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Pneumatologie & sérendipité

À la pause café, au boulot, je parle du dernier épisode de "Mauvais genres", l'émission de France Culture que je me suis enfin mis à écouter, sur les conseils répétés de Yama, Andrew et Jonas. Le sujet de samedi dernier : les fantômes et autres spectres, qui reviennent hanter le monde des vivants parce qu'ils y ont, très souvent, une tâche à achever. Mon chef Lodewijk, qui a rédigé un mémoire en histoire sur la notion de purgatoire aux Temps modernes, confirme : quand il est question d'âmes perdues, revient de manière récurrente l'idée que si un esprit se retrouve coincé dans les limbes, entre deux mondes, c'est qu'il doit terminer quelque chose "ici-bas"... 

L'invité de la première heure, Daniel Sangsue (un nom qui colle assez bien au thème du jour), est professeur de littérature française moderne à l'Université de Neuchâtel en Suisse. Il est l'auteur d'un pavé de 636 pages intitulé Fantômes, esprits et autres morts-vivants (éditions Corti, 2011) et est présenté comme un spécialiste de la "littérature pneumatologique". La pneumatologie (du radical "pneumato-" pour : air, souffle) est la "science" des esprits, celle qui s'intéresse aux fantômes et autres apparitions spectrales, discipline très féconde au sein du monde littéraire français au XIXe siècle. — Car si ce siècle est, en Europe, celui des machines et de la technique, du matérialisme et du scientisme, c'est aussi dans une certaine mesure celui de l'âge d'or du spiritisme et de la nécromancie.


Ma collègue Charlotte a, comme d'habitude, des anecdotes étranges à raconter. Elle devrait les coucher sur papier, ces anecdotes — après "Les histoires extraordinaires de Pierre Bellemarre", voici "Les étranges récits de Charlotte" ! —, d'autant qu'elle a un talent certain pour l'écriture, malgré ce qu'elle affirme à tout bout de champ. Parmi plusieurs anecdotes, j'ai retenu celle de son compagnon qui, enfant, dormait dans une chambre créant chez lui une sorte de malaise... Et pour cause : il avait l'impression que quelqu'un/quelque chose effleurait son corps de temps à autre durant la nuit... Bien des années plus tard, il a fait dormir un ami dans cette même chambre. Le lendemain, ledit ami lui a dit : "Je ne sais pas ce qu'elle a, ta chambre, mais en tout cas elle a quelque chose de très bizarre !" 

Autre terme que je découvre en écoutant l'émission : la "sérendipité", qui désigne le fait de trouver tout autre chose que ce que l'on cherchait, grâce à un certain "hasard objectif" (curieux terme). Toute recherche poussée sur un sujet donné contient son lot de hasards heureux, non quantifiables ; son lot de sérendipité.

J'ai en tête un souvenir lié à la rédaction de mon mémoire de licence, consacré à l'histoire économique et forestière d'une seigneurie du nom d'Orchimont au bas Moyen âge (oui, je sais, c'est passionnant). Je vérifiais, à la Bibliothèque royale, une référence en note de bas de page dans un livre de l'historien René Noël intitulé Quatre siècles de vie rurale entre la Semois et la Chiers (1050-1470). Sur la même page, une autre note qui ne m'intéressait pas de prime abord attira mon regard : l'auteur y faisait brièvement allusion à un compte des dépenses et recettes du duché de Luxembourg au tout début du XVe siècle, contenant une dizaine de folios consacrés à Orchimont... — Je me souviens m'être dit sur le moment : "Mais ça change tout !" — Le dépouillement en urgence de ce document comptable aux Archives de France à Paris a transformé de manière fondamentale la vision que je me faisais de mon sujet. C'est aussi, je m'en rends compte désormais, un exemple parfait de sérendipité appliquée à la recherche en sciences humaines. 

