Archives mensuelles : novembre 2011

Tilt ! #0

Mon collègue Aurèle et moi sommes dans le bus qui nous reconduit, lui dans le Centre-ville, moi à la gare TGV. La nuit est tombée, le bus est désert. 

Aurèle est batteur dans un groupe de rock liégeois et prend part à un collectif qui organise des concerts dans la Cité ardente. La conversation tourne donc autour de groupes musicaux. Il me parle d'un concert auquel il a assisté dernièrement, à Bruxelles, au Cirque royal.

– Ha oui ? C'était quoi ?
– Pinback.
(Tilt !)
– Ha, bordel de merde ! J'ai oublié d'y aller !
– Comment ça ?
– Je suis allé sur le site Web du Botanique pour réserver ma place mais leur système de réservation est tellement mal fichu que j'ai abandonné sur le moment et me suis dit que j'y retournerais plus tard.
– Ha, c'est con.
– Ha merde... Pinback, Low et Bill Callahan dans une même soirée, ça ne se reproduira plus jamais !

En fait, la discussion ne s'est pas du tout passée comme ça, mais je m'en balance : maintenant que je me suis mis à inventer des histoires abracadabrantes, je ne peux plus m'arrêter...

Pour me consoler de ma non-présence à ce concert mythique, je me replonge dans les deux derniers albums de Pinback, Summer in Abaddon et Autumn of the Seraphs (et sa pochette luxuriante), que je n'ai plus écoutés depuis longtemps et qui contiennent quelques perles.


J'arrive à la gare des Guillemins. Flippo est à l'intérieur de la gare, Yama est sur les quais :
– Je suis allée voir ton blog aujourd'hui.
Haaa ?
– J'ai eu la confirmation que t'es vraiment un grand taré.
– Ha...
– Non, mais vraiment, je n'ai même pas été jusqu'au bout d'une seule histoire. Y a combien d'embranchements en tout ?
– Quatre au minimum, parfois cinq et il y a même une histoire qui en possède un sixième. En tout, ça fait 24 fins différentes.
– T'es vraiment un taré. Ça a dû te prendre un temps de dingue...
(Oh non, quelques heures tout au plus...)

Le train arrive en gare.

Choix #0.1 : je monte dedans.
Choix #0.2 : je monte dedans.

Si Léandra le dit...

Je voulais prendre un peu de repos, laisser mes quelques lecteurs respirer après toutes ces péripéties, mais Léandra a dit, au bout du fil : "Non, Hamilton, il faut que tu continues à écrire tes journées, comme d'habitude ! Souviens-toi de ce que tu disais il y a quelques mois : que tu prenais du plaisir à savoir ce que tu avais vécu à tel ou tel moment..."

Je soupçonne Léandra de trouver un malsain plaisir à lire ce que je fais de mes journées. Et quand je lui ai dit que je voulais "changer de paradigme" (j'utilise des mots compliqués pour faire le malin) et n'écrire que de la fiction, elle m'a bien fait comprendre que ça ne l'arrangeait pas du tout.

Peu importe ! Aujourd'hui, je serai bref de toute façon, car ma journée se scinde en deux parties faciles à identifier : une matinée et un après-midi constitués de beaucoup de travail, dans ma banlieue de Liège, et une soirée et une nuit consacrées à la finition de cette putain de journée dont vous êtes le héros #1.

Je passe ma soirée, seul, à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, à terminer les derniers textes (Si j'avais un marteau, lalalala...) et surtout à mettre tout en forme : les liens donnant sur d'autres liens, bref ce genre de choses purement pragmatiques mais énergivores.

À 4h30 du matin, dans mon lit, je considère que le tout tient plus ou moins la route et je m'endors... Deux heures plus tard, mon réveil sonne. Ha ben oui, mon gars : si tu vas te coucher à pas d'heure, le réveil, lui, sonne à une heure bien précise...

La journée dont vous êtes le héros #1

Avertissement aux rares lecteurs de ce blog
(Si vous avez déjà lu ce texte introductif, vous pouvez le sauter en cliquant ICI.)

1. De nombreux éléments de cette "journée" sont clairement destinés à un public adulte. Si vous avez des enfants en âge de lire, mieux vaut les éloigner. Si vous êtes vous-même un enfant, je compte sur vous pour rester en dehors de tout ça, hein...
2. Certains embranchements (vous comprendrez très vite de quoi je parle) contiennent des scènes de sexe, de violence, de claustrophobie, de mort, d'assassinat, voire même (dans de rares cas) de sadisme. D'autres par contre sont très marrants et sans conséquence. Si vous trouvez que la situation dérape dans une direction qui ne vous plaît vraiment pas, merci d'arrêter votre lecture avant de m'envoyer un message d'insulte.

3. Tout ce qui est écrit dans cette journée est inventé, à l'exception de... ce qui ne l'est pas, à savoir une des journées décrite comme "ordinaire" (et elle l'est), certains éléments de la Maison du Peuple de Saint-Gilles, ainsi qu'une série de running gags qui ne feront rire personne (sauf peut-être Léandra et mes amis proches). Pas besoin donc de me téléphoner pour savoir si je me porte bien car : oui, no stress, je me porte bien !


