"Ils sont méchants, les wittgensteiniens"

"Wittgenstein, Wittgenstein ! Encore et toujours Wittgenstein !", se disent-ils... "Hamilton est vraiment atteint !" (Comme la tarte du même nom.) Mais ils ont tort... Ils ont tort, tous autant qu'ils sont ! Aujourd'hui, je reviens seulement sur quelques dérivés de Wittgenstein, à savoir ce qu'en ont dit ou compris ou fait d'autres personnalités. Et comme je n'ai pas envie de me fouler, je reprendrai trois extraits entendus sur France Culture la semaine dernière, à l'occasion de quatre émissions des Nouveaux chemins de la connaissance entièrement consacrées au philosophe autrichien. (La pièce dont me parlait Andrew Kayak ? —  et qui reprenait des extraits du Tractatus sera abordée une prochaine fois, sans doute.)

Premier extrait : Gilles Deleuze dans son Abécédaire... Je l'avais déjà visionnée en entier, cette longue et fascinante vidéo dans laquelle Deleuze revient pour nous parler "d'entre les morts" — car le philosophe, qui a toujours refusé toute apparition télévisuelle, a demandé expressément que cet abécédaire soit diffusé après son décès —, mais je n'avais curieusement pas relevé à sa juste valeur le "W comme Wittgenstein"...

Retranscrite, la discussion donne ceci :

« Alors, passons à "W"... Et "W" ?, demande Claire Parnet.
— Y a rien à "W", rétorque Deleuze.
— Si. C'est "Wittgenstein" ! Je sais que c'est rien pour toi mais je voudrais juste un mot...
— Ha ouais, non, non. Ça, je ne vais pas parler de ça. Oui. Pour moi, c'est une catastrophe philosophique. C'est le type même d'une école : c'est une régression de toute la philosophie à des... une régression massive de la philosophie. C'est, c'est très... c'est très triste, "l'affaire Wittgenstein". Ils ont foutu un système de terreur, où tout a... où sous prétexte... sous prétexte de faire quelque chose de nouveau... Mais c'est la pauvreté instaurée en grandeur ! C'est la... enfin, c'est... ça n'a pas, ça n'a pas... Y a pas de mot pour décrire ce danger-là. Ouais... C'est un danger qui revient... C'est pas la première fois que c'est survenu mais c'est grave ! Surtout qu'ils sont méchants, les wittgensteiniens. Et puis ils cassent tout ! Si... s'ils l'emportent, alors, là, il y aura un assassinat de la philosophie. S'ils l'emportent ! C'est des assassins de la philosophie, ouais.
— Mais c'est grave.
— Ouais, ça... Faut... faut une grande vigilance ! »

Rien d'étonnant à ce que Deleuze, quand il mentionne Wittgenstein, parle d'assassinat de la philosophie car tout — absolument tout — les oppose, d'une certaine manière... Pour Deleuze, la philosophie est positive, créatrice : "La philosophie est l'art de former, d'inventer, de fabriquer des concepts", écrit-il dans Qu'est-ce que la philosophie ? (1991), et "n'a strictement rien à voir avec une discussion". Pour Wittgenstein, la philosophie est négative (elle ne fait que définir les limites de ce qui peut être dit) et "laisse toute chose en état" (l'expression est de lui). Wittgenstein n'invente à proprement parler aucun concept et —  comble de l'horreur pour Deleuze ! — se situe presque toujours dans la discussion.

Quand je lis Wittgenstein, j'ai l'impression que ce dernier écrivait de la philosophie pour en finir une bonne fois pour toute, pour tarir ce flot de réflexions et de non-sens qui paralyse la (sa ?) pensée (la philosophie comme thérapie). Wittgenstein a été instituteur, jardinier, architecte : comme si les choses importantes se trouvaient dans l'action, au-delà de ce qui peut être dit.

« Hamilton ! Tu avais précisé : "Dérivés de Wittgenstein". Dé-ri-vés. Ce n'est plus un dérivé, là... 
— Oups, désolé ! »

* * *

En présentant le Tractatus logico-philosophicus, l'émission de France Culture susmentionnée a repris l'extrait sonore d'un film, Crimes à Oxford (The Oxford Murders, 2008), que je ne connaissais pas et que je n'ai je l'avoue —  pas du tout envie de connaître : on y "voit" Wittgenstein durant la Première Guerre mondiale sous le feu ennemi, en train d'écrire son texte philosophique. Quelle connerie ! C'est encore plus ridicule que le "Wittgenstein s'extasiant sur le monde", en pleine page et en pleine guerre mondiale, dans la BD Logicomix. Dans l'extrait de film en question : un professeur d'université pédant et pas du tout crédible (John Hurt) qui ne fait que réciter de grandes phrases vides de tout contenu et qui s'oppose à un étudiant (Elijah Wood) qui croit "au nombre Pi", autrement dit à l'essence mathématique du monde... C'est d'un médiocre : un ramassis de boursouflures et de grandiloquence déplacée.

* * *

Pour terminer dans la bonne humeur : Mauri Antero Numminen, artiste finlandais, chantant le Tractatus logico-philosophicus. "Wovon man nicht sprechen kann, darüber muss man schweigen." Woaw ! Fallait oser !

(Une version orchestrale "à la Metallica" ICI.)

Laisser un commentaire