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Deux équilibristes dans un transept

Aujourd'hui, ma fille, mes parents et moi nous rendons au sein des ruines de l'abbaye de Villers-la-Ville pour assister aux Nuits du Cirque, un événement organisé par l'ASBL Idée Fixe durant lequel clowns, acrobates, équilibristes, jongleurs et autres saltimbanques prennent possession de l'ancien site cistercien. (J'espère ne pas y croiser trop de clowns car, évidemment, je déteste ceux-ci ainsi que, de manière plus générale, tous ces artistes qui veulent que je participe à leurs numéros à la con... — Mais passons !)
15h : le départ. — Ma mère connaît parfaitement le chemin pour aller à Villers en voiture mais utilise quand même un GPS qui, assez curieusement, fait emprunter au véhicule un joli chemin bucolique en pavés passant par le petit village de Marbisoux. Plus tard, mon père dira que cet endroit champêtre pourrait parfaitement servir de cadre à un épisode de Barnaby qui s'intitulerait, précise-t-il, Le sonneur de cloches de Marbisoux.
Maman n'est pas contente et s'énerve à tout bout de champ parce que le chemin emprunté est trop étroit. (Pourtant, Jésus n'a-t-il pas dit : « Étroite est la porte, et resserré le chemin qui mène à la vie, et peu nombreux sont ceux qui le trouvent » ? [Matthieu, 7:14] L'excès de soleil sans doute, oui, oui...) Maman n'aime pas le moindre changement dans sa routine, est incapable d'apprécier le moment présent ainsi que toute forme de nouveauté : « On aurait dû passer par Sart-Dames-Avelines, je connaissais le chemin ! Je n'aime pas cette route, j'ai envie de faire demi-tour... Je n'aime pas la campagne... Je trouve ça moche... », etc. Si nous étions passés par l'autoroute, ses protestations auraient sans doute été tout aussi fortes, à cause de la trop grande largeur de la route. Et lorsque mon père et moi lui demandons d'arrêter de s'énerver, elle se fâche de plus belle : « Je n'étais pas énervée, mais maintenant je le suis parce que vous m'avez dit que j'étais énervée alors que je ne l'étais pas ! » Misère !

15h40 : une halte à la brasserie du coin. — Nous attendons le début des festivités à la terrasse du Moulin de Villers, une brasserie située en face de l'abbaye. Mon père et moi goûtons la Villers triple, une bière brassée à Melle (dans les faubourgs de Gand) par la Brasserie Huygue. Bof, bof... La seconde sera une Westmalle triple pour lui et un Orval pour moi. J'emprunte le carnet à dessins de Gaëlle (dont la couverture est recouverte de ridicules petits cœurs roses), afin de retranscrire le plus fidèlement possible cette chaude soirée circassienne dans mon journal en ligne. Je demande à mon père : « Tu as vu mon blog ces derniers jours ? Ça tient la route, non ? » Il me répond, un rien désabusé : « Pfff, j'en sais rien... Je ne le lis plus. »
17h10 : les jouets & les autruches. — Nous sommes accueillis par la brigade des jouets : des danseurs et des musiciens (basse, guitare, tambours, cuivres) montés sur des échasses ou des jambes de satyre. Un peu plus loin, trois acteurs déguisés en autruche bluffent tout le monde. Ils sont eux aussi montés sur échasses et dirigent la tête de leur animal à l'aide de plusieurs fils, à l'instar d'un marionnettiste. Mais le cou d'une des autruches se brise à la suite d'une contorsion trop osée et son conducteur, dépité, est obligé de s'éloigner du public... pour ne plus jamais réapparaître de la soirée, d'après mon père.
Une des autruches dont la tête fonctionne par ensecrètement.
(Toutes les photos de cet article ont été prises avec le petit appareil
Sony Cyber-shot rose de Gaëlle, qui faisait pâle figure face aux
mastodontes à téléobjectifs des journalistes... — Mais on s'en fout !)