La journée dont vous êtes le héros #1

Mon réveil sonne bien avant l'aube... Comme chaque matin depuis que je travaille, j'ai l'estomac noué et je ne déjeune pas. J'ai juste le temps de me brosser les dents, de me débarbouiller et d'enfiler en vitesse mes vêtements avant de prendre le chemin de la gare. Dehors, la météo s'est clairement rafraîchie. J'observe même les premières traces de gel nocturne. Le magnifique automne que nous avons eu depuis septembre m'avait presque fait oublier que l'été est déjà loin derrière nous... Cette journée de novembre sera une journée froide et – j'en fais le pari ! – elle sera aussi monotone que toutes les journées froides de novembre. Oui, mais si elle ne l'était pas ? Ou plutôt : et si je pouvais choisir qu'elle ne le soit pas ?

Sur le quai numéro 11 de la gare de Bruxelles-Midi, j'attends mon train vers Liège. Ce dernier finit par arriver avec un retard de sept minutes (c'est clairement dans la moyenne). Lorsque le train arrive enfin à quai...

Choix #1.1 : ... je monte dedans.
Choix #1.2 : ... je ne monte pas dedans.

Quintine au Potemkine au-dessus de la cantine

On va finir par croire que je fais de la publicité pour ce café...
Comme si parler constamment de la Maison du Peuple ne suffisait pas.
Hier soir, je rejoins Léandra et Andrew au Potemkine, pour changer.
Et puis c'est Walter qui nous rejoint à son tour.
Nous sommes dans les "coursives", en hauteur.

Au programme : Maredsous, Quintine et vin blanc pour Walter et moi ; thé et... thé pour Léandra et Andrew. Pour accompagner les bières et les thés, un gros boudin, un énorme cornichon, des cacahuètes et des dés de fromage. Ce sera notre repas du soir. 

Ce café aussi "multifonction" qu'un canif de l'armée suisse est en train de devenir "the place to be" dans le quartier de la Porte de Hal. Pourquoi "multifonction" ? Parce qu'ils y proposent un peu de tout (chouettes concerts, chouettes ciné-clubs, soirées "jeux de société" auxquelles il faudra que je participe un de ces jours) et utilisent tout l'espace disponible pour proposer différentes atmosphères : la "cantine" en bas, les "coursives" en haut ; à l'entrée, un long couloir plus calme (enfin, ça dépend) rempli de fauteuils confortables, donnant sur une terrasse extérieure ; à l'étage, une salle de cinéma. Et puis, ce faux squelette de baleine au plafond. Walter, en le voyant pour la première fois, dira à plusieurs reprises que "c'est très glauque".
Pourquoi "the place to be" ? Parce que c'est "branchouille" et décontracté et que les bobos du coin adorent ça. (Dois-je me considérer dans le lot des bobos du coin qui adorent ça mais qui s'ignorent ? Il semblerait que oui, du moins partiellement.) Signe du temps qui passe : on retrouvera certaines serveuses de la Maison du Peuple (qui se trouve à deux pas) fumer leur clope et consommer des boissons à l'entrée de ce café concurrent. Mais où va-t-on, je vous le demande ? Autre détail : la place est tellement "to be" que les serveuses n'ont même plus besoin de parler français pour être engagées. La preuve avec une nouvelle venue (une asiatique), qui est un peu perdue quand on lui demande une boisson en français. Mais elle a un joli minois alors ça passe ?

Aujourd'hui soir, j'assiste à la fin d'un concert de jazz du groupe YôKaï, avec Didier Degroef (percussions) en guest star. Je ne connais pas ce groupe, si ce n'est le saxophoniste, qui n'est autre que Fred Becker, déjà présent au Potemkine le 6 novembre 2011. (Je suis toujours content lorsque je peux lier une journée de ce journal à une autre : ça me donne la – fausse – impression que je maîtrise ma propre mémoire.) 

Surplombant la salle depuis "ma coursive", je les applaudis et aimerais, tel un tribun, pouvoir faire un discours. Andrew ajoute : "Ha, si seulement nous avions encore nos essuies de sauna, ça le ferait !" (et hop, un deuxième lien pour comprendre de quoi il parle !). J'explique à mes amis que je m'imagine en train de crier d'une voix forte devant la clientèle du Potemkine, subjuguée par ma voix de baryton (mais plus thon que Barry, quand même) : "Messieurs, l'heure est grave : César a refranchi le Rubicon !" Andrew : "Quoi ? César l'a refranchi ?" "Oui, mes amis, il l'avait déjà franchi... Hé bien il a recommencé, ce salaud !" Puisse Jupiter lui pardonner ses faiblesses morales.

Léandra nous abandonne très tôt. Elle n'a apparemment que Jonas en tête. Son humeur (bonne ou mauvaise) tourne tellement autour de ce type que ça devient flippant. Un peu avant 22 heures, un serveur nous annonce qu'ils vont bientôt fermer notre coursive, ces malandrins ! Pas question de nous mêler à la Plèbe. Dès lors, nous rentrons chez nous, dignement, drapés dans notre orgueil de peuple des cimes. 

(Hamilton, faut vraiment que tu arrêtes... Je ne sais pas ce que tu dois arrêter, mais faut que tu arrêtes !)

