme Flippo ou FBsr ! Pourtant, Queen, c'est de la merde en barres. J'aurais presque envie de dire que c'est encore pire que U2. Et pourtant je déteste U2. Mais je m'égare...

Joshua Bell, c'est l'exemple inverse : c'est un virtuose du violon (qui le dit ? Bah, les gens !) mais il n'a pas été reconnu comme tel par le public du métro de Washington. Pourtant, il y a fort à parier que si le même public avait écouté le même concert dans une salle consacrée à la musique, en sachant qu'ils écoutaient un virtuose, beaucoup auraient sans doute été chamboulés. Peut-être certains auraient même fondu en larmes devant tant de beauté blablabla.

* * *

Et c'est là que Léandra me dit : "Oui, et alors ? C'est normal !"

Peut-être est-ce normal, mais ça me fiche les jetons. Ça me fiche les jetons de penser que nos comportements, nos goûts, nos pensées, nos perceptions du monde sont forgées par l'idée que se font les autres de ce monde. Si je suis à un repas d'amis composé de 9 personnes et que mes 8 amis soutiennent que Queen est le plus grand artiste de tous les temps, vais-je arriver m'opposer à l'écrasante majorité ?

(Calme-toi, Hamilton, tout doux... Ça va aller, ça va aller...)

C'est la question que s'est posée Solomon Asch dans les années 1950. À cette époque, Freddy Mercury n'était encore qu'un enfant et le monde de la musique était en paix. Mais je m'égare à nouveau...

Dans l'expérience de psychologie comportementale d'Asch, il est demandé à un groupe d'étudiants (de 6 à 8 personnes) de participer à un "test de vision". En fait, il ne s'agit pas du tout de ça : dans le groupe, tous les étudiants sont de mèche avec l'expérimentateur sauf un seul, qui est le véritable "sujet" de l'expérience. Le test est très simple, presque stupide : une "ligne de référence" est présentée. Ensuite, l'expérimentateur pose à chaque membre du groupe une question concernant trois lignes (A, B et C) de longueurs différentes. Chaque membre du groupe doit donner sa réponse de vive voix et le sujet (le seul qui n'est au courant de rien, donc) est toujours le dernier ou l'avant-dernier à donner sa réponse. Exemple de question : "Laquelle de ces lignes est de la même longueur que la ligne de référence ?" :

Normalement, dans le cas ci-dessus, tout le monde devrait donner la réponse "C", c'est votre dernier mot ? Oui c'est mon dernier mot. Cependant, si tous les autres étudiants avant lui donnent une mauvaise réponse, il arrive que le sujet donne aussi la mauvaise réponse, pour rester en conformité avec le reste du groupe. Ainsi, sur 123 participants (uniquement des hommes dans l'expérience initiale), seul environ un quart n'a jamais donné une réponse fausse par conformisme ; les trois autres quarts l'ont fait au moins une fois (dont 5% qui se sont conformés à chaque fois !).

C'est à la fois effrayant et somme toute assez logique. Ça ne veut pas dire que les sujets sont stupides ou ont du caca dans les yeux ; ça montre simplement le poids de la pression sociale. Les mauvaises réponses du sujet peuvent être comprises de différentes manières : par la volonté de faire plaisir, d'être poli, de ne pas créer de dispute, de se faire apprécier des autres, de ne pas se poser en dissident ou même, tout simplement, par l'idée qu'il est plus rationnel, sur un jugement d'ordre purement visuel, de se conformer à un groupe plutôt qu'à sa propre perception (mais c'est une très mauvaise idée de penser une chose pareille, si on me demande mon avis). 

Tout n'est pas perdu cependant : si une seule voix dans le groupe (autre que le sujet) donne la bonne réponse alors que tous les autres en donnent une autre, le sujet saute très souvent sur l'occasion pour répondre correctement (seuls 5 à 10% des sujets se conforment alors encore à la mauvaise réponse). C'est une des preuves que l'expression d'une dissidence, même très minoritaire, dans un groupe dont l'opinion est a priori unifiée peut susciter un rapide ralliement. On pourrait aller encore plus loin et se dire que le ralliement à la dissidence n'est somme toute qu'une forme de conformisme déguisé... Nous nous conformons toujours à un référentiel donné, quoi que nous fassions... 

