Archives mensuelles : mai 2012

« Oh, I was in a dark age... »

Mary sort de la Maison du Peuple en me lançant, un peu exaspérée : « T'as remarqué certaines des meufs dans ce café ? On a l'impression qu'elles parlent à un miroir ! » Ce que veut dire Mary, si j'ai bien compris, c'est que la personne avec qui ces dames « discutent » n'existe pas vraiment à leurs yeux. Elles sont en représentation. Elles parlent en faisant des mimiques qu'elles ont sans doute répétées, seules, à l'infini ou presque, devant le miroir de leur salle de bain. Je n'ai pas spécialement remarqué ce comportement aujourd'hui, absorbé que j'étais, avant l'arrivée de Mary, par mon écran d'ordinateur, mais c'est évidemment quelque chose que j'observe de manière récurrente là-bas comme ailleurs, chez les hommes comme chez les femmes : des comportements factices, des visages qui tentent tant bien que mal de cacher la fausseté des sentiments, pour plaire, convaincre, manipuler, etc.
Histoire de changer un peu les habitudes, nous décidons d'aller boire un verre au Bar du Matin, à presque exactement un kilomètre de là. Mary veut absolument prendre sa voiture pour y aller. Résultat : nous tournons, tournons, tournons à la recherche d'une place. Garage, garage, emplacement réservé, garage, emplacement pour handicapé, garage, garage... Mary finit par se garer près de la place Van Meenen. Je ne comprends pas l'intérêt d'utiliser une voiture dans pareille situation, mais elle me lâche : « Hé, Hamil, j'en ai besoin, moi, de cette voiture ! Je n'ai plus d'abonnement STIB, hein... » (Je jure que j'essaie souvent de comprendre cette logique du « tout en voiture » avec des résultats plus que mitigés, je l'avoue.)

« Un ami m'a fait découvrir un chouette groupe hier... Ça s'appelle Other Lives... Tu connais ?
— Putain, Hamil, mais tu me prends pour une débile ou quoi ? Évidemment que je connais ! Je suis même allée les voir en concert avec Gondry !
— Ha bon... Ben moi qui croyais te faire découvrir quelque chose...
— Ils sont connus, hein...
— J'ai écouté en boucle leur clip "For 12" cette nuit, et j'ai adoré...
— Ma préférée sur le dernier album, c'est... Ha merde, je ne me rappelle plus du titre...
— "Desert" ? "Dust Bowl III" ?
— Non. Je sais que c'est la septième...
— Ha.... Attends, suffit de regarder sur mon baladeur. Voilà : "Old Statues"...
— Oui, c'est ça, "Old Statues" ! »

Dans « For 12 » (Tamer Animals, 2011), le chanteur Jesse Tabish joue à l'astronaute solitaire façon 2001. On retrouve même une référence au fameux monolithe, sauf qu'ici il s'agit d'un prisme triangulaire. Musicalement, le groupe est souvent comparé à Fleet Foxes mais il y a aussi, indubitablement, des accents du grandiose Sophtware Slump de Grandaddy ou encore de l'exceptionnel Space Oddity de Bowie : grandes envolées aériennes, évocation mélancolique de la solitude des grands espaces, ce genre de choses... Oh, I was in a dark age, searching for the ones in my mind... I'm so far away...

« Tu veux venir manger chez moi demain soir ? J'ai invité ma copine Béatrice... Celle qui est en couple avec Kevin, l'Australien... Tu vois ?
— Ha oui, je vois très bien. On avait été boire un verre au Corto avec lui, après le concert de ta travailleuse cubaine au Tavernier...
— Tu veux passer ?
Je n'ai absolument rien de prévu ce vendredi soir donc oui, c'est une bonne idée !
— Y aura aussi une copine hongroise, normalement...
— Ha d'accord, super... »
(Si Mary n'était pas là pour l'instant, ma vie sociale serait aussi aride que le désert d'Atacama.)

« C'est l'histoire d'un gars qui veut partir en vacances à Shangai... »

Une brosse à dents dans la casquette. — Quelqu'un pourrait-il m'expliquer pourquoi l'un des étudiants faisant (nerveusement) la file au snack vietnamien à côté de mon boulot a décidé de placer dans un des replis de sa casquette une brosse à dents, qui descend à la verticale jusqu'à sa joue gauche ? — Est-ce esthétique ? Est-ce une nouvelle mode ? Est-ce de l'humour ? Cela me paraît curieux parce qu'il s'agit là d'une utilisation de brosse à dents inédite, du moins à mes yeux... Ceci étant dit, est-ce fondamentalement plus ridicule que de porter, par exemple, un piercing dans le nez ou d'avoir une coiffure totalement hors norme ? — Oui, c'est fondamentalement plus ridicule.

Les Lessinois en force ce soir. — Après quelques hésitations (car il a du travail à finir, mais oui, mais oui), Flippo accepte de participer au repas avec FBsr. Celui-ci nous attend dans le hall des pas perdus de la Gare centrale, à Bruxelles. (Jeudi dernier, pour la seconde fois, Fred Jr et FBsr avaient annulé le rendez-vous.)

Après avoir marché un gros quart d'heure dans le centre-ville de la Capitale, nous nous asseyons en terrasse du restaurant Ellis Gourmet Burger, place Sainte-Catherine. Le service est toujours aussi désagréable, mais contrairement à la dernière fois, je ne suis pas obligé de manger en triple vitesse puis de déguerpir... À la lecture de ces lignes, je me demande pour quelles raisons j'ai parlé de cet endroit à mes deux comparses et pourquoi je m'y suis assis à nouveau. — Mystère ! 

FBsr a un cadeau pour moi : une clé USB de 8 Go dans son emballage d'origine. Je le remercie : « C'est gentil, je n'en avais plus ! » Ensuite, il me donne un petit papier contenant une liste de 60 dossiers d'albums musicaux : « Et ça, c'est ce qu'il y a dedans... » Du FBsr tout craché : il a ouvert méticuleusement l'emballage de façon à en extraire la clé, y a placé environ 5 Go de chansons en tout genre pour ensuite la replacer tout aussi méticuleusement à son emplacement initial, en faisant en sorte que la manipulation reste invisible, à moins d'y regarder de très près.

Détail amusant : la liste des albums présents sur la clé... Si j'avais voulu réaliser une compilation pour FBsr, j'aurais pu y placer au moins un tiers des artistes qu'il a choisis : Alela Diane, Andrew Bird, Bonnie « Prince » Billy, Death in Vegas, DeVotchKa, Elbow, Feist, First Aid Kit, Fleet Foxes, James Yorkston, Jonathan Wilson, Kurt Vile, Patrick Watson, R.E.M., Radiohead, Sharon Van Etten, The National, Timber Timbre, Tindersticks, Wilco... Il me dit : « Il y a un groupe que j'aime particulièrement dans cette liste, c'est Other Lives... Tu connais ? C'est un peu dans le genre de Fleet Foxes... » — Non, je ne connais pas.

Nous terminons la soirée au Bon Vieux Temps, le café situé dans la jolie impasse Saint-Nicolas. Dans un coin, une dizaine de personnes assises autour d'une table se mettent à chanter en chœur. Est-ce une idée ou la serveuse du café a décidé de mettre de la musique pile à ce moment-là ? (Un peu comme si elle voulait les faire taire, c'est comique...) Peu après 22 heures, FBsr doit reprendre son train et Flippo son bus.