Dora : 0 / Mendoza : 1

Et voilà ! Après des années de bataille éreintante contre la vile Dora l'Exploratrice qui rend les enfants beaucoup plus idiots qu'ils ne le sont en réalité, la lutte sans merci a enfin donné ses premiers résultats concrets ce week-end : ma fille Gaëlle, six ans au compteur (pour rappel), regarde désormais Les Mystérieuses Cités d'Or. Ce fut un combat difficile et très long, qui s'est terminé lorsque mon père – qu'il en soit personnellement remercié ici – a copié sur une clé USB les premiers épisodes de ce génial dessin animé, afin de les diffuser sur la télévision familiale.

Aujourd'hui, Gaëlle regarde donc les premiers épisodes des fameuses Cités d'Or et je ne peux m'empêcher de verser quelques larmes... Nostalgie de mon enfance mais aussi admiration : ha, que cette série est bien foutue ! On y retrouve des accroches historiques pour les plus petits (sur l'Espagne au temps des grandes découvertes, sur les conquistadors, sur les civilisations précolombiennes, sur la navigation en mer...), des héros qui ont de la gueule (trois enfants qui permettent au jeune public de s'identifier, mais aussi des adultes crédibles, comme Mendoza, personnage futé et "anti-manichéen" par excellence – ni bon, ni mauvais), un scénario complexe qui n'est pas mièvre et qui prend pour principe que même des enfants peuvent comprendre l'adversité (par exemple, certaines scènes font référence aux massacres des Amérindiens)... Et puis ces mélodies faites de "Haaaahahahahaaaaa" ou encore de "Haaaaaaaaaaaa"... 


* * *

Ce soir, je me rends avec mes parents et ma fille à la soirée d'anniversaire de mon cousin Fridric. Il a bientôt quarante ans au compteur et pour fêter l'événement, il a invité une centaine de personnes à un repas dans le réfectoire de l'école primaire où il donne habituellement cours. C'est à deux pas de mon ancien lycée/athénée. J'ai plein de très bons souvenirs d'adolescence en tête (je suis ironique).
 
Les grandes tables du réfectoire sont disposées par "groupes d'intérêt" : "Famille" (la table à laquelle je suis installé), "Chorale" (car mon cousin chante dans une chorale, CQFD), "Tennis", "Poker", "Amis", "Enfants", etc. C'est vachement bien organisé. Il y a un DJ mais nous ne le voyons quasiment pas avant minuit. Durant le repas, le rôle du DJ consiste à prendre son ordinateur (avec une playlist préétablie) et de le brancher à un système d'enceinte acoustique (de très mauvaise qualité, dans ce cas-ci). 

Pour les quarante ans de son fils, ma tante (conteuse à ses moments perdus) a préparé, en collaboration avec la chorale, un discours qui fait rire tout le monde, sur l'air des Trois Cloches d'Edith Piaf. Ma tante conte la vie de son gamin et s'arrête de chanter à chaque couplet pour expliquer un détail croustillant ou une anecdote. Après ce discours qui n'en est pas vraiment un, le beau-fils (dix ans) de mon cousin lui lit un petit texte qu'il a préparé tout seul. C'est assez émouvant mais, de la façon dont c'est écrit, on a l'impression qu'il parle d'un mort, qu'il lit un discours funèbre. Fridric fait enfin un petit discours, qu'il termine par un mythique : "Et je tiens à saluer ici l'ainée de cette salle, ma grand-mère, cette vieille mijole" (en "belge", "mijole" désigne très vulgairement le vagin). Tout le monde éclate de rire. Mon père : "Roooh, il est vraiment taré. Il a osé dire ça devant cent personnes !"

Durant la soirée, un professeur de religion orthodoxe un peu hors-monde, qui a apporté pour tout cadeau un mug à deux euros, boit plus que de raison et tente d'emporter une partie de repas dans un aluminium...

Vers la fin de la soirée, Gaëlle commence réellement à fatiguer. Elle s'énerve pour un rien, pleure à la moindre contrariété... Nous nous en allons donc un peu après minuit. De toute façon, je commençais vraiment à avoir mal à la tête, avec tout ce bruit et tous ces gens...

Impitoyable vieillesse

Je suis en congé aujourd'hui et passe le temps de midi à la Maison du Peuple de Saint-Gilles en compagnie de mon PC portable. Je pensais arriver dans un endroit calme et désert mais c'est le contraire que je découvre : une salle noire de monde, avec des familles et des ordinateurs partout. D'où viennent tous ces gens ? Ne travaillent-ils pas, eux non plus ? J'en viens à imaginer les travailleurs du secteur tertiaire dans 20 ans : plus personne ne se rendra à son boulot, tout le monde travaillera à distance sur son petit ordinateur, depuis un endroit quelconque. Finies les pauses-cafés de 9h30, finis les contacts sociaux, place à l'individualisme forcené... Mais je m'égare...

Dans le train vers Namur, nous avons tous affaire à un vieux contrôleur ultra-méticuleux. Sur presque huit ans de navettes, je n'ai jamais vu une chose pareille. Le gars est à la fois extrêmement poli et d'un perfectionnisme qui force le respect. Il vérifie chaque abonnement et chaque ticket de transport avec un soin inouï ; il explique à une dame derrière moi que ce qu'elle a en main n'est pas valable ("Non, Madame, je ne l'accepte pas. Il vous faut un billet transfrontalier pour ce type de déplacement. Peut-être mes collègues l'acceptent-ils mais moi, je ne l'accepte pas car ce n'est pas régulier. Je vous remercie de votre compréhension...") ; il précise où chaque personne doit descendre ; il connaît le réseau comme sa poche et l'horaire de chaque correspondance ("Descendez à Libramont et prenez l'omnibus de 16h21, mais il est annoncé avec un retard de six minutes"). Lorsque ma voisine de siège lui montre sa carte "Train scolaire", il la déplie dans tous les sens à la recherche d'une éventuelle contrefaçon ; lorsque je lui montre ma carte "Réseau" (valable partout en Belgique), il la regarde dix secondes avec beaucoup d'attention et me demande où je vais car je ne peux "dépasser la frontière" avec ce titre de transport. Ce mec n'est pas un humain, c'est un cyborg !