Pour terminer, comment ne pas penser au film 12 Angry Men de Sydney Lumet (1957), dans lequel douze jurés doivent décider à l'unanimité de la culpabilité d'un homme accusé de parricide (coupable, il est condamné à mort ; innocent, il est acquitté). Onze jurés le considèrent coupable. Un seul (le 8e juré, Mr Davis, joué magistralement par Henry Fonda dans la version de Lumet) a de sérieux doutes. Après de nombreuses argumentations (et reconstitutions !), les douze jurés finissent par voter l'acquittement. 

Voilà, dans toute sa splendeur, le poids de la dissidence, celui qu'un être humain isolé peut avoir sur le monde qui l'entoure..

Mais ceci nous éloigne d'Orson Welles. Ou peut-être pas, tout compte fait.

6ACV11

Le hasard existe-t-il ?

Considérant avec Andrew (rendons à César, etc.) que :
1) 9 personnes sont présentes à la soirée de Noël chez lui,
2) 9 personnes seront présentes à la soirée de Nouvel An chez moi,
3) 9 esprits sont permutés dans l'épisode 6ACV10 de Futurama,
4) certaines personnes sont permutées entre sa soirée et la mienne,

... quel est l'âge du capitaine ?
... comment peut-on encore croire en la contingence ?
Y s'passe quequ'chose, ici ?

Considérant en outre que :
1) je mentionne Orson Welles ICI, ICI ("Rosebud") et (War of the Worlds),
2) Claire discutait hier de "Rosebud" dans Citizen Kane,
3) Walter me parle, ce soir, de "Rosebud" dans Columbo (!),
4) juste après, Igor (le copain de Perrette) conseille Le Procès d'Orson Welles,
5) la tête du même Orson apparaît dans l'épisode 6ACV11 de Futurama,

... quelle est la couleur du cheval ?
... peut-on en déduire que le sieur Hamilton pète un câble ?
Y s'passe quoi, là ?

* * *

Neuf personnes au souper, donc. J'y rencontre (par ordre d'apparition) Andrew (l'hôte), Eugenia (une de ses collègues russes), Léandra, Romain et son compagnon Ramon (c'est Léandra qui a choisi le surnom, je n'y suis pour rien !), Igor (dont j'ai décidé de changer le surnom, l'ancien étant trop péjoratif à mon goût) et sa compagne Perrette (qui, en bonne anthropologue, part au Laos le 3 janvier prochain), et enfin Walter (qui, en bon économiste, part en mission au Congo en janvier prochain, pour le compte de l'ONG Acted).

Comme apéritif, nous avons droit à un magnum de délicieux Champagne, accompagné d'un très bon saucisson bien frais, de fruits secs et de verrines à la crème d'asperge. En entrée, des huitres et une salade. En plat principal, un chapon fourré avec une succulente préparation à base de foie gras. Tous ces plats sont néanmoins assez (trop ?) complexes pour moi : je ne peux pas manger d'huitre (une aversion sévère m'en empêche) ; quant à la volaille, j'ai du mal à en déguster des morceaux tout en la voyant entière, en pleine phase de décortication devant moi (heureusement, c'est Igor qui s'occupe de la découpe pour tout le monde et je ne me retrouve pas avec des morceaux d'os dans mon assiette : j'aurais eu l'air malin si Léandra avait dû m'aider à dépecer une partie de la bestiole, comme si j'étais un petit enfant dégoûté – en fait, je suis un petit enfant dégoûté)... Résultat : quand je vois arriver, en fin de repas, les "cantuccini" et le "panettone" apportés par Léandra, j'intériorise un soupir de soulagement : enfin un truc simple à manger ! 
* * *

Durant la soirée, j'ai noté au fur et à mesure quelques mots-clés sur mon téléphone portable, afin de disposer d'histoires pour mon journal (Léandra me sort d'ailleurs à un moment : "Tu dois la noter, celle-là !"). Alors que je me relis, je me demande ce que je vais bien pouvoir faire de ce bric-à-brac informe : "C'est pas Malte", "Le plaisir des zuitres", "Derrick", "Columbo", "Performances", "Cadeaux", "Blog et psychothérapie", "Poussin", "Noël 2012", "Anus de dinde"... Je peux au moins expliciter certains termes.