Les blagues du jour. — (Non, ce blog n'a pas pour prétention de devenir le nouvel Almanach Vermot...) Lodewijk, sur le temps de midi, raconte la blague du missionnaire : « C'est un pauvre missionnaire qui est capturé par une tribu d'anthropophages. Avant d'être tué, il a droit à la réalisation d'un dernier souhait, alors il demande une fourchette... Ha zut ! Je suis comme mon père : j'ai oublié de raconter un élément essentiel à la compréhension de la blague. J'ai oublié de dire qu'avant qu'il ne se fasse prendre, deux autres missionnaires avaient déjà été capturés et que leur peau avait servi à construire une pirogue... Voilà... Donc le missionnaire demande une fourchette... Les hommes de la tribu ne comprennent pas bien pourquoi mais la lui donne quand même, étant donné que c'est son dernier souhait... Et c'est là que le missionnaire commence à se planter violemment la fourchette à divers endroits du corps en ricanant : "Elle va être belle votre pirogue ! Elle va être belle votre pirogue !" »

La blague des trois Français à vélo, racontée par Flippo à la terrasse du restaurant, place Sainte-Catherine : « Ce sont trois Français qui font un tour à vélo en Belgique. L'un d'eux lance à ses compagnons de route : "Hé, les gars, venez avec moi à la pompe à essence, là-bas, on va se poiler, vous allez voir !" Ils s'arrêtent à la pompe et le cycliste demande au pompiste belge : "Faites-nous le plein d'essence, s'il vous plaît, une fois, haha !" Et le pompiste s'exécute devant les trois Français, hilares. Puis le cycliste demande : "Tant que vous y êtes, vous ne pourriez pas faire la vidange d'huile ?" Même chose : le pompiste belge ne pose pas de question et s'occupe gentiment de la "vidange" des vélos. Les Français sont morts de rire... Après cette bonne tranche de rigolade, ils s'apprêtent à reprendre la route mais le pompiste les rappelle et leur donne à chacun, sans prévenir, une bonne gifle bien sentie, puis leur dit : "Désolé, j'avais oublié de fermer les portières !" »

La blague du voyage à Shangai, racontée par FBsr, juste après celle de Flippo : « C'est l'histoire d'un gars qui veut partir en vacances à Shangai mais qui trouve que l'avion, c'est surfait. Il décide donc de faire le voyage en train. Il se rend à la gare de Bruxelles-Midi et demande tout naturellement un ticket pour Shangai. La guichetière est un peu étonnée : "Shangai ? Désolée, nous n'avons de billets pour aussi loin, mais je peux vous en vendre un pour Cologne..." "Et c'est dans la bonne direction ?", demande le voyageur. "Oui, oui, c'est dans la bonne direction : c'est vers l'est !", répond la dame. À Cologne, le monsieur veut continuer sa route, et demande donc à nouveau un ticket pour Shangai. Rebelote, le guichetier lui répond : "Désolé, nous n'avons pas ça en stock, mais je peux vous vendre un billet pour Berlin." "Et c'est dans la bonne direction ?" "Oui, oui, c'est dans la bonne direction, c'est vers l'est !" Arrivé à Berlin...
— Dis donc, elle peut durer très longtemps, ta blague...
— Ha ? Tu la connais ?
— Non, non, mais j'imagine...
— Arrivé à Berlin, le gars demande un billet pour Shangai. "Shangai ? Nous n'avons pas ce genre de billet, mais nous avons un ticket pour Varsovie." "Et c'est dans la bonne direction ?" "Oui, oui, c'est dans la bonne direction, c'est vers l'est !" À Varsovie, il demande un billet pour Shangai, qu'ils n'ont pas, donc il va jusqu'à Moscou... À Moscou, idem : pas de billet pour Shangai, alors il prend un billet pour Lessossibirsk... Etc. Conclusion : arrivé à Shangai, le voyage a duré plus d'un mois, tellement longtemps qu'il doit, dès son arrivée, repartir vers la Belgique. Il se rend donc directement au guichet de la gare de Shangai et demande : "Un billet pour Uccle, s'il vous plaît." Et le préposé du guichet lui répond [avec l'accent chinois] : "Uccle Stalle ou Uccle Calvoet ?" »

Chômage technique

Je n'ai pas grand-chose à écrire aujourd'hui, ni sur mon travail, ni sur la soirée que je passe tranquillement en solitaire chez moi. Ce mardi, ma vie est tout sauf passionnante. (Ou plutôt : ma vie n'est jamais passionnante en ce moment mais aujourd'hui, elle l'est encore moins.)

Si ma vie devenait subitement passionnante, ce blog s'arrêterait-il brusquement de déverser sa rivière quotidienne de pessimisme ? À vrai dire, dans l'hypothétique cas où tout irait bien dans ma vie, il se pourrait même que ce blog s'arrête de déverser quoi que ce soit et ferme à jamais ses balises, tant l'inoccupation et l'ennui sont de très puissants moteurs d'écriture. À tous ceux qui trouvent un quelconque plaisir à me lire, s'ils existent : pour votre bonheur personnel, priez je-ne-sais-quelle-entité pour que je m'emmerde jusqu'à la fin de mes jours !

Mais peu importe. Ce mardi, je me retrouve donc par la force des choses dans une sorte de « chômage technique de l'écriture ». Alors je brode un texte avec du vent.
J'ai beau me creuser les méninges, je n'ai vraiment rien à raconter... Seulement quelques pensées disparates que je garde pour mes paragraphes du dimanche (qui constituent un très bon moyen de regrouper en un seul endroit une série de petites choses qui n'ont a priori pas beaucoup de rapport entre elles) et quelques observations foncièrement inintéressantes, comme : bigre, les gens qui nettoient les vitres d'une gare réalisée par Calatrava ne doivent pas avoir le vertige, ou bien : il y a moins de pigeons qu'avant ici ou je me trompe ? Eh bien je me trompe car en voilà trois, justement !
  
Oui, quand j'écris que c'est inintéressant, il faut me croire sur parole.

Ha mais tiens donc, en regardant du côté de mon téléphone portable, j'ai quand même retrouvé le signalement d'un événement : 17h50, gare de Liège-Guillemins, l'orage arrive... L'air est très humide, le ciel s'assombrit, le tonnerre gronde, le vent souffle en rafales sur les quais... Sur le chemin de Leuven, le train traverse une grosse ondée orageuse et l'odeur de la pluie chaude s'engouffre jusque dans le système d'air conditionné.
Quoi ? Et c'est tout ?
Oui, oui, c'est tout pour aujourd'hui ! 
Demain, j'aurai plus de choses à raconter (même qu'il y aura des blagues !).

Tour du Monde sur un podium

Fancy-fair. — Cet après-midi, à la fête de fin d'année de l'école fondamentale de ma fille, à Namur, en compagnie de Maïté et de mon père, de nombreuses questions m'assaillent, tel le guerrier semi-nomade du même nom*... Par tous les saints du calendrier, qui donc sur cette Terre a eu pour la première fois l'idée saugrenue de placer des petits enfants sur une scène et de les faire danser au rythme de chorégraphies ridiculement asynchrones ? Pourquoi, à chaque fois, les mélodies choisies (« Chaud Cacao », « Pandi-Panda »...) sont-elles des daubes intersidérales ? Pourquoi certains parents se sentent-ils obligés de filmer leur petit bout de chou d'une main tremblante en leur faisant des signes de l'autre main toutes les seize secondes ? Et enfin, pourquoi les affichettes, les tickets boisson, les billets de tombola et les dépliants sont-ils de si mauvais goût ? Est-ce un concours ?

Je demande à Maïté, debout à côté de moi contre un des flancs du chapiteau, quel est l'intérêt de toutes ces simagrées. Elle me répond que certains enfants apprécient le fait d'être au centre de l'attention (d'autres, par contre, sont mal à l'aise, voire au bord des larmes). D'accord, et à part ça ? Du côté des parents, l'intérêt est souvent purement égoïste : il s'agit de regarder son ou ses gamins danser, puis de se lever de sa chaise pour aller acheter des pains saucisses et des bières. La preuve : au début de la première partie le chapiteau est rempli jusqu'à ras bord, alors que sur la fin il est aux trois quarts vide : les familles regardent leurs mioches puis se cassent en courant.