17h40 : les deux équilibristes. — Depuis la nef de la vieille abbatiale, nous observons, au centre du transept, un couple haut perché en pleine phase de répétition pour la grande finale de ce soir (que nous ne verrons pas) intitulée « Duo du haut » (jeu de mots, jeu de mots, haha !). Chacun des deux protagonistes est installé dans un mât au sommet d'une longue tige faite de métal pliant. Durant une vingtaine de secondes, l'homme effectue un joli poirier en tentant de garder sa tige la plus droite possible.  — C'est à mon sens un des seuls cas où tenir sa tige droite relève non pas de la trivialité mais bien de l'art le plus noble. (Il fallait que je la sorte, celle-là, c'était plus fort que moi...  — Sortir quoi ?*)
Au moment de sa descente au sol, nous remarquons avec un certain étonnement que l'équilibriste marche à l'aide de béquilles ! Un homme dans le public sourit à sa compagne : « La dernière représentation s'est apparemment mal passée. Ça promet ! » Toujours dans la nef, je croise par hasard la mère de Fred Jr et son nouveau compagnon. Au moment de la rencontre, je suis en train de griffonner quelques mots-clés dans le carnet de Gaëlle... Ladite maman me regarde, surprise, voire inquiète pour ma santé mentale : « Et tu prends des notes ? » Réponse : « Ha, oui... Hem... Je note tout ce que je fais, puis je l'écris dans un journal... Euh... Voilà... » J'ai clairement l'impression de passer pour l'idiot du village.

L'équilibriste aux béquilles assaillant sa collègue
dans les hauteurs du transept de l'abbatiale.

18h : le grimage.  — Gaëlle veut absolument être maquillée. Je fais donc la file avec elle pendant une petite demi-heure devant le stand « Grimage », où cinq professionnelles s'occupent de travestir avec beaucoup de soin le visage des enfants... et de certains adultes aussi. Dans la file, juste derrière moi, une femme, la vingtaine, impatiente, me demande si moi aussi je veux me faire refaire le portrait ou bien si je suis seulement là pour accompagner ma fille. Je lui réponds : « Oh, non, je ne me maquille pas. Vous savez, la dernière fois qu'on m'a maquillé dans une fête foraine, j'ai attrapé une réaction allergique, avec des plaques et tout... » Elle me demande si c'est grave et si ça peut lui arriver, à elle... « Si ça vous arrive, il faudra venir vous chercher en hélicoptère et vous faire très rapidement une piqûre d'antihistaminique, directement dans l'artère ! » Elle ne semble pas rassurée. Je crois qu'elle est incapable de se décider de manière nette quant au statut de ma remarque : est-ce une plaisanterie ? (Il convient de préciser que j'ai exprimé tout cela le plus sérieusement du monde, d'un regard sombre, voire inquiet.)

Par le plus grand des hasards, la maquilleuse possède à peu de chose près le même tee-shirt que Gaëlle : une marinière blanche et rouge. Seules différences : les coutures à l'épaule et l'absence d'un dessin représentant Hello Kitty sur le vêtement de la dame.

Gaëlle veut se transformer en tigresse. À la fin du grimage (très réussi), la maquilleuse lui demande si elle désire des paillettes. Réponse de ma fille : « Non, non, pas de paillettes car les vraies tigresses n'en ont pas ! » La collègue d'à côté s'arrête brusquement de travailler et demande à Gaëlle, interloquée : « Est-ce que je peux avoir ton prénom et ton adresse ? Un enfant qui refuse les paillettes, c'est extrêmement rare... » Et la maquilleuse de Gaëlle d'ajouter : « Elle ne va pas suivre des chemins ordinaires, votre fille... »  — Le destin du Monde est-il contenu dans ce court moment, en apparence anodin, durant lequel Gaëlle a refusé obstinément qu'on lui mette des paillettes sur le visage ?

Pendant ce temps, mes parents font un tour du côté de la scène « Idéaux beurre noir » (encore un jeu de mots de malade, wouhou !), un combat de boxe qui prend place sur un ring loufoque... À leur retour, ma mère est toujours aussi énervée : « Et comment je vais ravoir le maquillage ? Elle en a aussi sur les yeux, ça risque de lui piquer... Et patati, et patata... » (Soupir.)

