De plumes, de sang et d'eau

Les lèvres noires. — Cette fois-ci, sans doute Jonas serait-il d'accord pour déclarer que The Black Lips est un vrai groupe de vrai rock véritable, même selon le cadre très étroit dans lequel il inscrit ce genre musical (« Le rock, c'est un gars qui prend une guitare et qui en sort un son de malade ! » ou quelque chose de rapprochant)... Enregistrement à l'arrache, voix qui se foutent complètement de sonner juste, énergie tribale, paroles répétitives qui la plupart du temps ne veulent pas dire grand-chose...

Par ailleurs, sans doute des membres de ma famille visionnant sur ce blog la vidéo de la chanson « Family Tree » (Arabia Mountain, 2011) me demanderaient-ils à nouveau si je ne suis pas en train de changer de bord (ça va devenir le running gag du moment). Pour les rassurer, pour autant qu'il faille les rassurer de quoi que ce soit, je leur répondrais que je regarde ce clip principalement pour les jolies jeunes femmes dénudées couvertes de plumes et de sang, ainsi que pour l'ambiance orgiaque, décadente et séminale qui se dégage de la vidéo... (Tout doux, Hamilton... L'ambulance va bientôt arriver... Encore un tout petit peu de patience...)
Autre chose : suis-je le seul à voir dans ce clip un petit air de ressemblance avec « Losing My Religion » de R.E.M. ?... Même imagerie onirique faite de corps à moitié nus, de référence à la culture chrétienne, à la Renaissance et à l'homosexualité ? Dans « Losing My Religion », l'image de saint Sébastien percé de fausses flèches ; dans celui-ci, un faux Christ sur sa croix. Et puis, il y a les plumes !

I'm happy again. — Par principe, à partir du mois de juin, qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige (?) ou qu'il fasse un soleil radieux, je refuse catégoriquement de porter le moindre pull ou manteau (autrement dit : je suis toujours en tee-shirt ou en chemise). De la même manière, il est hors de question que je me balade avec un parapluie. Par conséquent, vers 17 heures, lorsqu'une pluie torrentielle s'abat sur moi, entre le travail et mon arrêt de train, je ne suis absolument pas protégé. Les quelques autres malheureux que je croise sans parapluie courbent l'échine et tentent de se protéger tant bien que mal. Ils ont tort. Car tenter de se protéger en baissant la tête ne sert à rien. Je garde donc la tête haute et continue de marcher tranquillement en sifflotant. J'essaie de me dire que je ne fais qu'un avec la pluie, qu'elle ne m'atteint pas vraiment, que je vis l'instant présent, comme Gene Kelly dans Singin' in the Rain... Sauf que je ne danse pas, ne fais pas de claquettes ni ne m'accroche à un lampadaire... What a glorious feeling. I'm happy again. I'm laughing at clouds. So dark up above. The sun's in my heart... (Ce passage décrit à la perfection la sensation que peut ressentir quelqu'un qui ne considère pas la pluie comme son ennemie.)

Résultat de cette petite folie : dans le train, mes chaussures sont liquéfiées, mon pantalon est littéralement trempé et je suis obligé de secouer ma tête comme un vieux chien pour évacuer toute l'eau présente dans ma chevelure. Les gens me regardent comme si je débarquais de Pluton. J'ai envie de gentiment leur expliquer : « Vous savez, dehors, il pleut. On est en Belgique. Ça arrive. » Ou encore : « Sur Pluton, il n'y a pas d'eau*. »

Fríðr. — Le train entre en gare de Bruxelles-Midi et je suis toujours bel et bien mouillé. Fríðr (la navetteuse) sort en même temps que moi. Je lui dis : « Je me suis pris la pluie dans la tronche. Je n'ai jamais de parapluie. » Elle me regarde de haut en bas et me répond : « Je vois. » Je passe une partie du trajet de retour avec elle. Elle m'explique qu'elle travaille dans l'assainissement des sols, à Liège, depuis environ trois ans. Quand je lui raconte que ça fait plus de six ans que je fais cette putain de navette, elle s'exclame : « Six ans ! », puis me demande : « Et tu n'as pas envie d'habiter à Liège ? » Toujours la même réponse : ha non, Bruxelles est ma ville d'adoption, ma belle petite ville, dans laquelle je finirai mes jours et je ne la troquerai pour aucune autre ville dans ce monde de fous. (C'est sans doute là l'unique signe d'appartenance territoriale que l'on pourra déceler dans ce journal, avec peut-être ma maison d'enfance.) Plus tard, dans le tram, je lui renvoie la question : « Et toi, tu ne veux pas aller habiter à Liège ? » Elle me fait un grand non de la tête, un peu comme pour signifier « T'es taré ou quoi ? » Sublime décadence, la danse des panses, ministère de la Bière, artère vers l'Enfer... 

Au Parvis de Saint-Gilles, je lui explique que c'est là que je descends aujourd'hui (la prochaine fois, je lui dirai peut-être aussi que c'est là que je passe ma vie).
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* En fait, peut-être que si, justement !

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