Comme thème (très original) de cette jolie fête : les pays du Monde. À l'arrière du podium, deux grands drapeaux : l'un belge, l'autre américain — est-ce une preuve d'allégeance ? Gaëlle, en première année primaire, est présente à deux moments du spectacle : la première fois pour représenter l'Alaska (l'histoire d'un pingouin qui voudrait aller voir les cocotiers, si j'ai bien compris) et la seconde fois l'Italie. Au cours de ces deux représentations, Gaëlle regarde les autres enfants afin de les singer sans le moindre complexe. Elle est en décalage complet par rapport à la chorégraphie : elle lève la main gauche quand il faut lever la droite, elle fait un tour sur elle-même au mauvais moment, etc. Mais vu que tout le monde est plus ou moins en décalage, cela ne se voit pas vraiment.

J'en viens à imaginer un tout autre genre de spectacle, durant lequel les petits enfants danseraient sur des musiques bruitistes expérimentales (comme Merzbow), sur de très longues plages post-rock, ou encore sur du trash metal... Sur fond de guitares hurlantes, les bambins sacrifieraient trois chèvres au milieu du podium et les déposeraient, sanglantes et encore chaudes, sur un pentacle dessiné à la craie à même le sol, afin de satisfaire les désirs de mort de Béhémoth... Maïté suit ma logique et me demande : « Comment s'appelle-t-il encore, ton groupe allemand, là, Einstürzende... ? » « Haaaa ! Einstürzende Neubauten... Très bon choix ! » On donnerait aux gosses des perceuses et des scies sauteuses à l'aide desquelles ils devraient improviser une musique industrielle... Une danse enfantine sur « Armenia », ça aurait une de ces gueules ! (Il faudrait cependant prévoir une cellule psychologique, pas loin de la scène, afin de gérer les nombreux cas de chocs post-traumatiques). Sind die Vulkane noch tätig?


Cannibalism of machine by Merzbow on Grooveshark
Pandi-panda by Chantal Goya on Grooveshark

Armenia by Einstürzende Neubauten on Grooveshark

Petites aventures ferroviaires sans conséquence.  — Ticket en main, devant un des guichets de la gare de Namur, j'expose mon problème à la préposée : « J'ai passé plusieurs fois le code-barre devant la cellule de détection mais rien n'y fait : la porte de la consigne ne veut pas s'ouvrir...
— Vous avez vu apparaître un message d'erreur ?
— Oui, "Ticket invalide !"...
— (Elle se tourne vers un collègue) Oh non, ce n'est pas vrai ! Ça recommence ! Il va encore falloir les appeler ! »

Elle me fait signer une décharge et me demande de l'attendre devant les guichets. Quelques minutes plus tard, je l'accompagne en direction des consignes. Elle dispose d'une procédure spéciale et d'un très long code pour accéder au panneau d'administration du système et forcer l'ouverture de la porte blindée... C'est aussi simple que ça... Elle me dit : « En journée, ça va encore, mais imaginez en soirée ! À partir de 21 heures, je suis seule au guichet et en plus, les gens sont beaucoup moins nets qu'à cette heure-ci... »

Un peu plus tard, au stand AMT Coffee de la gare, les vendeurs se sont recyclés dans l'humour de très haut vol. L'un demande à son collègue le café noir (avec UN glaçon) que je viens de commander et l'autre lui répond : « Pas de souchi ! » Le premier le relance : « On n'a pas de sushi ? Comme c'est dommage ! » (Ha-ha-ha, c'est éminemment drôle !) Étant donné que je suis d'humeur primesautière moi aussi, je leur fais part de ma déception de ne pas pouvoir commander de sushis. (Punaise, Hamil', t'as un humour de grand malade, mon vieux... Tout le monde jusqu'à la cathédrale Saint-Aubain est écroulé !) 

La discussion ne s'arrête pas là car j'apprends, je ne sais trop comment, que le premier vendeur participe à des reconstitutions médiévales. Je déteste les reconstitutions médiévales, mais je ne peux m'empêcher de lui lâcher (sans doute pour faire le malin) : « C'est amusant ! Je suis justement historien du Moyen Âge... » Il s'en fout complètement mais me signale, tout fier, qu'il suit une formation accélérée de six semaines pour être « moyenâgiste ». Je lui souhaite bonne chance dans son apprentissage et il me répond en guise d'au revoir : « J'espère que ça ira. Ça me coûte 650 euros ! » (Bigre ! Ce n'est pas donné, de nos jours, d'être un « moyenâgiste » !)

Le rêve de Léandra.  — À la Maison du Peuple, en soirée, Léandra (que je n'ai plus vue depuis un petit temps) me parle assez longuement de sa relation avec Jonas et aussi de quelques femmes de son entourage qui pourraient « me correspondre »... Encore cette histoire de dulcinée ! Un côté positif néanmoins : contrairement à ma grand-mère, Léandra ne veut pas me caser avec un mec (c'est déjà ça). Elle me parle aussi de l'intérêt que j'aurais à consulter un psychologue et de sa propre expérience en la matière. 

Mais on s'en fout un peu de notre vie, hein ?
Non ?

Plus intéressant : Léandra m'explique l'histoire qu'elle a rêvée la nuit dernière... Elle faisait partie d'une sorte d'équipe sous-marine (?) menée d'une main de fer (du moins au début) par le vieux Lewis (c'est-à-dire le président de mon ancien club de badminton — une précision pour ceux qui débarquent car les autres connaissent le bonhomme, évidemment). La situation lui fait penser au film d'aventures Les Goonies et est clairement inspirée de ses activités et lectures du moment (Le Scarabée d'or d'Edgar Allan Poe, entre autres). Au début du rêve, Lewis est en forme et mène vaillamment l'équipée mais, au fur et à mesure de l'escapade, perd peu à peu son souffle ainsi que son leadership. Léandra se souvient, presque gênée, de la conclusion : « À la fin, il était tellement épuisé que nous l'avons laissé tomber et avons continué l'aventure sans lui, en le laissant derrière nous... Je crois qu'il est mort seul. »  — C'est MOI qui aurais dû faire ce rêve ! 

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* De pire en pire, les jeux de mots, ici.

Les petits (?) paragraphes dominicaux (3)

Discothèque flamande.  — Sur la grande cour circulaire du jardin familial, sous un soleil de plomb, en début d'après-midi, mon baladeur diffuse l'angoissante mélodie floydienne intitulée « One of These Days » (celle au milieu de laquelle une voix diabolique menace de nous couper en petits morceaux). Mon père me raconte que, lorsqu'il était jeune, il dansait sur cette chanson dans une discothèque anversoise. Il n'était pas spécialement obligé de bouger car les stroboscopes donnaient une constante impression de mouvement.  — Pouvoir danser sur la double ligne de basse hypnotique de « One of These Days » : je me dis une nouvelle fois que j'aurais dû naître (et vivre ma jeunesse) vingt-cinq ans plus tôt. 

La dulcinée.  — Ma grand-mère me demande : « Toujours pas de dulcinée ? » Je lui réponds : « Non. Je n'aurai plus jamais personne. » « Pourquoi dis-tu ça ? Tu n'es pourtant pas un monstre ! » « Si. Presque. » « Il y a que tu es extrêmement difficile, voilà ce qu'il y a ! » D'abord je nie, et ensuite je lui décris quelques uns de mes critères de recherche comme : les yeux en amande pétillants d'intelligence et d'ironie, ce genre de choses toutes simples, quoi... Mais j'en viens tout de même finalement à l'idée que oui, peut-être que je suis un tout petit peu exigeant (en plus d'être un monstre, cela va de soi). 