À Namur, je bois un café à la brasserie Le Flandre en attendant l'heure de la sortie des cours. Juste à ma gauche, un client grisonnant commande une Triple Karmeliet. Lorsqu'il voit que la serveuse lui a apporté des petits biscuits salés en accompagnement, il s'offusque : "Pas de biscuits ! Ce sera du fromage ou rien !". La serveuse repart donc avec ses biscuits et lui ramène des dés de fromage : "S'il vous plaît, Monsieur." Réponse du gars : "Merci ma petite demoiselle. Moi, c'est Jean, pas Monsieur." Était-ce une tentative de drague ? Peut-être mais en tout cas, c'est raté.

À ma droite, deux vieux messieurs discutent. L'un a 95 ans et explique : "Il y a dix ans, je montais encore à pied jusqu'à la Citadelle. En deux fois, hein... Mais je montais tout à pied !". L'autre, beaucoup plus jeune, explique qu'il a de gros problèmes de santé actuellement : "C'est embêtant. Je ne peux plus faire de sport, je ne peux plus boire de café, je ne peux plus m'énerver..." Help ! Je veux mourir avant d'en arriver là ! Je repense au testament de Paul Lafargue (qui s'est suicidé à la veille de ses 70 ans), qui commence en ces termes : "Sain de corps et d’esprit, je me tue avant que l’impitoyable vieillesse, qui m’enlève un à un les plaisirs et les joies de l’existence et qui me dépouille de mes forces et physiques et intellectuelles, ne paralyse mon énergie, ne brise ma volonté et ne fasse de moi une charge à moi-même et aux autres."

Dans un train, question de Gaëlle : "Pourquoi le train s'arrête ?" La bonne réponse ("Parce qu'on est dans une gare") me semble totalement dénuée d'intérêt. Alors j'invente autre chose :
– C'est parce qu'il y a une vache sur la voie.
– C'est vrai ? Une vache ? Tu la vois ?
– Oui, oui.
– Mais je ne la vois pas, moi.
– Ha mais c'est parce que j'ai des yeux bioniques, qui voient à travers les murs !
– C'est vrai ?
– Ha ! On redémarre. Regarde par la fenêtre. Tu verras la vache, toi aussi...
Gaëlle regarde avec attention. Petits rires des autres passagers.
– Je ne vois rien !
– Oh, pas de bol, elle se trouvait de l'autre côté. C'était une vache-dragon, avec des ailes, qui crachait du feu.
– C'est vrai ?
– À ton avis ?
– C'est une blague, hein, Papa ?
– À ton avis ?
– Je ne sais pas, moi !
Il faut que je profite de ce genre de moment, car lorsque ma fille aura douze ans, elle ne croira certainement plus à ce genre de bobards (du moins j'espère pour elle...). 

La soirée se passe tranquillement chez mes parents à regarder Scoubidou (le film) à la télévision. Dieu que c'est con et mal joué ! Mais Gaëlle rigole bien. C'est tout ce qui compte, non ? Non ?

"Smoking/no smoking ?"

De bon matin au boulot, réunion à huis clos dans un des bureaux pour remettre les choses à plat (cf. la journée d'hier). Les tensions s'apaisent et c'est bien mieux comme ça. Lui comme moi en étions malades toute la journée d'hier. Nous devons travailler dans l'harmonie : working free in harmony (à moins que ce ne soit "walking free" ?)...

Ce matin, Doëlle, Miss "Numérisation des patrimoines", nous rend visite. Elle ne serait sans doute pas très contente si elle savait que je la présente de cette manière ici-même, mais fort heureusement elle ne lit sans doute pas ce blog. De toute façon, personne ne lit ce blog (c'est pas bientôt fini de se plaindre, ici ?).

Je ne savais même pas que Doëlle devait passer aujourd'hui : je ne suis au courant de rien, comme d'habitude... Ou alors, plus vraisemblablement, j'ai encore oublié d'écouter/prendre note à la réunion d'équipe de ce lundi. Que je sois maudit jusqu'à la septième génération de ma race pour avoir lancé un tel affront au glorieux monde du travail ! Malgré le fait qu'elle débarque sans que j'en sois informé, Doëlle arrive quand même à attraper un café. Une chance quand on connaît la vitesse vertigineuse à laquelle descend le niveau du thermos dans cette petite institution de caféinomanes... Tout va bien donc. Je me rends même utile en donnant à Doëlle le nom d'un logiciel "magique" qui permet de réaliser en quelques clics des renommages de fichiers : ça s'appelle Ant Renamer (Entrenémeur ?), c'est gratuit et ça a changé sa vie et "celle de nombreuses institutions", paraît-il.

