Deuxième chiffre de Dorabella

Mon deuxième chiffre de Dorabella n'est pas à proprement parler un cryptogramme, c'est un problème de la vie de tous les jours, une situation qui implique des humains en chair et en os. Si je lui donne ce nom-là, c'est tout simplement parce que, tout comme le premier, je n'arrive pas à le résoudre en ce moment. Pourtant, il peut paraître beaucoup plus simple que le chiffre de 1897 : d'un côté une femme hypersensible, qui souffre beaucoup et qui a besoin d'une démonstration de quelque chose de la part de plusieurs amis qui semblent s'éloigner d'elle plus ou moins en même temps ; de l'autre un homme qui frise de plus en plus la schizoïdie, sans doute très sensible aussi, mais qui le cache bien, car il possède une très longue expérience dans l'art de se cacher. La première envoie au second des messages de détresse ou de colère, que le second prend pour ce qu'ils ne sont pas, ce qui n'arrange pas les choses, puisqu'il ne réagit plus du tout : au contraire, il s'enfuit le plus loin possible, car il a aussi, pour assombrir encore un peu plus le tableau, une très longue expérience dans l'art de la fuite (qu'il n'appelle plus « fuite » mais « refuge », un joli mot qui lui évoque plein d'images positives, aussi chaleureuses qu'un bon feu de bois dans une vieille bâtisse en pierre entourée de neige). — La façon dont je tourne autour de ce « Dorabella personnel » sans en atteindre le cœur ne me satisfait pas. En fait, elle ne satisfait personne, sauf peut-être des gens beaucoup trop extérieurs à la situation qui haussent les épaules et disent : « Bah ! », comme si le problème ne pouvait pas être résolu de toute façon, comme s'il fallait arrêter d'y penser une bonne fois pour toute. Mais c'est impossible d'arrêter de penser à un problème tant qu'il n'est pas résolu. C'est bien là tout le problème d'un problème : il a tendance à être tenace et à hanter l'esprit jusqu'au moment où l'on trouve la solution qui convienne. Ici donc, ni la planque, ni la fuite (transformée astucieusement en un refuge) ne conviennent. Mais alors quoi ? J'ai bien quelques idées. Il faut seulement me laisser du temps. Merci de me laisser un peu de temps. (Je ne t'oublie pas !)

Ce monsieur assis deux tables plus loin à ma droite a un problème avec son PC. Est-ce que je peux l'aider ? Oui. Utilisez-vous Firefox ? Oui. Utilisez-vous Hotmail ? Non, mais je connais. Comment retrouver le dossier dans lequel sont téléchargés tous les fichiers en attachement ? Facile, la chose est réglée en trente secondes. — Peu de temps après, il se lève et revient à la charge pour me demander quel système d'exploitation j'utilise et aussi pour vanter les mérites de Windows XP, ha oui, c'était le meilleur, Windows XP, bien plus pratique que ce Windows Sept auquel on ne comprend rien. Soudain, je flaire que toute cette histoire de dossier de téléchargement n'était sans doute qu'un simple subterfuge pour parler à quelqu'un. Il a besoin de parler ! Bigre, le pauvre est vraiment mal tombé. Si, d'habitude, j'ai déjà beaucoup de mal à échanger des banalités avec un inconnu, aujourd'hui c'est encore pire ! Il n'y a aucune place ce soir pour le small talk. Donc non, monsieur, je ne vais pas commencer à disserter sur les avantages et les inconvénients de tel ou tel système d'exploitation, ni sur les nouvelles techniques sexuelles étonnantes mises en pratique par le dendrolague des plaines en Nouvelle-Guinée.

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