Zombies chez les forains

Aujourd'hui, un mois après la fête foraine de Tamines, c'est à celle d'Auvelais que Gaëlle, mes parents, ma grand-mère et moi passons l'après-midi. La foire est légèrement plus grande : on y trouve deux Luna Parks, deux pêches aux canards, des stands de tir, différents manèges pour petits et grands... La population, par contre, n'a pas changé : on y croise, comme d'habitude, des jeunes "à casquette retournée" ainsi que des filles vulgaires et interchangeables. Tout ce petit monde donne l'air de s'emmerder ferme. Vu également : un groupe de motards sans moto. Plus tard dans la soirée, mon père échafaudera une théorie selon laquelle il s'agissait d'un groupe de paumés, refusés par les autres grands clubs de motards et qui par conséquent traînaient tristement dans une petite fête de province, faute de mieux. (Papa et ses histoires...)
Gaëlle passe par la pêche aux canards, fait trois tours de buggies, s'amuse à un stand de tir pour enfants et finit par atterrir dans un Luna Park, devant un jeu de Bulldozer. Ensemble, ma mère et ma grand-mère commandent pour 45 euros de pièces. Nous nous amusons donc tous plus d'une heure à ce bête jeu qui consiste à insérer des pièces dans une machine afin de faire lentement avancer d'autres pièces et des bonus pour, en fin de parcours, les récupérer. Je suis un joueur compulsif : je n'arrête pas d'insérer des pièces dans la machine, parfois à très grande vitesse, pour récupérer le plus possible, le plus vite possible (une heure plus tard, j'aurai piqué 90% des bonus présents, y compris le "super-bonus"). Gaëlle est beaucoup plus réfléchie que moi : elle attend le bon moment pour insérer sa pièce et le fait "sur les côtés, parce qu'au milieu, la pièce prend plus de temps à tomber et c'est plus difficile de savoir quand elle arrivera en bas". Quoi que nous fassions, de toute façon, nous sommes perdants : avec nos 1595 points finaux, Gaëlle choisira une lampe bleue qui, en plus d'être ridicule, doit avoir coûté tout au plus 10 euros au propriétaire.

Les responsables du Luna Park sont des zombies. Lorsque je leur parle, ils ne réagissent pas immédiatement. Ils commencent par me regarder d'un air hagard, avec de gros yeux ronds, puis répondent par de simples gestes ou par de petites phrases hachées... Exemples :

« Excusez-moi... Vous travaillez ici ? demandé-je à une dame immobile dans un coin du Luna Park.
(Pas de réponse.)
Hem... Vous vous occupez de la salle ?
(Hochement de tête.)
J'ai un super-bonus coincé. Vous pourriez me le récupérer, s'il vous plaît ? »
(Elle se met à bouger, très lentement.)

« La lampe coûte 1600 points mais nous n'en avons que 1595. Peut-on l'avoir quand même ?
(Regard vide de la guichetière.)
Euh..., tenté-je.
— Un instant. Je calcule.
— En fait, il nous manque 5 points.
Cinq points ? Bah ouais. J'm'en fous. Vous pouvez la prendre, la lampe. »
(Et elle retourne à la contemplation de son téléphone portable...)

Cerveaux... Cerveaux... Manger cerveaux...

Nous terminons la journée dans un des cafés de la place d'Auvelais. Le serveur n'est pas capable de servir correctement une bière spéciale : il verse l'Orval dans le verre sans l'incliner, ce malandrin, comme s'il s'agissait d'un Schweppes ! Ça m'apprendra à reboire de la bière !

* * *
En soirée : Columbo. — Pourquoi cette série a-t-elle autant de succès ? Une des raisons possibles : le célèbre lieutenant symbolise à merveille la justice du faible face à l'arrogance du puissant. Dans la plupart des épisodes, le meurtrier (connu dès le départ) est riche, célèbre, aimé et aussi exécrablement suffisant (donc détestable). À l'inverse, le lieutenant "ne fait que son travail", est humble et se fait rabrouer sans mot dire — pire : il s'excuse à tout bout de champ. Il débarque, candide, dans un monde de parvenus qu'il n'observe que de très loin, depuis le sol. À la fin de l'épisode, l'équilibre est brutalement renversé : le lieutenant-comme-tout-le-monde montre qu'il est beaucoup plus intelligent qu'il n'en a l'air et, par sa persévérance, attrape le meurtrier. Justice est faite. Columbo, c'est la revanche des petits sur les nantis. 

Ce soir, par exemple, un architecte condescendant se fait piéger comme un bleu. Néanmoins, à la fin de l'épisode, alors que les preuves sont accablantes, Columbo ne se moque pas du meurtrier et continue de le traiter avec respect. Par contre, le lieutenant est extrêmement déçu par le manque de rigueur de l'assassin. Columbo a gagné mais reste humble dans la victoire. Ce procédé, cette façon d'être, c'est une des raisons du succès de la série...


* * *

Aujourd'hui, Léandra m'a proposé d'écrire sur mon blog. Elle s'est rétractée au dernier moment car sa situation a tellement changé entretemps que le sens de son article s'est un peu perdu.

C'est dommage car, ayant son texte presque terminé sous les yeux, je me dis que celui-ci pourrait donner un tout autre éclairage sur ce que je raconte dans ma journée de mardi. Léandra trouve dans mes propos des "considérations désabusées", ainsi qu'une vision du monde "où les autres n'existent pas, où il n'y a que moi." (Nous ne serons jamais d'accord sur ce point, dans la mesure où je pense exactement l'inverse, à savoir que tenter de comprendre l'autre tel qu'il est, sans le changer, est justement une reconnaissance de son existence et donc tout le contraire d'une pensée solipsiste.)

(Autre chose : l'article de Léandra fait le lien, même s'il est rapide et presque haineux, entre le 1Q84 de Murakami et Wittgenstein ! — Et cela alors que j'essaie de me débarrasser de l'influence de ce dernier.)

Laisser un commentaire