Ce matin encore, j'abats toujours une masse conséquente de travail. Ça veut dire que d'habitude, je ne fous rien ? Non, ça veut dire que d'habitude, je n'ai pas à travailler sur dix projets en même temps, que je dois clôturer pour cette fin d'année (qui s'approche dangereusement, mazette !). Ma collègue de bureau Wynka est encore beaucoup plus sous pression que moi : comparé à elle, je suis presque peinard, je me la coule douce... Elle doit actuellement gérer la dernière ligne droite de la publication d'un livre dont elle est la "rédactrice en chef" (ce n'est sans doute pas le bon terme), sauf qu'elle endosse la responsabilité d'une série de tâches dont elle ne doit normalement pas du tout s'occuper. Elle récupère une partie conséquente du travail d'acteurs extérieurs qui font mal leur job (Wynka est un peu dans la même situation que Léandra en ce moment !) : elle doit prendre des contacts avec l'imprimeur alors qu'il y a une infographiste attitrée, elle doit faire office de secrétaire en redistribuant des courriels, etc. Wynka est stressée, elle est à bout de nerf, elle s'active dans tous les sens. J'essaie de la faire rire de temps en temps : ça marche, mais ça ne la calme pas. À midi, elle dit : "Ha ! il y a du vin à table. Hé ben ce n'est vraiment pas de refus !".

Wynka a été entre autres éduquée par une mère fan de programmation neuro-linguistique (PNL en abrégé). Elle en rigole souvent et je ne sais pas si elle y croit réellement. À de nombreuses reprises, Wynka a déjà explicité les propos de sa maman : en PNL, il faut exprimer ses pensées de manière positive et avoir le moins souvent recours à la négation. Par exemple, en résumé, il vaut mieux dire : "Il y a du soleil" plutôt que : "Il ne pleut pas". Les deux phrases désignent le même fait sauf que la seconde est construite en référence à une pensée négative (pô bien !). Autre détail cocasse : toujours d'après la maman de Wynka, quand on veut que quelque chose se réalise, il faut regarder en haut à droite, signe d'avancement et de prise de hauteur. En haut à droite ? Ben oui : en haut à droite ! C'est-à-dire diriger ses yeux vers le coin du plafond qui se trouve à notre droite. Et quand il n'y a pas de plafond ? Hé bien on l'imagine, pardi ! Je ne peux m'empêcher de penser au ridicule de la situation si tout le monde se mettait à tourner les yeux en haut à droite, tout le temps et de manière frénétique.

Ce petit préambule pour amener le fait que Wynka, parlant brièvement des textes d'un militant communiste qu'elle a relus il y a peu, a sorti ce merveilleux commentaire : "C'est normal que ce qu'il proposait ne s'est jamais concrétisé car il construit systématiquement toutes ses phrases sur le mode négatif, sur l'opposition". La remarque me fait penser à... euh... quelqu'un... Je lui pose donc la question : "Et moi, je m'exprime comment ? J'écris comment ? De manière négative ou positive ?". Elle me répond, sans aucune hésitation : "Toi ? Tu es extrêmement positif en tout !". (Faut dire qu'au boulot, la très grande majorité du temps, mes collègues ne voient que ma version diurne : le type très confiant en ses capacités intellectuelles, trop sans doute. J'espère pour l'image que je leur donne qu'ils ne verront jamais la version nocturne.)

* * *

Ce soir, je suis invité chez Léandra. L'idée : me rendre d'abord à la Porte de Hal pour acheter des frites ("Yes Sir !"), qu'on mangera chez elle. Alors que je suis encore en réunion dans la banlieue de Liège (17h30, déjà ?), coup de téléphone d'Emily. Recontactée plus tard, elle veut savoir si je vais à la Maison du Peuple ce soir. Réponse :


– Non, je vais chez Léandra manger des frites, mais je lui ai posé la question et tu es la bienvenue !
– C'est qu'il y aura Walter aussi.
Arf. C'était censé être une soirée à deux au départ et ça va commencer à faire beaucoup... Je pense que ça ne va pas le faire.
– Pas de problème, je comprends.

Comme me le fera remarquer Léandra, nous allons encore passer pour de vieux acariâtres auprès de ces deux "jeunes gens" mais tant pis. Le but n'était nullement de faire une soirée "dream team".

À la friterie de la Porte de Hal, là où les vendeuses ne sourient pas, la faune est parfois très bizarre (ça explique sans doute justement la froideur des vendeuses). Alors que je commande nos deux paquets de frites, débarque un grand black à chapeau tout droit sorti de The Wire : 
Yo, tu me fais un sandwich à 2,50 !
– Désolé, c'est 3 euros, le sandwich...
– Hé, yo ! 2,90 !
– C'est 3 euros, le sandwich.
– Avec de la mayo, tu me connais ! Je prends toujours la même chose.
– Hier, c'était de la tartare.
– Je te le demande gentiment et c'est comme ça que tu me réponds ?
  
Chez Léandra, nous discutons sur de nombreux sujets. J'ai pris la peine de noter quelques bribes de conversations :
Moi : Les mandarines, c'est bon, mais ça ne vaut pas les oranges.
Léandra : Ouais, mais les oranges, c'est ennuyant à couper. Alors que la peau de la mandarine s'enlève toute seule !
Moi : C'est vrai.
Léandra : En quelque sorte, la mandarine, c'est le vélo à quatre roues des oranges...
Moi : Elle est très belle, celle-là, je prends note...

