En string dans une boîte à chat

Sortir ? Ne pas sortir ? — Je ne fais rien de ma journée, si ce n'est jouer, encore et toujours, aux Colons de Catane en ligne, ce qui a un effet néfaste sur mon humeur. Je sais que je suis en train de gâcher mon week-end "libre" (c'est-à-dire sans ma fille), mais je suis comme cloué sur place. J'enchaîne les parties, sans discontinuer. Et j'en gagne de plus en plus. — La drogue du jeu. 

L'après-midi, je passe deux coups de téléphone... Le premier à Léandra, que je n'ai plus vue depuis longtemps. Elle m'apprend que Jonas, en plus d'être dans les limbes de l'indécision, a un petit problème de santé : "On a cru que c'était grave... mais non." Le second à Emily car il est question, peut-être, de rejoindre Andrew et Walter en ville... Elle ne répond pas (j'apprendrai plus tard qu'elle dormait encore à l'heure de mon coup de fil). 

Digression temporelle... En début de soirée, Andrew et Walter assistent à une "performance" artistique techniquement orchestrée par Igor : une drôle d'histoire de "flamande en string" (la description est de Walter) faisant le tour d'un terrain vague, en courant, dans l'enceinte de Tour & Taxis. Après avoir couru, l'actrice se terre dans une petite maison, clin d'œil à la boîte à chat de Schrödinger. Est-elle vivante ? Est-elle morte ? Comment perçoit-on sa propre existence ?... Au final, la performance est un chouïa ratée : à cause d'un bête problème de micro, les spectateurs (une septantaine de personne, principalement des amis des artistes et des bobos à smartphone, parfois les deux à la fois) n'ont entendu que des bribes du monologue philosophique de la "performeuse"...

Emily me rappelle en fin d'après-midi et m'apprend qu'elle n'est pas disponible, du moins pas avant la seconde partie de soirée... Elle a en effet prévu de sortir avec "les autres" (Charles-Henri et compagnie). J'hésite. Est-ce que je rejoins Andrew et Walter ou est-ce que je reste chez moi ? Si je reste, peut-être pourrai-je voir Léandra ? Je suis indécis et je déteste ça. Je décide finalement de rester chez moi, confortablement affalé dans mon petit divan rouge, devant les Colons de Catane évidemment. J'apprends que Léandra restera "au chevet de Jonas" aujourd'hui. Puis Emily me téléphone à nouveau : tout compte fait, sa sortie est annulée et elle me propose d'aller manger en attendant Andrew et Walter. J'accepte. Le rendez-vous est fixé au Ellis Gourmet Burger, un snack de la place Sainte-Catherine.

Amblyopie sentimentale. — Chez Ellis Gourmet Burger. Pas de table disponible : le serveur nous installe au bar. Pour une fois, Emily n'est pas habillée "à l'aise" et porte un très joli dessus noir (un vêtement qu'elle a acheté à l'occasion d'un récent mariage dans sa famille), associé assez curieusement à un jeans et un manteau rouge... Au centre de la discussion : le strabisme. Emily m'explique que dans certains cas de strabisme non corrigé durant la petite enfance, il arrive qu'une personne perde totalement l'usage d'un œil, non parce que celui-ci est endommagé d'une quelconque manière mais parce que le cerveau ne peut analyser l'image qu'il reçoit. Le terme consacré est "amblyopie". Je trouve très curieuse et assez intéressante cette idée de cerveau incapable d'interpréter une donnée sensorielle provenant d'un organe sain : cela montre, pour ainsi dire, qu'une donnée visuelle n'est disponible qu'après interprétation, comparaison, classement... — Encore une Gestalt ?

Le hamburger au bacon est très bon mais le service très énervant. Chaque minute, un serveur vient nous demander si nous avons choisi. Les places sont chères et il faut choisir vite, mon gars... On se croirait dans un bar branché parisien. Je déteste.