Le « dulciné ».  — Ma grand-mère toujours : « Et un homme avec des yeux en amande, ça n'irait pas ? »  — C'est la troisième fois en moins d'un mois (sans rire) qu'un membre de ma famille me demande si je ne devrais pas passer de l'autre côté du miroir, autrement dit changer d'orientation sexuelle. Je me demande ce qui, dans mon comportement actuel, leur a donné cette idée saugrenue de coming out. Peut-être le fait que je suis célibataire depuis très longtemps ?  — Bon, t'es bien gentille Bobonne, mais aux dernières nouvelles, ce sont toujours des femmes (et uniquement des femmes) qui hantent la totalité de mes fantasmes... 

Crampe mentale.  — À l'origine de nombreux questionnements d'ordre philosophique, ce terrible constat : la seule chose dont je suis absolument certain, c'est de ma propre conscience. Je reçois des informations de différents types (visuel, auditif, olfactif, gustatif, tactile, en un mot sensoriel) et je les organise, analyse, catégorise, etc. L'existence de mes propres organes directement visibles (mes mains, mes pieds...) ou non (mon cerveau, ma vésicule biliaire...) —, n'est pas certaine. Autrement dit : même mon corps tel que je le vois et le ressens ne pourrait être qu'une image et une sensation. — Pire : c'est une image et une sensation, dont la source se trouve dans mon cerveau (c'est du moins ce qu'énonce l'énorme majorité de la littérature à ce sujet). Les idéalistes « à l'extrême » n'ont eu de cesse que d'exprimer cette évidence (mais alors pourquoi et pour qui l'exprimaient-ils ?) ; les matérialistes, quant à eux, ont essayé de la réfuter, de prouver l'existence d'un monde extérieur à eux-mêmes (ou plutôt à moi-même)... Quelle que soit la philosophie proposée (idéaliste ou matérialiste, ou bien un complexe mélange des deux, ou autre chose encore), cette tendance à infirmer ou confirmer la présence d'un monde en dehors de soi-même semble découler d'une angoisse fondamentale liée à la nature des données sensorielles reçues. — La seule manière de m'en sortir, d'arrêter ce flux de réflexions obsédantes et stériles, est de penser que, jusqu'à présent, tout ce que j'ai observé est conforme à l'idée que je m'en fais... Jusqu'à présent, si j'agis de telle façon sur mon environnement, celui-ci prendra en compte, de manière totale, l'action effectuée. Que toute cette vision grouillante de vie soit une idée ou au contraire une réalité physique est somme toute annexe et n'enlève rien au fait que le Monde dont j'ai la chance de recevoir quelques maigres données (et sur lequel je peux laisser une très légère empreinte) est extraordinaire à tout point de vue.


Message érotique en flamand.  — Dernièrement, mon père a reçu sur son téléphone portable deux messages en flamand d'un certain (ou d'une certaine ?) Robin, qu'il ne connaît évidemment pas. Dans le premier, très court, la personne se dit déçue de ne pas recevoir de réponse. Dans le second, elle affirme être assise dans son bain et décrit ce qu'elle désire en termes de relation sexuelle satisfaisante. Mon père, très pragmatique, lui a répondu en français : « Je crois que vous vous êtes trompé de destinataire... » (Plus de nouvelle depuis lors.)

La terreur des petits enfants.  — Mon cousin Fridric débarque en fin d'après-midi en compagnie de son fils Roberto (quatre ans) et de son voisin (même âge environ). Fridric raconte n'importe quoi au pauvre petit voisin, d'un air très sévère : « Quand tu ne seras pas chez toi, je viendrai dans ta maison et je casserai tout, et particulièrement ta chambre ! Et tes jouets surtout ! » Le gamin, un peu méfiant mais nullement terrorisé (il doit avoir l'habitude), lui rétorque : « Tu ne saurais pas ! Mon papa, il a un gros marteau ! » Réponse de mon cousin : « Et moi j'ai une tronçonneuse et je vais tout découper ! » (Vu de l'extérieur, Fridric peut paraître totalement timbré mais en fait, il est très gentil ; il est même instituteur !)
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Deux équilibristes dans un transept

Aujourd'hui, ma fille, mes parents et moi nous rendons au sein des ruines de l'abbaye de Villers-la-Ville pour assister aux Nuits du Cirque, un événement organisé par l'ASBL Idée Fixe durant lequel clowns, acrobates, équilibristes, jongleurs et autres saltimbanques prennent possession de l'ancien site cistercien. (J'espère ne pas y croiser trop de clowns car, évidemment, je déteste ceux-ci ainsi que, de manière plus générale, tous ces artistes qui veulent que je participe à leurs numéros à la con... — Mais passons !)
15h : le départ. — Ma mère connaît parfaitement le chemin pour aller à Villers en voiture mais utilise quand même un GPS qui, assez curieusement, fait emprunter au véhicule un joli chemin bucolique en pavés passant par le petit village de Marbisoux. Plus tard, mon père dira que cet endroit champêtre pourrait parfaitement servir de cadre à un épisode de Barnaby qui s'intitulerait, précise-t-il, Le sonneur de cloches de Marbisoux.
Maman n'est pas contente et s'énerve à tout bout de champ parce que le chemin emprunté est trop étroit. (Pourtant, Jésus n'a-t-il pas dit : « Étroite est la porte, et resserré le chemin qui mène à la vie, et peu nombreux sont ceux qui le trouvent » ? [Matthieu, 7:14] L'excès de soleil sans doute, oui, oui...) Maman n'aime pas le moindre changement dans sa routine, est incapable d'apprécier le moment présent ainsi que toute forme de nouveauté : « On aurait dû passer par Sart-Dames-Avelines, je connaissais le chemin ! Je n'aime pas cette route, j'ai envie de faire demi-tour... Je n'aime pas la campagne... Je trouve ça moche... », etc. Si nous étions passés par l'autoroute, ses protestations auraient sans doute été tout aussi fortes, à cause de la trop grande largeur de la route. Et lorsque mon père et moi lui demandons d'arrêter de s'énerver, elle se fâche de plus belle : « Je n'étais pas énervée, mais maintenant je le suis parce que vous m'avez dit que j'étais énervée alors que je ne l'étais pas ! » Misère !

15h40 : une halte à la brasserie du coin. — Nous attendons le début des festivités à la terrasse du Moulin de Villers, une brasserie située en face de l'abbaye. Mon père et moi goûtons la Villers triple, une bière brassée à Melle (dans les faubourgs de Gand) par la Brasserie Huygue. Bof, bof... La seconde sera une Westmalle triple pour lui et un Orval pour moi. J'emprunte le carnet à dessins de Gaëlle (dont la couverture est recouverte de ridicules petits cœurs roses), afin de retranscrire le plus fidèlement possible cette chaude soirée circassienne dans mon journal en ligne. Je demande à mon père : « Tu as vu mon blog ces derniers jours ? Ça tient la route, non ? » Il me répond, un rien désabusé : « Pfff, j'en sais rien... Je ne le lis plus. »
17h10 : les jouets & les autruches. — Nous sommes accueillis par la brigade des jouets : des danseurs et des musiciens (basse, guitare, tambours, cuivres) montés sur des échasses ou des jambes de satyre. Un peu plus loin, trois acteurs déguisés en autruche bluffent tout le monde. Ils sont eux aussi montés sur échasses et dirigent la tête de leur animal à l'aide de plusieurs fils, à l'instar d'un marionnettiste. Mais le cou d'une des autruches se brise à la suite d'une contorsion trop osée et son conducteur, dépité, est obligé de s'éloigner du public... pour ne plus jamais réapparaître de la soirée, d'après mon père.
Une des autruches dont la tête fonctionne par ensecrètement.
(Toutes les photos de cet article ont été prises avec le petit appareil
Sony Cyber-shot rose de Gaëlle, qui faisait pâle figure face aux
mastodontes à téléobjectifs des journalistes... — Mais on s'en fout !)