Léandra : C'est quand même génial de travailler près de la Bourse.
Moi : beurk, c'est le Centre-ville !
Léandra : La journée, ça va. C'est le soir que l'ambiance change. Dans le Centre-ville, le soir, même les touristes sont chiants.
Moi : Ah, je la note aussi celle-là : "Centre-ville, le soir, même les touristes sont chiants".
Léandra : Surtout les touristes ! Tu peux le noter, ça aussi.

Léandra : La semaine dernière, comme toi aujourd'hui, Jonas a été convoqué par son grand chef, celui qu'il appelle n+2, le chef de son chef.
Moi : "n+2", marrant...
Léandra : C'est très fréquent dans les boîtes. Emily dit ça aussi, non ?
Moi : Non, je ne crois pas... Elle dit "boss" et "big boss", je pense.
Léandra : En tout cas, c'est très fréquent.
Moi : On pourrait faire ça pour toute la société. n+11 : le premier ministre ; n+12 : le roi ; n+13 : Dieu !
Moi : Je vais vraiment passer pour un taré. Peut-être même que des amis vont me téléphoner pour savoir si je vais bien...
Léandra : En fait, tout ça me fait penser à Mr. Nobody de Jaco van Dormael. C'est un peu le même principe : une vie avec des histoires parallèles, des embranchements et des choix différents...
Moi : Ah, je ne connais pas. Je n'y connais rien en cinéma mais ça a l'air bien. En fait, je pensais plutôt à un autre film : le film français, là, avec Pierre Arditi... Raaah, comment ça s'appelle ? Blanc/Noir ? Non.
(Après recherche sur le Web...)
Léandra : Smoking/No smoking ?
Moi : Oui, c'est ça ! Smoking/No smoking ! Deux films qui proposent des fins différentes selon les choix effectués...
Léandra : Sinon, dans un autre genre, il y a aussi la Trilogie de Lucas Belvaux. Tu pourrais t'en inspirer pour de prochains articles...
Moi : Ha ?
Léandra : Oui ! Ce sont trois films qui racontent la même histoire mais vue d'un point de vue différent... Les personnages principaux de l'un deviennent les personnages secondaires de l'autre, etc. Après les avoir vus tous les trois, c'est génial !
Moi : Ha oui, ça pourrait être une belle idée d'article aussi...

"Humanisme", ça prend combien de haches ?

Si mes textes sont plus courts en ce moment, ce n'est pas parce que j'écris moins mais parce que je consacre la majorité de mon temps d'écriture à un autre projet. Je suis les conseils de mon amie Léandra, qui m'a bien fait comprendre dernièrement que je n'étais pas obligé d'écrire tous les jours une tartine indigeste. Ha bon ?

Au boulot, de bon matin et en pleine pause-café, je me prends dans la gueule, et ce alors que je suis de très bonne humeur, une belle crise d'hystérie de la part d'un des membres de l'équipe. Je suis en colère car ce qu'il me reproche me paraît totalement disproportionné par rapport aux faits. La tasse de café que je tiens en main droite tremble convulsivement : c'est dire si je suis énervé. Je n'en raconterai pas plus ici... J'écris ce petit paragraphe simplement pour me rappeler le jour et l'heure approximative de l'événement. Ambiance !

Sur le temps de midi, pour une raison perdue dans les limbes de ma mémoire, nous parlons de la rue Paradis, à Liège, en face de la gare des Guillemins. Détail cocasse : un bâtiment abritant un bureau du cdH (Centre démocrate humaniste – avec un grand H aux initiales siouplaît parce que l'humanisme c'est important, les Zamis) est le voisin direct d'un magasin de lingerie coquine (et peut-être de DVD de cul aussi – je n'en sais rien, je ne me suis jamais aventuré à l'intérieur).

Il n'en faut pas plus pour que la discussion vire à l'épineuse question de la prostitution car mes deux collègues bibliothécaires et moi, nous nous imaginons certains de nos anciens stagiaires en bibliothéconomie se rendre audit magasin coquin en guise d'amuse-bouches puis faire un détour par la rue Varin, celle des bars/vitrines à prostituées, à deux pas de la gare... (Faut dire que certains des stagiaires mâles ont gagné assez rapidement une réputation de "chauds lapins introvertis" référence à ce que nous avons retrouvé à plusieurs reprises dans l'historique de certains PC de la salle de lecture – ils font ce qu'ils veulent de leur libido, mais pas dans une bibliothèque, nondidjû !)

Christiane, une des bibliothécaires, explique sa vision de la prostitution, que l'on pourrait résumer de cette manière, sans je pense trahir ses propos : à partir du moment où des personnes adultes sont consentantes pour pratiquer un acte sexuel, qu'il y ait rétribution ou pas, il n'y a strictement aucun problème ; le problème commence lorsqu'il y a exploitation d'un être humain par un autre. Je suis, pour ma part, d'accord avec elle mais ne peux m'empêcher de parler à table de l'opinion de Léandra, qui est presque à l'opposé de ce principe. Je ne cite pas son prénom durant la conversation mais mentionne que j'ai une amie qui pense le problème différemment : "Pour elle", dis-je, "la prostitution est toujours une exploitation, car on ne peut faire ce métier sans y être obligé". Sylvette et Christiane s'insurgent : "Mais il y en a qui aiment le sexe, simplement !". Vaste débat, à suivre...