- "C'est pas Malte" est un jeu de mots (qui a dit "pourri" ?) lancé par Romain en début de soirée, après qu'on a parlé brièvement de Malte. Certains invités ont même osé continuer la série avec des "Tout ça va mal tourner" et autres jeux de mots de très mauvais aloi.

- "Derrick" : personne (ou presque) ne croit Léandra quand elle annonce que je possède l'intégrale en DVD de la première saison de la série allemande Derrick. Romain : "Non mais sans rire ? C'est vrai ? T'as vraiment l'intégrale de Derrick ?". Oui, oui, c'est même Maïté qui me l'a offerte pour mon anniversaire, trois petits jours avant de me quitter (véridique !). Je n'ai jamais compris (ou n'ai jamais voulu comprendre) la raison de ce cadeau. Peut-être n'y en avait-il pas ? Peut-être n'était-ce qu'une plaisanterie d'une très grande ironie ? Voilà la preuve absolue que le hasard n'existe pas.

- "Columbo" : Walter, sans emploi pour l'instant, n'a pas grand chose à faire de ses journées. Récemment, il a donc regardé, pendant plusieurs jours, tous les épisodes du célèbre inspecteur, toutes époques confondues. 

- "Performances" : Igor croit, a priori à tort, que Léandra se moque de lui. Igor est artiste : il organise des "performances", c'est-à-dire (si j'ai bien compris) des actes théâtraux dans lesquels il se met en scène (paraît qu'il s'est déjà suspendu au plafond). À 2 (deux) reprises, il regarde Léandra droit dans les yeux d'un air mi-sarcastique, mi-courroucé et lui dit quelque chose comme : "Mais allez, vas-y ! Arrête de marmonner, va jusqu'au bout de ce que tu voulais dire !". D'après Andrew, c'est normal : leur relation a toujours été "un peu" tendue.

- "Cadeaux" : plusieurs personnes ont apporté des cadeaux. Léandra, me voyant déposer trois cadeaux en bas du sapin, me lance : 
— Quoi ? Tu as apporté des cadeaux tout compte fait ? T'avais dit que tu n'en amènerais pas !
Haha ! Oui, mais c'était pour que tu n'en apportes pas pour moi !
— Ha ben je n'en ai pas apporté, du coup...
(Haaa, le don et le contre-don...)

D'Andrew (qui a par ailleurs offert un cadeau à tout le monde), je reçois un livre de Kazuo Ishiguro : Nocturnes, Cinq nouvelles de musique au crépuscule (je ne sais pas de quoi il est question mais le titre donne envie) ; de Walter, une double assiette creuse entièrement biodégradable. De mon côté, j'offre à Léandra deux livres dénichés aux librairies Tropismes (Galerie du roi, à Bruxelles) : un calendrier de jurons et un petit livre intitulé Anagrammes renversantes ou Le sens caché du monde d'Étienne Klein (physicien) et Jacques Perry-Salkow (pianiste de jazz et écrivain spécialisé dans les anagrammes – ça tombe bien), où l'on apprend (entre autres) que "Entreprise Monsanto" est l'anagramme de "Poison très rémanent" (woaw !) ; à Walter, une bouteille de Chimay Grande Réserve (Édition limitée 2010) ; à Andrew, une bouteille de Bush de Nuits (concrètement : une bière "Bush de Noël" murie 6 à 9 mois dans "des foudres de bois ayant contenu du Bourgogne de Nuits-Saint-Georges", puis refermentée en bouteille dans une chambre chaude – qui a dit que brasser de la bière était un exercice facile ?).

