Sans sommeil

Mètres linéaires. — Le début de ma soirée se déroule en compagnie des mètres linéaires, des inventaires d'archives et des taux de fréquentation de la salle de lecture. Comme pour me récompenser de mon assiduité, deux bouteilles de vin et un paquet de chips sont ouverts en fin de séance, un peu avant huit heures du soir. — Vinum et musica laetificant cor : j'ai déjà le vin, la musique attendra bien un peu !

Le Club des Sans-sommeil. — Gare des Guillemins, à neuf heures du soir moins le quart. Tel le capitaine de caraque franchissant le détroit de Magellan, mon marchand de café est toujours fidèle à son poste. Je montre une certaine admiration : « Vous êtes le seul à ouvrir aussi tard !
— Ouaip ! Je ferme en dernier et j'ouvre en premier !
— À quelle heure ouvrez-vous le matin ?
— Cinq heures.
— Heureusement que vous avez un collègue pour vous aider !
— Oui, mais la plupart du temps, je fais tout de même l'ouverture et la fermeture. J'ai besoin de très peu de sommeil. La semaine, je dors entre trois et quatre heures par nuit. »
(Bienvenue, ami cafetier, dans le Club des Sans-sommeil !)

Retour en train.  Knut retourne à Gand et fait par conséquent une partie du trajet en train avec moi. À défaut de café, il s'est acheté une crème glacée. On parle un peu, il lit un peu, puis il s'endort. J'en profite pour sortir mon ordinateur portable et écrire une partie de ma journée de samedi. À Bruxelles-Nord, Knut se réveille, voit l'ordinateur allumé et me demande, avec son léger accent flamand : « Alors, bien travaillé ? » — Croit-il sincèrement que je me suis attelé à la mise au net du procès-verbal de la réunion de ce soir, après plus de dix heures de boulot ?

L'Art de la guerre. — Vraisemblablement écrit à la fin de la période des Printemps et Automnes, soit aux alentours du Ve siècle avant Jésus-Christ, sans plus de précision, L'Art de la guerre de Sun Tzu (ou Sun Zi, orthographe choisie pour la version que je tiens entre les mains*) est d'un pragmatisme à toute épreuve : gagner une guerre se fait grâce à une méthode et une stratégie rigoureuses, et non en laissant les astres, la contingence et le hasard décider à la place des hommes. — Le traité est d'une rare concision : les conseils sont courts et incisifs ; ils ne s'embarrassent ni d'exemples, ni de détails, ni de paraphrases, raison pour laquelle des tacticiens d'époques ultérieures (comme Cao Cao, IIe siècle après J.-C., et Li Quan, VIIe-VIIIe siècles, dont les commentaires parsèment la présente édition) ont cru bon d'expliquer ou d'approfondir les remarques du maître, jusqu'à parfois donner l'impression de s'adresser à des imbéciles incapables de lire entre les lignes ou de comprendre la moindre (rare) analogie. — Le traité décrit aussi avec beaucoup d'intelligence et de rigueur l'obligation d'être un fin observateur et, surtout, d'étendre l'observation recueillie à l'aide d'un accès constant à l'information : connaître les plans de l'ennemi, savoir où il se trouve, se renseigner sur son moral, etc. La notion d'information revient constamment dans le texte : ici, il est question de bien comprendre sur quel terrain on se bat ou se déplace ; là, de la meilleure façon de connaître la stratégie ennemie (le passionnant article XIII traite de l'utilisation des espions)... De la lecture de ce traité, ressort l'idée, centrale, qu'un général qui ne s'informe pas est un fou et un idiot auquel il ne faut absolument pas confier une armée. De là à appliquer ce constat à d'autres aspects de la vie contemporaine... (À suivre.)

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* Sun Zi, L'Art de la guerre. — Deux commentaires de Sun Zi par Cao Cao et Li Quan, traduction et présentation de Valérie Niquet, Paris, Economica et Institut de stratégie comparée, 2012.

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