17h40 : les deux équilibristes. — Depuis la nef de la vieille abbatiale, nous observons, au centre du transept, un couple haut perché en pleine phase de répétition pour la grande finale de ce soir (que nous ne verrons pas) intitulée « Duo du haut » (jeu de mots, jeu de mots, haha !). Chacun des deux protagonistes est installé dans un mât au sommet d'une longue tige faite de métal pliant. Durant une vingtaine de secondes, l'homme effectue un joli poirier en tentant de garder sa tige la plus droite possible.  — C'est à mon sens un des seuls cas où tenir sa tige droite relève non pas de la trivialité mais bien de l'art le plus noble. (Il fallait que je la sorte, celle-là, c'était plus fort que moi...  — Sortir quoi ?*)
Au moment de sa descente au sol, nous remarquons avec un certain étonnement que l'équilibriste marche à l'aide de béquilles ! Un homme dans le public sourit à sa compagne : « La dernière représentation s'est apparemment mal passée. Ça promet ! » Toujours dans la nef, je croise par hasard la mère de Fred Jr et son nouveau compagnon. Au moment de la rencontre, je suis en train de griffonner quelques mots-clés dans le carnet de Gaëlle... Ladite maman me regarde, surprise, voire inquiète pour ma santé mentale : « Et tu prends des notes ? » Réponse : « Ha, oui... Hem... Je note tout ce que je fais, puis je l'écris dans un journal... Euh... Voilà... » J'ai clairement l'impression de passer pour l'idiot du village.

L'équilibriste aux béquilles assaillant sa collègue
dans les hauteurs du transept de l'abbatiale.

18h : le grimage.  — Gaëlle veut absolument être maquillée. Je fais donc la file avec elle pendant une petite demi-heure devant le stand « Grimage », où cinq professionnelles s'occupent de travestir avec beaucoup de soin le visage des enfants... et de certains adultes aussi. Dans la file, juste derrière moi, une femme, la vingtaine, impatiente, me demande si moi aussi je veux me faire refaire le portrait ou bien si je suis seulement là pour accompagner ma fille. Je lui réponds : « Oh, non, je ne me maquille pas. Vous savez, la dernière fois qu'on m'a maquillé dans une fête foraine, j'ai attrapé une réaction allergique, avec des plaques et tout... » Elle me demande si c'est grave et si ça peut lui arriver, à elle... « Si ça vous arrive, il faudra venir vous chercher en hélicoptère et vous faire très rapidement une piqûre d'antihistaminique, directement dans l'artère ! » Elle ne semble pas rassurée. Je crois qu'elle est incapable de se décider de manière nette quant au statut de ma remarque : est-ce une plaisanterie ? (Il convient de préciser que j'ai exprimé tout cela le plus sérieusement du monde, d'un regard sombre, voire inquiet.)

Par le plus grand des hasards, la maquilleuse possède à peu de chose près le même tee-shirt que Gaëlle : une marinière blanche et rouge. Seules différences : les coutures à l'épaule et l'absence d'un dessin représentant Hello Kitty sur le vêtement de la dame.

Gaëlle veut se transformer en tigresse. À la fin du grimage (très réussi), la maquilleuse lui demande si elle désire des paillettes. Réponse de ma fille : « Non, non, pas de paillettes car les vraies tigresses n'en ont pas ! » La collègue d'à côté s'arrête brusquement de travailler et demande à Gaëlle, interloquée : « Est-ce que je peux avoir ton prénom et ton adresse ? Un enfant qui refuse les paillettes, c'est extrêmement rare... » Et la maquilleuse de Gaëlle d'ajouter : « Elle ne va pas suivre des chemins ordinaires, votre fille... »  — Le destin du Monde est-il contenu dans ce court moment, en apparence anodin, durant lequel Gaëlle a refusé obstinément qu'on lui mette des paillettes sur le visage ?

Pendant ce temps, mes parents font un tour du côté de la scène « Idéaux beurre noir » (encore un jeu de mots de malade, wouhou !), un combat de boxe qui prend place sur un ring loufoque... À leur retour, ma mère est toujours aussi énervée : « Et comment je vais ravoir le maquillage ? Elle en a aussi sur les yeux, ça risque de lui piquer... Et patati, et patata... » (Soupir.)

Les deux tee-shirts appareillés.
19h : l'école du cirque. — Au milieu d'une pelouse remplie d'accessoires de cirque (assiettes tournantes, bâtons du diable, diabolos, etc.), Gaëlle nous annonce, fièrement : « Moi, je sais faire tout ça ! » Conclusion après dix minutes d'essais multiples et infructueux : elle ne sait rien faire du tout !
19h40 : la funambule. — Dans la cour d'honneur, nous tombons sur le début d'un numéro de funambulisme : une femme en rouge s'apprête à danser le long d'un fil, sur une musique New Age constituée en grande partie de « Lalalaaaaa »... Mon père, nullement impressionné et légèrement énervé par tous les « gestes superflus » de la dame avant de monter sur son fil, lâchera : « Pfff, ce qu'elle fait là, ta grand-mère le ferait bien... » (Mon père n'est pas un rêveur.) De son côté, Gaëlle ne regarde pas le spectacle et s'amuse à réaliser des figures de gymnastique dès qu'un carré de pelouse se libère : « Moi, je peux faire le poirier en mettant mes mains comme ça, regardez, regardez, mais regardez ! Nanou, regarde ! » Ma mère : « Gaëlle, attention, il y a une flamme là ! Arrête, il y a des gens ! Reviens ici, ne t'éloigne pas trop ! », etc.
20h : Le trampoline des Blues Brothers. — Assis à ma droite sur un des murs de la cour des quatre jardins, un petit garçon hilare rit de très bon cœur à chaque pitrerie de ces deux « frères » champions du Monde (paraît-il) de trampoline. Faut dire que leur numéro est très bien huilé et assez marrant. Vers la fin du show, ils demandent à un enfant à lunettes de les accompagner sur leur engin à ressorts. Le gosse revient ensuite à sa place totalement ahuri, des rêves plein la tête.
Ils sautent, ils tournent, ils voltigent,
ce sont les Blues Brothers...
20h40 : la femme dans la Lune. — Cette dame arrive dans une robe cerclée rouge recouvrant son corps jusqu'à la plante des pieds. L'homme l'attend au pied du grand arbre. Le concept : sa robe et le cercle métallique sur lequel elle peut s'asseoir et monter en l'air ne font qu'un. Après une série de préliminaires** qui énervent mon père (il s'en ira d'ailleurs nous chercher des Duvel à ce moment-là), le bonhomme hisse la dame à l'aide d'un système de câbles, à la seule force de ses bras. Ensuite, elle se met à se balancer, à se cacher dans les replis de sa robe, à réapparaître, avant d'être rejointe par son comparse. Une fleur fragile, délicate, sensuelle, agile... Tout cela en une seule femme. Woaw.
La femme lunaire dans sa robe-balançoire rouge.
(N'y a-t-il pas dans son allure un petit air de Fany ?
En tout cas, c'est ce que j'appelle être sensuelle...)
21h30 : le retour. — Le soleil se couche, il est temps de rentrer... Ce n'est pas que Gaëlle montre un quelconque signe de fatigue, non... Mais il faut encore la laver, la démaquiller... Et puis ma mère semble tellement exténuée de s'être énervée toute seule toute la journée... Nous prenons donc le chemin du retour, en repassant par le même petit village paumé. Sur Classic 21, un vieux tube de Mercury Rev, « Goddess on a Hiway », une de mes chansons favorites, qui cadre particulièrement bien avec ce retour en voiture dans la lumière du crépuscule... Well I got us on a highway and I got us in a car. Got us going faster than we've ever gone before...

Goddess On A Highway by Mercury Rev on Grooveshark
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* Mon dieu, ayez pitié de moi !
** Il serait sans doute intéressant de relire le présent texte en ayant pour principal objectif la recherche de toutes les allusions sexuelles — conscientes et inconscientes — qu'il contient.