Un autre exemple de sérendipité : une guêpe en gros plan prise 
en photo par Flippo en 2008 alors qu'il voulait simplement 
photographier le morne stade olympique de Montréal.
* * *

Le sympathique patron du snack vietnamien à côté de mon travail est la caricature vivante de l'asiatique qui tient un snack asiatique. Il ressemble à Mister Twang du City Wok dans South Park. Quand il rigole, il lance constamment de petits "Hihi-hihi !" et quand il parle, c'est en prononçant les "R" comme des "L". 

C'est également un homme qui retient tout. Exemple : il y a environ un mois, dix étudiants entrent dans son snack plus ou moins au même moment. Chacun leur tour, ils commandent dix plats différents, comme : "Un sandwich vietnamien mais sans salade et avec une sauce aigre-douce à la place de la sauce piquante, s'il vous plaît" ou : "Un bœuf aux légumes mais serait-il possible de remplacer les nouilles par du riz cantonnais ?" Un quart d'heure plus tard, le gars sert tout le monde, dans l'ordre de la commande et sans aucune erreur ! Aujourd'hui, c'est le calme avant la tempête (le rush, c'est à 12h30, à la sortie des cours). Il a donc le temps de parler un peu avec moi :

« Ha ! Vous êtes toujours en tee-shirt... Vous n'avez pas froid ?
— Non car dehors, il fait bon pour le moment.
— Oui mais il y a quatre semaines, vous étiez aussi en tee-shirt et il faisait beaucoup plus froid !
— Je travaille à deux pas...   
Et vous faites quoi dans la vie, comme ça ?
— Je suis historien, euh, pour résumer...
— Ha ! Donc, vous devez être le collègue de la dame à la queue de cheval qui me commande souvent des scampis à la sauce piquante !
— Oui, je vois très bien de qui vous voulez parler...
— C'est bien elle qui habite près du parc automobile ?
— Euh... Je n'en ai aucune idée. »

Quand il discute avec un étudiant, ça donne à peu de choses près ceci :

« Alors, comment s'est passé l'examen de taxonomie ?
— Très bien, merci...
— C'était bien hier à 10 heures que vous le passiez, hein, hihi ?

— Euh... Oui, oui... C'est bien ça. »

* * *

À 20 heures, je fais office de quatrième joueur sur un terrain de badminton, à Ixelles. Sont présents Flippo, Pietro et Don Camillo. Je joue comme un pied et j'ai mal partout...


À 21h30, nous rejoignons Emily et Walter au Café de l'Université. Ils sont en train de jouer à un jeu sur le smartphone de Walter quand nous arrivons (une sorte de jeu de go simplifié ?). Walter tire une tronche jusque par terre et ne parle quasiment pas de la soirée. La raison : sa candidature pour un travail qu'il convoitait n'a pas été acceptée.

Je ne raconterai certainement pas ici mes divagations de fin de soirée sur l'attrait irrésistible de la prestance bourgeoise et sur le charme des nez altiers, ni mes calembours ridicules (du genre : "Il divague... et dix vagues, ça ne fera jamais un tsunami"). Pour donner simplement le ton de la soirée, je ne reprendrai qu'une seule des nombreuses sympathiques discussions...

« (...) D'un autre côté, pourquoi en serait-il autrement ? Ce n'est pas parce qu'on est en vacances au Canada qu'on a plus de chance de baiser qu'en Belgique...
Hé ouaip...
— Les mecs qui séduisent plein de femmes en Belgique, hé bien ils peuvent en séduire plein ailleurs...
— Et l'inverse est donc vrai aussi.
— Pourquoi aurait-on plus de chance de faire l'amour au Canada qu'en Belgique ? À cause de "l'attrait du touriste étranger" ? 
— Oui, ou alors simplement parce qu'il n'y a pas vraiment d'attaches, et que la fille sait pertinemment bien que tu repartiras bientôt.
— Ha oui, vu comme ça... »

Donc, pour le prochain voyage au Canada, faudra que j'achète à nouveau des préservatifs, comme la dernière fois, au cas où il pourrait peut-être éventuellement se passer quelque chose... (Et comme la  dernière fois, au retour, j'en ferai des ballons, histoire de ne pas les jeter !)

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