Toujours au boulot, je passe une partie de mon après-midi à corriger un article qui nous a été remis par une étudiante de 2e cycle universitaire et que nous sommes censés publier comme analyse d'éducation permanente. En le lisant, je me dis que ladite étudiante a dû écrire tout cela très, très vite... ou alors qu'elle a d'énormes problèmes 1) de ponctuation ; 2) d'orthographe ("Quand est-il ?", "L'argument ce retrouve") ; 3) en analyse de contenu ; 4) en critique historique. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de ce machin ? Et dire que c'est parce que j'ai traîné dans la correction de ce papier que je me suis fait enguirlander ce matin. Misère !

Ce soir, de retour à la gare des Guillemins, je vois dans une librairie, en première page de la Dernière Heure (DH pour les intimes), un gros titre concernant la crise politique belge : "Sire, voici les idées de nos lecteurs" (un lien ICI)... J'ai failli l'acheter simplement pour lire les fameuses solutions proposées, puis je me suis ravisé. Si ce sont les mêmes lecteurs que ceux que l'on croise sur les forums en ligne du journal, ceux-là même qui publient une multitude de commentaires réactionnaires, populistes, fascistes, racistes (biffer les mentions inutiles, s'il y en a), je m'imagine très bien les "solutions" : "Donner les pleins pouvoirs à Maître Modrikamen", "Virer tous les socialo-bobo-gauchistes du P$", "Renvoyer les étrangers chez eux", "Faire justice soi-même", "Supprimer les allocations de chômage pour les parasites sociaux", "Faire appel à l'armée en cas de désordre public", "Interdire les mosquées", etc. Mais peut-être est-ce que je me trompe complètement ? Peut-être aurais-je dû l'acheter, c'te journal... Peut-être y aurais-je trouvé la crème de la crème en matière d'humanisme (avec un grand H ?) sophistiqué ? 

Ce soir, je passe ma soirée à la Maison du Peuple de Saint-Gilles (le quartier général des "socialo-bobo-gauchistes" ?). J'écris ce texte alors que je n'y suis pas encore. Actuellement, je suis encore dans le train. C'est le côté magique de l'écriture : je peux spéculer sur des choses qui auront sans doute lieu et, à l'inverse, sur d'autres qui n'arriveront certainement jamais.

L'horloge flamande

Ce matin, je suis au CHU Saint-Pierre pour une visite de routine, un mois et demi après mon opération. Lorsque j'arrive au sixième étage de la Polyclinique (chirurgie-urologie-neurologie – pourquoi avoir regroupé ces trois-là ensemble dans un même service ? Je n'en sais fichtre rien), une dame entre précipitamment dans l'ascenseur avant même que je n'en sorte. Je déteste ça... Quelques secondes plus tard, la même dame me dit, fâchée : "Vous m'avez cognée avec votre sac !" Je lui réponds, un peu rouge : "Madame, on laisse d'abord sortir les gens d'un endroit avant d'y entrer. Si vous aviez eu cette politesse, jamais vous n'auriez été cognée !" Jusque là, rien de drôle...

À l'accueil, trois dames discutent de néerlandais :
– Comment dit-on l'heure "et demie" en néerlandais ? "Half voor quelque chose" ?
– Ha non, dans ce cas-là, on ne met pas de "voor". On dit simplement "Half". Le "voor" est sous-entendu... "Het is half tien" : il est 9 heures et demie.
– Ha d'accord. Et comment on dit : "Il est 9 heures vingt", par exemple ?
Une des dames prend alors un air docte :
– Simple : tu dis "Het is twintig na negen". "Voor" : avant. "Na" : après. C'est magique !
Durant un bref instant, je tique... "Na" ? N'est-ce pas plutôt "over" ? Je ne dis rien... Ensuite, elles tentent, le sourire aux lèvres, quelques phrases hésitantes :
– "Welke activiteit doe je hier ?" Hahaha !
– "Deze... Euh... CHU is beter dan CHU Namen". Hem... Comment dit-on "CHU" en néerlandais ?
À ce moment, j'en viens à me demander si elles sont parfois confrontées à de véritables patients ne parlant que le néerlandais... Si c'est le cas, j'aimerais vraiment être là pour assister à la scène...

Je me rends dans la salle d'attente. La partie en néerlandais s'arrête donc là (et ce n'est pas plus mal). Deux vieux monsieurs de 80 ans passés arrivent plus ou moins en même temps. L'un est du genre "dandy élancé" ; il porte un costume, une cravate et une belle écharpe. L'autre est du genre "brusseleir" ; il marche difficilement avec une canne, porte une casquette et est chaussé de simples pantoufles de salon. Je ne pense pas qu'ils se connaissaient avant ce moment, mais lorsque le second arrive à la hauteur du premier, il lui crie un joyeux : "Comment ça va ?" et tente de faire un salut "à la d'jeune" (cette poignée de mains particulière qui consiste à taper d'abord sur le haut du poing pour ensuite faire une opération bizarre avec le bout des doigts...). Voyant que ça ne fonctionne pas du tout, il finit par lui serrer tout simplement la main. "Je vais m'asseoir à côté de vous", lance le second qui essaie tant bien que mal de faire un brin de causette en demandant l'heure (11h) ou l'âge du premier (85 ans) mais ça ne fonctionne pas du tout. Je vois bien que le dandy est peiné par cette incursion non sollicitée. Dès lors, il se retourne, puis se casse, tout simplement (!).