Sans aucun intérêt

Paraîtrait que parler de son enfant est profondément rébarbatif et sans aucun intérêt pour autrui... C'est d'ailleurs ce que j'écris ICI, dans une partie intitulée pompeusement « Contre la superficialité »... D'un autre côté, je n'ai jamais voulu que mes textes possèdent un quelconque intérêt, justement : c'est ce qui fait le charme de ce blog, tout ça, oui, oui, c'est cela, on va faire comme si on y croyait, hein... Ici, le soleil brille pour tous et on y croit, comme dirait l'autre. — Mais qu'est-ce que je raconte ? Dieu que tout ceci est décousu !

Dans la cour de récréation, un petit garçon que je ne connais pas me montre du doigt et crie à Gaëlle : « Hé ! Ton papa est là ! » Gaëlle partie chercher ses affaires, le même me lâche : « Ce week-end, c'est cool. On n'a pas de devoir parce que ce lundi, c'est une journée spéciale ! » (Il fait allusion à la fancy-fair.) Ensuite, il se présente : « J'suis Haruna, M'sieur ! » « Ha oui, Haruna... Gaëlle m'a souvent parlé de toi. » « Normal, me répond-il, je suis son nouvel amoureux ! » Gaëlle revient avec sa (trop) grosse mallette. Je veux dire au revoir au petit garçon, mais il est déjà occupé à jouer avec d'autres enfants. Sympa l'amour à cet âge-là ! (À cet âge-là ?)

Gaëlle explique, dans le jardin familial, le fonctionnement de son appareil photo au gamin de la voisine d'en face, de deux ans son cadet : « Si tu veux faire une photo, tu appuies là. Si tu veux filmer, tu dois faire comme ça. Là, c'est pour regarder les photos que tu as déjà faites. Tous les autres boutons, c'est pas pour toi ! Mais tu peux faire ce que tu veux comme photo... Non, attends ! Il faut attendre ! Non, tu ne pousses pas assez fort ! Attends ! Il faut pousser, pousser jusqu'à ce que ça fasse "clic" ! Là, tu vois, ça a fait la photo, maintenant. C'est bien. Tu apprends vite ! »

Comme chaque vendredi que je passe en famille, j'ai droit à Money Drop, cet horripilant jeu de TF1 présenté par Laurence Boccolini, où deux participants (un couple, deux amis, deux sœurs, etc.) tentent désespérément de sauver les 250.000 euros qu'on leur donne initialement. Ils doivent disposer l'argent sur un des quatre plateaux-réponses ; si la réponse n'est pas celle du plateau, l'argent qu'ils y ont placé est perdu à jamais... Une des questions concerne l'animal, du nom de Zarafa*, que le vice-roi d'Égypte Méhémet Ali donna à Charles X en 1827 : était-ce une girafe, un panda, un koala (pfff...) ou un chimpanzé ? Ma mère penche pour un chimpanzé, mais Gaëlle la reprend : « Non, c'est sans doute une girafe, parce que "Zarafa", ça ressemble à "Girafe"... »  — Alors, là, bravo : trouver la bonne réponse sur base d'une comparaison de sonorités, je trouve ça pas mal du tout, surtout à six ans !

Sans aucun intérêt, je vous avais prévenus !
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* C'est en tout cas le nom que lui donne l'auteur américain Michael Allin dans son livre Zarafa: A Giraffe's True Story, from Deep in Africa to the Heart of Paris (1998).

Sinologie, solitude, shoegazing

Sinologue ardennais. — Bruxelles, courant de l'après-midi. Après une réunion consacrée, dans les très grandes lignes, à la numérisation d'une partie du patrimoine sonore d'une institution de la Province de Luxembourg, je vais manger un toast cannibale à City 2 dans un restaurant du nom de Hollywood Canteen en compagnie d'un vieil Ardennais que je ne connaissais pas... Voilà pour la mise en contexte. — Quelque chose de frappant chez ce monsieur : il est extrêmement craintif en ce qui concerne les nouvelles technologies, et plus particulièrement les techniques qui consistent à numériser (donc à sauvegarder) de vieilles cassettes d'interviews, vouées à l'effacement à plus ou moins courte échéance... J'essaie d'appréhender son point de vue (car s'il y a bien quelque chose que j'adore en ce moment, c'est d'essayer, sans aucun jugement, de comprendre pourquoi les gens disent ceci ou cela, pourquoi ils agissent de telle ou telle manière, etc.).

Son argumentation est entièrement liée à la question des fuites : en acceptant la numérisation de documents dont il « a la garde », il a peur que la source numérisée (que ce soit un fichier sonore, une carte postale ou encore un simple document textuel) se retrouve quelque part sur la Toile, revendue par des professionnels de l'enchère en ligne qui n'ont aucune idée de la valeur patrimoniale de la chose. Sa définition du Web est à peu près celle-ci : un fourre-tout, un océan informe et grouillant où les informations sont noyées et monnayées. Même s'il l'exprime d'une manière différente, ce qu'il reproche au Web, c'est son relativisme postmoderne (tout est en relation avec tout, tout se vaut, donc la valeur de quelque chose se perd dans la totalité). — Oui mais, ai-je envie de lui dire, le Web est ce qu'on en fait ! Et en ne numérisant pas du tout ces vieux bidules à bande magnétique et à la durée de vie très limitée, le quelque chose en question ne se perdra même pas dans la totalité : il se perdra tout court.
Dans un tout autre domaine, ce monsieur me parle également des deux années qu'il a passées en Chine, juste avant la Révolution culturelle. « Ha, et vous savez parler le Chinois alors ? Et l'écrire ? » Réponse : « Oui, j'ai même travaillé sur des textes en mandarin pendant plusieurs années. Je voulais en faire un doctorat, mais il n'y avait pas vraiment de spécialiste de ce sujet en Belgique. Il aurait fallu que j'aille à Paris... » Plus tard, il me dit : « Si je retournais en Chine maintenant, il me faudrait quelques semaines, voire quelques mois, pour me réhabituer et comprendre ce que les gens disent, car la langue a suivi l'évolution idéologique du pays. » Enfin, il se souvient : « Evenvel... Evenvel... Il y a un sinologue qui porte le même nom de famille que toi... Mais je ne me rappelle plus de son prénom... » Je savais qu'il y avait un journaliste dans la famille (branche éloignée), Edward Evenvel, ainsi qu'un homme d'église et chroniqueur des XIIIe et XIVe siècles, Lodewijck Evenvel. Par contre, je ne savais pas que nous comptions un sinologue « dans nos rangs ».
Rendez-vous annulé. — Je devais voir Fred Jr et FBsr ce soir, mais non ! Le rendez-vous est à nouveau annulé. Aperçu des excuses respectives : Fred Jr prépare en ce moment les 20 kilomètres de Bruxelles et, à cause d'un régime strict, s'est retrouvé à la limite du malaise et donc dans l'impossibilité de se déplacer (c'est malin, tiens, de se ruiner la santé pour un semi-marathon à la con) ; quant à FBsr, il devait se rendre chez le médecin aujourd'hui en fin d'après-midi et, étant donné que Fred a annulé, préfère postposer le rendez-vous lui aussi. « Maintenant si ça t'arrange mieux je peux très bien revenir sur Bruxelles bla-bla-bla... »

Je suis très déçu. Je m'attendais à passer une belle soirée tranquille et ensoleillée en compagnie de mes deux amis à la terrasse d'une brasserie bruxelloise... Que nenni : ce sera seul, à la Maison du Peuple, devant des verres d'Orval (ladite Maison vient d'être réapprovisionnée, c'est déjà ça). Aujourd'hui, je comprends mieux à quoi devait ressembler la déception de Léandra quand j'ai décidé de ne pas venir voir sa pièce de théâtre.  — Les annulations, c'est très mauvais pour le moral et ça ne devrait même pas exister.