« Et Charles-Henri, ça va ?
— Oui, ça va bien. Il fait toujours plein de trucs... Parfois, je me demande où il va chercher toute cette énergie.
Ça fait longtemps que je ne l'ai plus vu. 
— D'un côté, tu as tout fait pour...
Mmmmmh ?
— Tu ne répondais plus à aucune de ses invitations. Il a fini par se lasser. »
(Ça me demandait un trop grand effort de faire semblant d'être naturel... Très difficile de les voir, ces deux-là... Et surtout, très difficile de la voir. Il existe une zone morte dans mon cerveau lui correspondant : une amblyopie sentimentale, en quelque sorte... Nul sentiment en cet endroit où pourtant, à une époque pas si lointaine, il y avait beaucoup d'amour.)

Nous rejoignons Walter, Andrew, Eugenia (sa collègue russe), accompagnée d'une de ses amies, au café De Markten, une cantine au design aseptisé située à une centaine de mètres de notre snack à burgers. Nous buvons un verre, discutons de la performance de la "dame en string" (voir plus haut) et quittons assez rapidement l'endroit pour un des vieux cafés à impasse du Pentagone bruxellois...  Faute de place au Bon Vieux Temps, nous passerons la fin de la soirée à l'Imaige Nostre-Dame. Entretemps, les deux Russes sont parties.

I just wanna feel real love. — À l'Imaige, une playlist pour le moins bigarrée, puisqu'elle comprend à la fois "Close to Me" de The Cure et "Feel" de Robbie Williams. 

Close To Me by The Cure on Grooveshark

Feel by Robbie Williams on Grooveshark

Que j'aime "Close to Me" n'a rien d'étonnant. Même si ce succès commercial n'égale pas — et je ne fais ici que répéter, je pense, un avis largement partagé par de nombreux fans du groupe — les pépites de leur "trilogie noire" (Seventeen Seconds, 1980 ; Faith, 1981 ; Pornography, 1982), ça reste du très bon Cure. Par contre, pourquoi "Feel" de Robbie Williams me touche-t-il autant ? Pourquoi est-ce cette chanson que je garde en tête pour le restant de la soirée ? Parce que je l'écoutais jeune, sur MTV ? Impossible, car la chanson date de 2002... — Non : il faut croire que j'aime cette chanson parce qu'elle me parle, c'est tout. C'est un truc qui ne s'explique pas, un peu comme ma passion pour Julien Clerc ou les premières versions de Starmania... (À un moment, Robbie dit : "My head speaks a language I don't understand". Fait-il une référence à la critique du langage privé par Wittgenstein ? — Mais non !)

Après Batman et Retour vers le futur, Walter est désormais légèrement obnubilé par Apollo 13, ce film qui relate les mésaventures de trois astronautes obligés de rentrer sur Terre dans des conditions incroyablement difficiles et dangereuses, à la suite de l'explosion d'un réservoir d'hydrogène... Walter est fasciné par l'exploit réel des trois astronautes, mais également par une donnée technique du film (et il y a effectivement de quoi l'être) : "Pour simuler l'apesanteur propre à l'espace, ils ont dû faire environ 1500 vols paraboliques en avion lors du tournage !"

Andrew parle de la diffusion, la semaine dernière sur France Culture, de quatre émissions des Nouveaux chemins de la connaissance consacrées au "Rêve américain à l'écran". Dans la première, la présentatrice Adèle Van Reeth reçoit Yves Pedrono, un spécialiste et un puriste du Western, également intéressé par les liens entre ce genre et la Bible. Tout cela donne envie d'écouter le podcast de l'émission... La semaine prochaine sans doute...

Un peu après minuit, Andrew repart en voiture avec Emily et Walter se charge de me ramener chez moi. Pour une raison inconnue, le trajet de retour est ponctué d'embouteillages... — De retour chez moi, je fais fort : je joue aux Colons de Catane en ligne jusqu'à 7 heures du matin. Dans trois-quatre heures, faut que je me lève !

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