- "Blog et psychothérapie" : Romain parle de blogs. Actuellement, il n'écrit plus car il ne trouve pas le concept original qui lui permettrait de se lancer. Romain est (semble-t-il) comme Léandra : ce sont de vieux blogueurs, des vétérans qui refusent d'écrire sans avoir une idée précise quant à la forme que leur blog doit prendre, sans disposer d'une "charte éditoriale" bien établie. Il parle également de la tenue d'un blog comme d'une forme de psychothérapie. Je ne peux que lui donner raison. En tout cas, je considère mon propre journal comme une psychothérapie à part entière : j'écris tout ce qui me passe la tête, tout en essayant de structurer un minimum l'ensemble. Le but a été, est et sera toujours personnel : essayer de mieux me comprendre, même si le fait de savoir que je suis lu rajoute un certain piquant à l'expérience.

- "Noël 2012" : à table, Léandra imagine le prochain Noël : en décembre 2012, elle est toujours avec Jonas ; Walter s'est trouvé la personne de sa vie au Congo ; Andrew sort avec une Slave rencontrée via son travail d'agent secret à la solde de l'Occident ; Emily sort avec Lyric (m'enfin !) ; et moi aussi je suis avec quelqu'un (mouhahaha !). À un moment, nous avons émis l'hypothèse que la probabilité d'un seul suicide dans le courant de l'année prochaine était plus forte que cette situation "Tout le monde en couple" imaginée par Léandra. C'est toujours d'un joyeux, les discussions de la "dream team" sur l'avenir de la "dream team" !

- "Anus de dinde" : Romain provoque au bas mot 50% des rires de la soirée. Parmi les histoires amusantes qu'il a racontées, celle-ci : un jour, alors qu'il était en train de manger une dinde (ou un poulet ?), il tombe sur un morceau différent du reste, beaucoup plus sombre. Il le met en bouche et le trouve totalement répugnant, mais en même temps il a peur de passer pour un impoli en le recrachant. Il s'avérera qu'il a tout de même bien fait de le recracher car il s'apprêtait à manger l'anus de la volaille sans le savoir. D'après Andrew, certains raffolent de cette partie, au point de se la réserver ! Miam, miam, miam, it's delicious !

Il est passé une heure du matin lorsque Léandra et moi décidons de rentrer chez nous en taxi. Eugenia nous accompagne, car elle habite à quelques rues de chez moi. Comme souvent, je ne peux m'empêcher de faire la conversation avec le taximan, de parler de tout et de rien (la circulation, tout ça...). Je suis néanmoins très loin d'Andrew, qui arrive à discuter de sujets hautement philosophiques (l'athéisme, tout ça...) à des heures impossibles avec "ses" taximen.

Demain, je dois me lever vers 6h32. Je sens que ça ne va pas être facile.

Rosebud

Le présent article inaugure (ou presque) la mise en place d'un cycle "Orson Welles". Il semblerait en effet, comme le découvrira le lecteur attentif dans le futur, que tous les éléments de ma vie actuelle tendent vers le même objectif : me documenter sur Orson Welles. C'est comme ça...
* * *
Je me lève vers midi et tout ça pour quoi ? Pour voir sur la table du salon des "Apéricubes" (argh !), des petits morceaux de fromage de chèvre (nooon !), du saucisson et un "Picon vin blanc" (mmmh...). Pas de doute : ma mère a osé (c'est le mot) préparer un "petit" dîner pour le jour de Noël, après l'énorme repas d'hier soir chez mon cousin. Il va donc falloir que je me remette à manger : le cauchemar continue ! 
Quel rapport avec Orson Welles ?
Oh, je ne sais pas très bien.
Je suis un peu confus pour le moment. 
J'écris des salades sur tout et sur rien, histoire de combler les interstices.

* * *

Le soir, tout le monde a droit à une pause car ma mère n'a préparé aucun plat. C'est incroyable : elle est même un peu choquée quand je lui demande ce qu'il y a à manger ! Comme souper, je me contenterai donc d'une crème glacée au Grand Marnier préparée par ma grand-mère, accompagnée d'un café revigorant. Ma "bobonne" habite au rez-de-chaussée de la maison familiale, juste en dessous de chez mes parents. Quand ma grand-mère me voit descendre avec un ordinateur portable, elle me pose l'éternelle question : "Tu es constamment obligé de te balader partout avec ce bête machin en main ?". 
Aujourd'hui, j'ai une excuse : je discute avec Claire sur Facebook. Elle vient de voir Citizen Kane et sait enfin à quoi correspond le mystérieux terme "Rosebud", le dernier mot de Charles Foster Kane sur son lit de mort... Elle me parle aussi du Procès, autre film de Welles, adaptation du célèbre roman de Kafka. J'ai furieusement envie de (re)voir ces deux films.