Mon chirurgien sort de son bureau, qui est presque contigu à la salle d'attente, et appelle un patient. Il porte un costume un rien démodé, le genre de costume que l'on retrouve dans les films italiens des années 60-70 ou bien dans Le Corniaud. En me voyant, il me fait un petit signe : "Hamilton ! Encore un patient avant toi, et puis c'est ton tour, hein..." La visite chez lui dure seulement quelques minutes, le temps de vérifier ma cicatrice au nombril : "Dans trois mois, on ne verra plus rien ! Avant on faisait trois trous dans l'abdomen... Maintenant, c'est fini, tout ça ! Pfiout ! Passé... Alors, heureux, Hamilton ?". Que répondre si ce n'est "Ha ben oui, heureux, heureux...".

Je fais la file à l'accueil pour fixer un dernier rendez-vous avec ce chirurgien, pour la mi-février. Déboule (façon de parler) le vieux monsieur brusseleir de tout à l'heure. Il me dépasse et... passe carrément devant moi (!). Que faire ? Lui crier "Bordel de merde, j'étais avant et ce n'est pas parce que vous êtes un vieux schnock qu'il ne faut pas faire la file comme tout le monde !" n'est certainement pas la bonne solution, bien qu'elle me passe un instant par la tête. Alors je ne dis rien et je patiente, en me remémorant un épisode de Groland sur le complot des vieux (ils ont vu juste, à Groville !).

Conclusion : ma visite à l'hôpital était un peu moins marrante que les dernières fois. Tout se perd, que voulez-vous ? Mais où va-t-on, je vous le demande ? Pauvre Belgique !

Probabilités

Considérant
que le train Liège-Bruxelles de 18h est composé de 15 wagons,
que chaque wagon dispose de 15 rangées de sièges,
que seule une rangée sur trois est occupée par un passager,
qu'un gars mort bourré cherchera forcément à emmerder quelqu'un,
quelle est la probabilité que ledit gars tombe sur moi ?

La réponse est très simple, du moins en théorie : 15 wagons x 15 rangées : si le gars reste statique, ça nous fait 225 rangées où il peut s'asseoir, donc une chance sur 225 qu'il tombe sur moi. Vu qu'il posera ses fesses à un endroit où il peut emmerder quelqu'un, dans un train relativement vide comme celui-ci, cette première estimation doit être revue à la hausse, soit plus ou moins une chance sur 75.

En pratique, c'est oublier que je m'appelle Hamilton L. Evenvel et que, de ce simple fait, mes chances d'attirer un casse-pied, lorsqu'il y en a un présent dans le train, avoisine les 100%. Bingo ! Vers la fin du trajet, un gars agrippant tant bien que mal une Cara Pils et dont l'élocution montre qu'il ne s'agit clairement pas de la première s'assied à deux mètres de moi, sur la banquette de l'autre côté de la travée centrale. À quelque chose malheur est bon : je n'avais vraiment rien à raconter aujourd'hui. Grâce à cet olibrius, voilà que je peux combler ce triste vide événementiel.

Pour débuter la conversation, alors que notre train est immobilisé un peu après Leuven, il me demande : "On est où, là ?" En vérité, il n'a pas du tout prononcé ces mots : ça ressemblait plus à un "Onéyoula ?" mâchouillé, mais j'ai compris le principe. Trente secondes plus tard, il me redemande : "On est où là ?". Au même endroit ou presque. Puis, il me crie : "Brussel ?". Non, on n'est pas encore à Bruxelles. "Brussel Midiii ?". Non, non, pas encore. Cette conversation semble durer des plombes. Il répète sans cesse "Brussel". Je finis par l'ignorer en remettant mes écouteurs, mais je ne suis pas très à l'aise...

Arrivés à Bruxelles-Nord, ambiance : la contrôleuse tape à la vitre du wagon pour signaler au gars ivre qu'il est arrivé à destination (apparemment, il lui avait demandé qu'elle le prévienne à l'arrivée en gare). Là, j'ai pu noter (sur mon PC) l'entièreté non tronquée de son discours (désolé pour la vulgarité, ce n'est pas moi, c'est lui, M'dame !) : "Qu'est-ce qu'elle me veut, c'te salope ? J'descends à Bruxelles-Midiii, pas ici, moi ! Elle veut me baiser, mais mon pénis, il est fatigué... Il en peut plus ! Ha, les femmes, elles fatiguent... Elles fatiguent et elles comprennent rien." Il regarde ensuite la contrôleuse qui se trouve pour le moment sur le quai et me lance : "Elle est jalouse. Elle croit que je dors... Je ne dors pas. Elle croit que je dors mais je ne dors pas, hahaaa... De toute façon, on va trouver après. On trouvera, t'inquiète. On trouvera sans problème..."

À ce moment, il met une main à son entrejambe et commence à se frotter vigoureusement et de façon obscène au travers de son pantalon. Puis, il décide de s'asseoir en face de moi. Ouais, bon, ça suffit comme ça... Je range mon PC et je me casse du wagon. Il me lance : "Hé ! Musique, faut que tu mettes de la musique ! Tu t'en vas ? Musique..."