Jeux oculaires. — Au comptoir de la Maison du Peuple, une jeune femme à l'accent anglais : « Désolée, tu étais avant moi, peut-être ?
— C'est possible, oui... Je ne sais pas. Ça fait longtemps que j'attends qu'on me serve en tout cas...
— Il faut utiliser les yeux... Regarder les serveurs dans les yeux... Ça fonctionne bien !
Ha... Regarder quelqu'un dans les yeux... Pas de bol, je suis très nul à ce petit jeu... »
(Et comme pour joindre le geste à la parole, en sortant cette dernière réplique, je ne la regarde pas : je fixe, droit devant moi, un point indéterminé du bar situé entre deux bouteilles de vin blanc.)

« Tonight we’ll drink the sewers dry. »  — Une splendide découverte que ce Gravenhurst, groupe britannique mené par le multi-instrumentiste Nick Talbot, que je mentionne déjà brièvement dans ce post. Ayant été sérieusement soufflé par The Ghost in Daylight (2012), j'ai décidé de remonter le cours du temps et d'écouter Fires in Distant Buildings (2005), considéré par la plupart des chroniqueurs musicaux comme la perle rare au sein de la discographie du songwriter. (Non pas que je sois terriblement fan des avis de chroniqueurs musicaux, mais il est parfois nécessaire de faire un minimum confiance à ces derniers pour découvrir de nouvelles choses.)

De bout en bout, cet album est effectivement un pur et sombre joyau. Musicalement, Talbot maîtrise beaucoup de choses, et particulièrement l'évolution mélodique d'une chanson, entre les parties cristallines bâties sur de jolis arpèges folk et les soudaines envolées furieuses extrêmement bien maîtrisées. (Adeptes du shoegazing, courez vous procurer ce disque ! Oui, mais courir où ?  — Courez, c'est déjà mieux que rien !)

Écoutée des dizaines de fois : la très mélancolique « Animals », narrant l'ambiance de décrépitude dans laquelle est plongée l'Angleterre chaque samedi soir, lorsqu'une partie de la population descend sur les centres urbains avec pour seul et unique objectif de boire le plus possible et de faire n'importe quoi. Talbot se sent étranger à ce monde fait de bières et de senteurs d'urine : « I wish I could be like them and I try, but I find it more rewarding to walk along the river, picturing my body discarded in the water. » Oh, comme je le comprends... Sur son blog, dans un article intitulé « Booze Britain », il argue que les Espagnols, les Italiens et les Français (mais je suppose qu'il engloberait sans problème les Belges) n'ont pas ce problème de violence urbaine liée à l'alcool. Je ne connais pas l'ampleur de la situation en Albion, mais pour avoir déjà vu le centre-ville de Bruxelles un samedi soir ainsi que le comportement de certains amis d'anciens amis français, de passage en Belgique, j'aurais tendance à dire que nous ne sommes quand même plus très loin de cette culture-là...

« Song From Under The Arches » (qui fait de nouveau brièvement référence aux ambiances crasseuses de certains coins d'Angleterre) illustre à merveille l'idée d'évolution mélodique dont je parle un peu plus haut. La chanson, qui commence tout en douceur, est secouée à trois reprises de soubresauts bruitistes de guitares saturées et d'orgues grandiloquents. (Et c'est sur cette chanson que se terminera, abruptement, ma journée de jeudi.)

Song From Under the Arches by Gravenhurst on Grooveshark

Rencontre du troisième type

Rêve extérieur. — Aujourd'hui matin, c'est au tour de ma collègue Wynka de décrire les rêves qu'elle a faits cette nuit. Elle a rêvé que je l'engueulais de manière extrêmement virulente, en lui criant : « Tu ne fais jamais rien comme il faut ! Tu as un comportement totalement irrationnel ! » (À noter que c'est quelque chose qu'elle projette de manière récurrente en moi, à tort ou à raison : que je suis « scientiste », « rationnel », « logique »... Donc : que je l'engueule dans un rêve parce qu'elle est irrationnelle est vraiment intéressant quant à l'idée qu'elle se fait de moi, et d'elle-même aussi.) Autre partie du rêve : elle remarque que des légumes ont poussé dans les interstices des carrelages de notre bureau. Elle en parle à Lodewijk et ce dernier l'engueule à son tour, mais de façon moins violente.
Pompage-turbinage.  — Temps de midi. Lodewijk raconte qu'il est allé se promener récemment du côté de Coo. « Ha ! », dis-je, « tu as sans doute dû passer le long du barrage inférieur de la station hydroélectrique... » Non, il n'est pas passé le long du barrage inférieur de la station hydroélectrique... « Dommage, c'est vraiment joli et en plus c'est un bel exemple de station électrique d'un genre spécial : ils font descendre de l'eau de la journée depuis deux réservoirs supérieurs pour créer de l'électricité... Et la nuit, quand la demande est faible, ils remontent l'eau à l'aide de pompes. » La technique, que je mentionnais déjà dans ce blog en juillet 2011, s'appelle le pompage-turbinage et n'a rien à voir avec une quelconque pratique sexuelle. Et il a la cote en ce moment, ce pompage-turbinage, dans la mesure où c'est une des meilleures façons, assez écologique en plus, de stocker de l'énergie dormante.
Durant la discussion, Lodewijk et Sylvette ont bizarrement le plus grand mal à concevoir le principe selon lequel ce genre de procédé entraîne fatalement une perte d'énergie (environ 25% dans le cas de la centrale de Coo). Ils pensent tous les deux que l'électricité créée par le turbinage est plus importante que celle utilisée pour remonter l'eau durant le pompage. J'explique (mais beaucoup moins bien que par écrit) que ce n'est hélas pas possible, que cela contreviendrait aux lois de la physique, et que si c'était le cas, on pourrait faire tourner en permanence les turbines et utiliser une partie de l'énergie créée pour remonter l'eau  — une sorte d'énergie perpétuelle et gratuite... « Mais si on perd de l'énergie dans le processus, à quoi est-ce que ça sert alors ? », demande Lodewijk. Simplement à créer un stock d'électricité pour les périodes de pics énergétiques, ni plus, ni moins. (Et compte tenu des fluctuations du prix de l'énergie, ça rapporte pas mal d'argent.) 

Rencontre du troisième type.  — Le troisième type, c'est Vinge. Je ne l'ai plus vu depuis... euh... le 3 août 2011, apparemment. Il me rejoint au Starbucks de la gare de Bruxelles-Central et, comme il fait délicieusement bon dehors, nous laissons tomber l'idée de nous enfermer à la Porte Noire et nous dirigeons à pied vers la terrasse du Potemkine : « Y a plein de mes collègues là-bas... Travaillent à la justice... Ouaip... Elles sont top biches... Ouais... Quoi ? » (Le « Quoi ? » en fin de phrase est un de ses plus ou moins nouveaux tics de langage.) Arrivés à la terrasse en question, nous buvons de la Volga forte. Curieux : cette bière est bien meilleure que la Volga classique. Je regarde l'étiquette : normal, elle est brassée à Le Roeulx par la brasserie Saint-Feuillen ! (Bizarre...)

Vinge travaille toujours dans les appels d'offres, mais pour la Justice cette fois-ci : « J'suis presque un collègue de Flippo maintenant... Hé ouais ! » Il travaille sous la tutelle de la ministre Annemie Turtelboom, qu'il appelle « Tarte al'pomme ». Cette semaine, il a reçu une agente commerciale de chez Coca-Cola qui venait négocier la vente des canettes à redistribuer dans tous les palais de justice de Belgique, s'il vous plaît. Elle avait un joli décolleté, se penchait vers lui et tout et tout, mais Vinge a compris que c'était une vile manœuvre pour le faire plier et a donc tenu bon : il a ainsi réussi à obtenir un achat massif de canettes à 55 centimes l'unité au lieu de 60. « J'ai fait économiser plus d'un million à l'État... Ouais, ouais... Quoi ? » 

« Putain, mais tu notes tout sur ton vieux téléphone ! Tu devrais t'acheter un carnet ! » (J'en ai un, que Jonas m'a donné, mais il est trop voyant.)