* * *

Je n'ai pas grand chose d'autre à raconter si ce n'est que le soir, je joue avec Gaëlle aux "Fischertechnik". Toujours le même constat : ma fille n'a pas l'âme d'une technicienne, ni d'une ingénieure (malgré ses ridicules 100% en mathématiques). Elle préfère créer des machines imaginaires qui ne tiennent pas un seul instant debout : ça sert à quoi de placer un seul engrenage sur un axe de rotation ? Hein ? Hé bien ça ne sert à rien, si ce n'est à faire joli. Pauvres Fischertechnik... Et dire que l'on pourrait presque créer un cyclotron avec cette gamme de jouets.

Mais quel rapport avec Orson Welles ?
Aucun, j'en ai bien peur.
Quoique...

Un roi sans couronne

– Regarde Gaëlle, c'est le discours du roi, à la télévision !
– Mais j'en ai rien à faire, moi, Papa, du discours du roi !
(Remarque, moi non plus...)
– Et puis, continue ma fille sur sa lancée, pourquoi il n'a pas de couronne, si c'est un roi ?
(C'est vrai ça ! Pourquoi n'a-t-il pas de couronne ?)

* * *

Le soir, mes parents, ma fille et moi sommes invités à passer le réveillon de Noël chez mon cousin Fridric et sa femme Aude. Sont présents les deux enfants d'Aude ainsi que le petit dernier, Roberto. Sont présents également : ma bobonne (ma vieille grand-mère qui, du haut de ses 85 ans, a de plus en plus de mal à entendre ce qu'on lui dit et à se déplacer) ; mon cousin Fab (le frère de Fridric) et sa femme Bridget ; les parents d'Aude ; les parents de Fridric. En tout, ça fait seize personnes.

La chienne de la maisonnée a l'air malade. Elle pue, elle bave et regarde les invités bizarrement. Elle est enceinte. Lors de la dernière portée en date, elle a dévoré un de ses jeunes (miam !). Ma mère se méfie et ne veut pas que Gaëlle s'en approche.

Le repas est gargantuesque. En apéritif, nous avons droit à des dizaines de plats qui viennent et repartent dans tous les sens : des toasts, des ailes de poulet, des lardons farcis, des olives, de l'ail mariné, du fromage de Grimbergen, des chips, des verrines... Ensuite, nous mangeons une entrée froide (une terrine), puis une soupe aux chicons (préparée par ma maman), puis une seconde entrée, chaude cette fois-ci (une lasagne de saumon, avec de la pâte fraîche, faite "maison" par ma tantine et son mari Tino), puis le plat principal (de la volaille, des croquettes et de la salade), puis le dessert (des choux glacés préparés par mon père). Je bois et mange beaucoup, comme d'habitude lors d'un repas de Noël.

Durant la soirée, Fridric, qui est instituteur depuis presque vingt ans, nous parle des gamins à qui il donne cours : leur niveau baisse de manière catastrophique : ils sont pour la plupart incapables de se concentrer plus d'un quart d'heure et ne s'intéressent pas à grand chose. Quant aux nouveaux instituteurs, ils sont d'après lui en moyenne moins cultivés et moins formés qu'auparavant : "Comment intéresser une classe si on ne sait même pas soi-même de quoi l'on parle ?".