Les deux tee-shirts appareillés.
19h : l'école du cirque. — Au milieu d'une pelouse remplie d'accessoires de cirque (assiettes tournantes, bâtons du diable, diabolos, etc.), Gaëlle nous annonce, fièrement : « Moi, je sais faire tout ça ! » Conclusion après dix minutes d'essais multiples et infructueux : elle ne sait rien faire du tout !
19h40 : la funambule. — Dans la cour d'honneur, nous tombons sur le début d'un numéro de funambulisme : une femme en rouge s'apprête à danser le long d'un fil, sur une musique New Age constituée en grande partie de « Lalalaaaaa »... Mon père, nullement impressionné et légèrement énervé par tous les « gestes superflus » de la dame avant de monter sur son fil, lâchera : « Pfff, ce qu'elle fait là, ta grand-mère le ferait bien... » (Mon père n'est pas un rêveur.) De son côté, Gaëlle ne regarde pas le spectacle et s'amuse à réaliser des figures de gymnastique dès qu'un carré de pelouse se libère : « Moi, je peux faire le poirier en mettant mes mains comme ça, regardez, regardez, mais regardez ! Nanou, regarde ! » Ma mère : « Gaëlle, attention, il y a une flamme là ! Arrête, il y a des gens ! Reviens ici, ne t'éloigne pas trop ! », etc.
20h : Le trampoline des Blues Brothers. — Assis à ma droite sur un des murs de la cour des quatre jardins, un petit garçon hilare rit de très bon cœur à chaque pitrerie de ces deux « frères » champions du Monde (paraît-il) de trampoline. Faut dire que leur numéro est très bien huilé et assez marrant. Vers la fin du show, ils demandent à un enfant à lunettes de les accompagner sur leur engin à ressorts. Le gosse revient ensuite à sa place totalement ahuri, des rêves plein la tête.
Ils sautent, ils tournent, ils voltigent,
ce sont les Blues Brothers...
20h40 : la femme dans la Lune. — Cette dame arrive dans une robe cerclée rouge recouvrant son corps jusqu'à la plante des pieds. L'homme l'attend au pied du grand arbre. Le concept : sa robe et le cercle métallique sur lequel elle peut s'asseoir et monter en l'air ne font qu'un. Après une série de préliminaires** qui énervent mon père (il s'en ira d'ailleurs nous chercher des Duvel à ce moment-là), le bonhomme hisse la dame à l'aide d'un système de câbles, à la seule force de ses bras. Ensuite, elle se met à se balancer, à se cacher dans les replis de sa robe, à réapparaître, avant d'être rejointe par son comparse. Une fleur fragile, délicate, sensuelle, agile... Tout cela en une seule femme. Woaw.
La femme lunaire dans sa robe-balançoire rouge.
(N'y a-t-il pas dans son allure un petit air de Fany ?
En tout cas, c'est ce que j'appelle être sensuelle...)
21h30 : le retour. — Le soleil se couche, il est temps de rentrer... Ce n'est pas que Gaëlle montre un quelconque signe de fatigue, non... Mais il faut encore la laver, la démaquiller... Et puis ma mère semble tellement exténuée de s'être énervée toute seule toute la journée... Nous prenons donc le chemin du retour, en repassant par le même petit village paumé. Sur Classic 21, un vieux tube de Mercury Rev, « Goddess on a Hiway », une de mes chansons favorites, qui cadre particulièrement bien avec ce retour en voiture dans la lumière du crépuscule... Well I got us on a highway and I got us in a car. Got us going faster than we've ever gone before...

Goddess On A Highway by Mercury Rev on Grooveshark
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* Mon dieu, ayez pitié de moi !
** Il serait sans doute intéressant de relire le présent texte en ayant pour principal objectif la recherche de toutes les allusions sexuelles — conscientes et inconscientes — qu'il contient.

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