Au paradis des autodidactes : la physique de Penrose

Cela faisait très longtemps que je rêvais d'un tel livre et il s'est présenté presque par hasard (le hasard existe-t-il ?) la semaine dernière alors que je furetais à l'intérieur du (bien trop) petit rayon « Sciences » de la librairie Filigranes, à Bruxelles. Au départ, je ne voulais rien acheter (j'ai déjà mon lot d'ouvrages à terminer), mais je n'ai pas hésité longtemps. C'est un pavé de plus de 1000 pages bien denses signé Roger Penrose et intitulé : À la découverte des lois de l'univers. La prodigieuse histoire des mathématiques et de la physique1. Le but : brosser un tableau complet (mais forcément de surface) des connaissances accumulées en physique théorique à l'aube du XXIe siècle.

Ce livre — pour reprendre une formule très juste trouvée plus tard sur le site anglophone d'Amazon — est un véritable « paradis pour autodidactes » : à aucun moment l'auteur, « optimiste par nature » selon ses propres termes, ne sous-estime les capacités de réflexion et d'apprentissage de ses lecteurs. Si l'on considère ce livre comme un ouvrage de vulgarisation (ce qu'il n'est peut-être pas, en tout cas pas seulement), Penrose met la barre très haut, et c'est évidemment une très bonne initiative de sa part : il ne prend pas ses lecteurs pour des idiots incapables d'apprendre. Il ne se contente donc jamais d'une vague analogie (comme, pour reprendre un exemple connu du monde de la vulgarisation, cette fameuse appréciation de la courbure de l'espace-temps ressemblant à une bille imprimant sa marque sur un tissu tendu mais pas trop) : au-delà des schémas, il présente les équations fondamentales de la physique moderne. Et avant même de parler de physique, il considère — à raison — obligatoire un recyclage rapide dans le domaine des mathématiques : l'ouvrage commence donc très gentiment avec le théorème de Pythagore et quelques notions de géométrie non-euclidienne (surtout hyperbolique en l'occurrence), avant de revoir en vrac, sur plus de trois cents pages, les fonctions trigonométriques, les nombres complexes (puis hypercomplexes), le calcul différentiel et intégral, les hyperfonctions, les surfaces de Riemann, les groupes de symétrie, etc. Penrose est un très bon vulgarisateur, qui arrive à varier les points de vue pour permettre une visualisation intuitive de concepts mathématiques dont la « réalité » ne se présente pas toujours de manière évidente pour le néophyte. Pour prendre un exemple relativement simple, il explique très bien la représentation géométrique des nombres complexes et leurs transformations dans le plan complexe de Caspar Wessel (celui qui a pour abscisse l'axe des réels et pour ordonnée l'axe des imaginaires).

J'adorais et j'étais jusqu'à un certain point « doué pour » (pour autant que le terme veuille dire quelque chose) les mathématiques au lycée. C'est quelque chose qui ne se perd pas, de telle façon qu'aujourd'hui, après plus de dix ans d'abstinence, je n'ai pas trop de mal et — surtout — je n'ai pas du tout peur de me replonger dans le formalisme précis de ce monde radicalement différent. (J'ai déjà observé que les blocages dans l'apprentissage d'une matière étaient souvent liés à deux éléments psychologiques sans aucun rapport avec les capacités de compréhension d'un individu. Ces éléments sont la peur et l'ennui : peur de rater ou de ne pas comprendre ; ennui par rapport à quelque chose que l'on considère comme inintéressant. Autrement dit : si l'on est vaillant et si l'on est curieux, on est presque ipso facto intelligent.) Cependant, comme on l'aura vite compris au regard de la liste des sujets traités — liste qui dépasse de beaucoup ce que l'on apprend dans un lycée, du moins dans celui où j'ai fait mes études —, le fait de bien aimer les mathématiques et d'être « doué pour » ne suffira pas pour lire de manière fluide cette brique. Non, si l'on veut comprendre ce qu'exprime Penrose dans cet ouvrage, il faut plus que cela, c'est-à-dire : ou bien avoir continué à étudier les mathématiques (ou une branche connexe comme la physique) à l'université, ou bien plancher sérieusement sur beaucoup de chapitres en n'hésitant pas à arpenter la Toile ou divers livres en quête de ressources complémentaires... Somme toute, on en revient à l'autodidaxie : tout est toujours compréhensible. Il suffit de se donner les moyens et le temps pour comprendre. Dans ce cas-ci, l'obstination est directement récompensée par une meilleure « culture générale » de la physique contemporaine... Et c'est une récompense qui a plus de poids que tout l'or du monde !

À suivre...

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1 Roger Penrose, À la découverte des lois de l'univers. La prodigieuse histoire des mathématiques et de la physique, Paris, Odile Jacob, 2007. [The Road to Reality: A Complete Guide to the Laws of the Universe, 2004.] La traduction est de Céline Laroche, qui a aussi traduit en français d'autres ouvrages de vulgarisation en physique théorique, dont L'univers élégant de Brian Greene, un excellent livre pour découvrir en quoi consiste la théorie des cordes sans trop se frotter aux douloureux « aspects techniques » du problème.

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