Mon père a apporté ses vieilles diapositives et l'appareil qui permet de les projeter. Mon papa est (entre autres) photographe de formation et a pendant une bonne dizaine d'années (de 1975 à 1988 environ) réalisé plusieurs centaines de diapositives de sa jeunesse et de mon enfance. En fin de soirée, il les projette sur un mur blanc. Avec le temps, les images font très vintage : photos de virées dans les "dancings" ; voyage en Irlande ; photos de ma mère jeune (une vingtaine d'années) en train de poser devant l'appareil, avec ses cheveux teints en roux, son visage très froid et boudeur ; voyage à Paris ; voyage en Italie ; photos de famille...
Ce n'est vraiment plus le même monde qui s'affiche sur le mur blanc : on y voit la vieille maison familiale perdue dans la campagne (alors qu'aujourd'hui ladite bâtisse est entourée de nouvelles constructions cubiques toutes aussi laides les unes que les autres), mes (alors jeunes) cousins qui font du vélos en plein milieu de la route déserte pas loin de la maison, les vêtements démodés du début des années 80, les fameuses couvertures à carreaux, le vieux tourne-disque, les vieilles bagnoles (dont une Lada et une Simca 1000 !).
Dans tout ce vrac, il y a également des centaines de photos de moi, de la naissance à l'âge de 7-8 ans. Une des diapositives me montre, âgé de 2 ans et demi, assis seul dans un grand transat, sur la plage de Sperlonga en Italie, parce que je "refusais catégoriquement de toucher le moindre centimètre de sable" (je ne m'en souviens plus, évidemment, mais ça ne m'étonne qu'à moitié) ; une autre me montre en train de poser, plus vieux, la mine très sérieuse, les yeux cachés par de ridicules lunettes noires, mimant un jeu de guitare sur une raquette de tennis en plastique. Paraît que j'étais fan de Michel Polnareff à l'époque. En tout cas, faudra absolument que je les numérise, ces diapositives-là !

Il est presque deux heures du matin. Gaëlle est très fatiguée et s'énerve pour un rien. Pas question de jouer à la belote ce soir. Nous retournons donc chez mes parents en voiture et, pour gagner du temps, nous racontons une histoire à ma fille sur la route du retour. Je joue le rôle du Schtroumpf à lunettes et ma mère celui du Grand Schtroumpf (qu'elle imite très bien). J'imagine une histoire où le Schtroumpf à lunettes découvre un second village schtroumpf qui n'est peuplé que de Schtroumpfs à lunettes. C'est l'horreur totale quand le Schtroumpf à lunettes, premier du nom, se rend compte qu'il existe des Schtroumpfs encore plus moralistes que lui. C'est une histoire débile mais ça nous fait rire.

De retour à la maison, j'ai trop bu et n'arrive pas à dormir, évidemment. Alors, pour passer le temps, j'écris ma journée de jeudi de manière assez virulente, l'alcool aidant. Non, je ne regrette rien...

(Futura)ma(thématique)

Raconter ma journée de vendredi ne me demandera pas beaucoup de temps.
À Bruxelles, je prends le train pour Namur un peu plus tôt que d'habitude, en trimbalant ma grosse valise remplie de vêtements. Le train n'a aucun retard. L'objectif de l'après-midi : acheter quelques cadeaux dans cette ville maudite avant d'aller chercher ma fille à l'école, puis revenir avec elle chez mes parents pour le week-end de Noël.

Je passe par le magasin de jouets situé dans la rue Saint-Jacques (celui qui vend de beaux jeux d'échecs et des globes terrestres), afin d'acheter un jeu de société pour ma fille. Je choisis Mille et un trésors, dont le but est de collecter le maximum de trésors dans une caverne avant l'arrivée des quarante voleurs. Je voulais également passer chez Nicolas (le marchand de vins), afin d'acheter une bouteille d'alcool pour mon père et une autre pour mon cousin Fridric, chez qui nous sommes invités demain. Pas de chance : le Nicolas de la rue de l'Ange est bel et bien fermé. Je prends donc des pralines et des truffes chez Neuhaus à la place des bouteilles. Pour ma grand-mère et ma maman, j'achète respectivement des savons et trois huiles culinaires chez Oliviers & Co. 

Le précédent paragraphe n'a aucun intérêt, si ce n'est celui de servir de mémoire à long terme.


Chez mes parents, Gaëlle veut absolument ouvrir son cadeau avant la Noël. Peu importe : mes parents ont prévu le coup et ont encore deux cadeaux à mettre sous le sapin, au compte-gouttes. Et la tradition de Noël alors, qui veut qu'on n'ouvre pas ses cadeaux avant la nuit du 25 décembre ? Hem... Dans ma famille, on n'a jamais trop aimé les traditions (voilà qui résout le problème !).

Je joue avec Gaëlle aux Mille et un trésors. Je me rends compte, une nouvelle fois, que ma fille n'aime pas respecter les règles d'un jeu. Tout l'inverse de moi quand j'avais son âge. En effet, quand j'étais petit, je respectais scrupuleusement chaque règle et piquait une crise au moindre soupçon de tricherie ou de contournement que je considérais comme frauduleux : fallait jouer à la loyale, sinon la victoire était factice. Somme tout, ça n'a pas beaucoup changé aujourd'hui : je dirais même que ça a vachement empiré. Gaëlle, elle, s'en fout complètement : tout ce qu'elle veut, c'est créer son propre univers à partir des pièces du jeu. Elle invente donc une histoire où il est question de se frayer un chemin au sein de la caverne (mais ce n'est pas dans les règles). 

En outre, elle déteste perdre. Quand elle perd, elle ne veut plus jouer. J'essaie de lui expliquer que pour augmenter son expérience, il faut qu'elle perde, que c'est un passage obligé, que ça fait partie de l'apprentissage... En vain, jusqu'à présent.

* * *

Gaëlle couchée, je replonge dans le dessin animé Futurama. Vu aujourd'hui : "The Prisoner of Benda" (10e épisode de la 6e saison), un épisode de grand malade car il repose sur un véritable théorème qui a été démontré par Ken Keller, docteur en mathématiques et auteur du présent épisode. La démonstration est désormais également connue sous le nom de "Théorème de Futurama" (voir ICI, "Le théorème de Ken Keller" ou encore , "The Futurama Theorem and Puzzle"). 

Vers la fin de l'épisode, la démonstration est rédigée par deux Harlem Globetrotters (parmi les meilleurs mathématiciens de l'Univers, hé oui !), en tout petit mais au complet (!), sur un tableau virtuel du professeur Fansworth. Et elle tient la route ! Cette série est une véritable série pour geeks, au sens premier du terme.

Le scénario est le suivant : le professeur Fansworth invente une machine qui permet de permuter les esprits de deux corps (humains ou robots). Il effectue une première permutation avec Amy Wong : son esprit se retrouve donc dans le corps de la jeune femme et réciproquement. Par contre, il est impossible de faire l'opération en sens inverse avec la même paire de corps. Le professeur pense donc, sans trop réfléchir, qu'il suffirait d'utiliser une troisième personne (soit d'injecter un seul nouvel élément dans le système) pour revenir à la situation initiale après quelques manipulations de paire, mais ça ne fonctionne pas. Après de nombreuses péripéties, neuf personnages de la série sont ainsi mélangés et c'est un véritable calvaire pour revenir à la normale.

Cependant, les deux basketteurs-mathématiciens (!) démontreront que, quels que soient le nombre d'esprits qui ont été permutés et le nombre de permutations, il est possible pour chaque esprit de revenir à son corps d'origine en ajoutant au plus deux nouveaux individus dans le système. 

C'est vachement mieux expliqué dans les deux liens susmentionnés. Du coup, je ne sais même pas pourquoi je traite aussi longuement de ce théorème dans ce journal. 

La fatigue peut-être ? 
Ou bien l'admiration ?

"Est-ce de la schizophrénie ?"

Hamilton ! Nous sommes dimanche 25 décembre 2011, il est 2h27 du matin, et tu dois continuer à écrire ! Ça commence à faire beaucoup de retard et tu dois quand même raconter ta journée de jeudi, comme toutes les autres... Tu ne peux rater aucun jour. C'est comme ça... Hé oui !
Puisque "c'est comme ça", tu vas le faire "à l'arrache", sans te relire, en écrivant ce qui te passe par la tête. À l'arrache ? Mon cul, ouais ! T'as quand même passé quelques secondes à chercher ce putain de "C" majuscule cédille dans une table de caractères, pour placer un "Ça" dans le paragraphe précédent. Voilà le problème avec toi : tu n'arrives pas à être spontané, à te lâcher, même quand tu es légèrement (voire assez [voire complètement]) saoul. 
Bordel.
(Tu le mets en italique parce que tu trouves ça bien.)
(Grrrr...)

* * *

Donc voilà : ce jeudi, c'est un jour de grève générale et tu ne peux pas te rendre au boulot, faute de transport. Tu n'essaies même pas, pour tout dire. De toute façon, les locaux sont fermés. Et puis, tu considères qu'ils ont bien raison de faire grève, dans les services publics... Et tu serais bien content si quelqu'un pouvait t'expliquer comment retrouver la moindre parcelle de socialisme dans le cerveau du premier ministre belge actuellement en fonction, pourtant estampillé... "socialiste". Tu es (et resteras) persuadé que personne ne pourra te l'expliquer, tant le gaillard et de nombreux membres du PS renient tout ce qui fait le socialisme à tes yeux. Ça te fait beaucoup de peine car tu te considères comme fondamentalement de gauche (mouvance libertaire, faut-il le préciser ?).
Bande de traîtres ! Pourquoi êtes-vous au sein de la majorité gouvernementale, à mettre en place des réformes d'austérité d'essence néolibérale ? Pourquoi n'êtes-vous pas dans la rue ou au Parlement (dans l'opposition) à défendre la démocratie contre les agences de notation et contre les oligarchies financières ? 
Tu as déjà une réponse à ces questions et elle ne te fait pas plaisir.
Passons. C'est une bonne occasion pour ressortir le petit discours, que tu aimes beaucoup, du syndicaliste italien Piero Bernocchi, prononcé au Forum social européen de Paris en novembre 2003 : c'est ICI et ça se passe de commentaire. Ha, que ça fait du bien. Merci, cher Piero !
Et toi Hamilton, qu'est-ce que tu fais pour que ça change, hein ? Rien. Tu observes ton monde devenir la dystopie inhumaine que tu as lue dans tant de bouquins. Allez, tous à Zanzibar, chacun pour soi, prends ton assurance privée, bébé, c'est le futur, t'as pas le choix de toute façon ! Sois sage et t'auras ton smartphone, héhé...

* * *

Léandra te propose d'aller déjeuner à la Maison du Peuple de Saint-Gilles (quoi, encore ?) et tu acceptes. Léandra doit travailler. Ça tombe bien car toi aussi, tu dois un peu travailler. Vous mangez là-bas, vous parlez un peu, vous bossez à la même table en début d'après-midi, puis Léandra s'en va. Tu t'en vas aussi. Elle retourne chez elle et tu vas t'installer avec ton (ou plutôt "son") petit PC au Potemkine.

Fin d'après-midi, le public du bar change et des violonistes emplissent la salle. Une classe d'académie (ou de conservatoire, tu ne sais plus) a décidé de passer ses examens (ou ses auditions, tu ne sais plus) dans ce café. Une classe uniquement féminine. 

Tu trouves que certaines jouent bien et que d'autres jouent comme leurs pieds. Tu as vraiment l'impression que quelques unes remplissent la salle de fausses notes, mais en néophyte tu n'as aucune possibilité de savoir si c'est fait exprès ou pas. Pauvre de toi !

Emily te rejoint en soirée et vous montez à l'étage (dans "les coursives"), pour pouvoir discuter. Vous êtes rejoints un peu plus tard par Léandra et Andrew. Un monsieur qui lit son journal au bar, en contrebas, vous regarde d'un air méchant de temps en temps, mais peu importe.


Andrew et Léandra ont prévu d'aller manger un couscous. Emily et toi vous rendez au marché de Noël du Centre-ville. Le temps de vous garer, pas loin de la cathédrale Saints-Michel et Gudule et il est déjà presque neuf heures du soir. Vous buvez un vin chaud près de la Bourse, puis vous vous rendez compte que... le marché de Noël est en train de fermer... Résultat : vous vous retrouvez à manger un... hamburger... chez... McDonald's. Pour la leçon anti-capitaliste, tu repasseras, merci, au revoir.
De retour à Saint-Gilles, vous retrouvez Léandra et Andrew à la Maison du Peuple pour un dernier verre. Andrew prend une Chouffe, Emily une menthe à l'eau et Léandra ne prend rien du tout. Quant à toi, tu ne peux pas t'empêcher de commander un demi-litre de bière. Bravo ! C'est Noël !