Vinge m'explique qu'il n'a rien à voir avec les spéculateurs néolibéraux actuels. Lui fait partie de la droite traditionnelle, sociale, tendance « bon père de famille ». Il me dit : « Moi, c'est simple, je suis du genre "droite bourgeoise flamande" ! » (Ha bon ?) « On ne peut pas laisser les gens dans la merde... C'est malhonnête, non ?... Quoi ? On ne crée pas une société en engendrant de la pauvreté, non Monsieur ! » Il me conseille de regarder le reportage consacré à John Law sur Arte : « Il avait tout compris, lui : il disait qu'un système monétaire est toujours basé sur la confiance. C'est lui qui est à l'origine du billet de banque en France, hé ouais ! La confiance... Voilà... C'est à la base de tout. Quoi ? »

« Dis, t'as pas un paquet de clopes sur toi ?
— Si, mais elles sont très vieilles, vu que je ne fume pas.
(Je lui passe le paquet, il allume une cigarette.)
— Ha ouais... Putain, c'est de la paille !
— Je t'avais prévenu ! Ils devraient mettre une date de péremption sur les paquets...
— Ouais mais le gars qui fume, il ne laisse pas traîner un paquet pendant des mois, hein. »
(Conclusion : je suis le seul couillon à avoir des cigarettes sur moi sans presque jamais en fumer une seule.)
Je raccompagne Vinge à la gare de Bruxelles-Midi aux alentours de 22h30. Il doit prendre un train car il loge en province chez sa copine. Quand il reviendra à Bruxelles, ce sera pour acheter un appartement, « parce que je ne veux pas perdre de l'argent en louant... »

Voirie en fête

Matinée bancale. — Tout va de travers ! Dès mon réveil à 6h32 et durant l'entièreté de la matinée, j'ai l'impression que mon muscle cardiaque tente désespérément d'imiter un morceau expérimental de King Crimson... Battements rapides, rythmes syncopés à cinq temps, ralentissements, hoquettements, silences... Mon dernier cardiologue en date a beau m'avoir confirmé qu'il ne fallait pas que je m'en inquiète outre mesure, que cette tachycardie passagère entrecoupée d'extrasystoles n'était pas dangereuse, c'est tout de même très désagréable, d'autant plus que ça m'arrive de plus en plus fréquemment (la dernière fois, c'était le 5 mai). J'essaie de me calmer, de respirer profondément : rien n'y fait.
8h27. Je rate de quelques secondes mon train en correspondance à Liège-Guillemins. Pour me consoler, je commande un « grand café de la semaine à emporter siouplaît » à l'Espress « Oh ! » Juice (quel drôle de nom) de la gare avant de happer un bus. La boisson est très chaude et remplie jusqu'à ras bord. À peine le véhicule a-t-il démarré que j'en renverse partout, sur mon sac à bandoulière, sur mon tout nouveau baladeur MP3 (heureusement protégé de l'humidité par une housse en plastique), sur mon pantalon noir... Curieusement, aucune goutte n'est parvenue à tâcher mon tee-shirt marin : une chance !
Je souris de mon infortune et la dame en face de moi, d'un geste compatissant, me donne un mouchoir en papier chiffonné. De l'autre côté du couloir central, une autre dame à la limite de l'hilarité me conseille : « Le petit trou dans le couvercle de votre café à emporter, c'est justement pour éviter ce genre de désagréments ! » Je lui réponds : « Je sais, mais il est inconcevable que je boive mon café par ce trou ! Question de principe ! » Les autres passagers commencent à sourire, eux aussi. Je pense entrevoir clairement sur certains visages une expression qui signifie à peu de chose près : « Quel drôle de type ! »

Le bus arrive à destination. Mon gobelet de café est encore à moitié plein. Je dois descendre du transport avec dans les mains mon sac, mon manteau et ce maudit café. Je ne renverse plus de liquide ; par contre je laisse tomber mon sac, qui se fracasse bruyamment sur le sol. Un gentil monsieur me le ramasse. Je lance à la cantonade, d'une manière sans doute un peu trop enthousiaste : « Ha flûte, c'est vraiment pas ma journée ! »  — Et tout le monde rigole. Diem perdidi...
En fin de matinée, Aurèle, un ancien collègue, débarque pour dire bonjour à l'équipe et manger avec nous. Arrivant dans mon bureau, il me lance, sans aucune moquerie : « Ha, t'as l'air d'avoir la pêche, comme d'habitude ! C'est bien... T'es toujours aussi en forme apparemment ! »  — Mais c'est qu'il est désagréable en plus !

Un blog, peut-être ?  — Pendant le temps de midi, nous reparlons de la discussion sur l'avenir et l'advenu, mais aussi de ce que percevrait un extraterrestre qui braquerait un télescope extrêmement puissant sur la Terre depuis une planète se trouvant à des dizaines d'années-lumières de nous. (Il verrait le passé, forcément. Il pourrait peut-être me voir marcher dans la rue alors que je n'ai que 9 ans. Il verrait vivre des humains pourtant morts depuis longtemps... Il aurait la possibilité de voir en temps réel des événements qui, pour nous, sont du domaine de l'histoire.)

À l'écoute de ces sujets de discussion, Sylvette se tient la tête entre les mains puis propose, résignée : « Franchement, il faudrait écrire ces conversations dans un carnet... Ou bien dans un blog. » Je réponds : « Dans un blog, c'est déjà le cas. » Mais personne ne tique...  — De temps en temps, j'en viens cependant à me demander si certains de mes collègues ne me lisent pas régulièrement en « cachette »... Car c'est une manie récurrente des lecteurs de ce blog que d'essayer de me cacher qu'ils me lisent. Peut-être d'aucuns sont-ils quelque peu honteux de regarder à l'intérieur de la vie de quelqu'un d'autre ? Ou bien, plus sûrement, trouvent-ils que mon écriture perdrait de sa franchise si je savais qu'ils me lisent ?


Terrasse improvisée.  — Je suis invité chez Mary pour le souper, en compagnie de ses quatre colocataires. La rue dans laquelle ils habitent, pas loin de Ma Campagne, est complètement fermée à la circulation en raison d'importants travaux de voirie touchant aux conduites d'eau. Sur la route, du sable partout, deux petits bulldozers et un profond trou juste en face de la porte d'entrée de la coloc.

Il fait délicieusement bon et, plutôt que de s'installer dans le petit jardin privé derrière l'habitation, les colocataires décident de placer des chaises devant la maison, à même la rue, entre le trou béant et un des bulldozers. Au programme : des grandes bouteilles de Jupiler, des bières spéciales, des cigarettes et un joint.

C'est plus fort qu'elle : Mary ne peut s'empêcher de monter sur le bulldozer... « J'ai toujours rêvé de faire ça ! » (C'est bien : elle a des rêves accessibles. Moi, un de mes rêves, ce serait de voir la Terre depuis l'Espace, ce qui est déjà beaucoup moins facile à réaliser, on en conviendra.) Une dame de septante ans environ sort sur son balcon et nous prend en photo. Un des colocataires, Jerry, lui crie : « Vous voulez venir boire un verre avec nous ? » Il disait ça pour rire, mais la dame répond : « J'arrive ! »  — Est-elle sérieuse ? Oui ! Cinq minutes plus tard, elle débarque au milieu de la terrasse improvisée, avec dans une main un transat et dans l'autre une bouteille de vin, un verre et un tire-bouchon. Elle est d'origine néerlandaise, s'appelle Jeanne et ça fait plus de vingt-cinq ans qu'elle vit dans le quartier.

Nous restons plus de deux heures dehors. Certains voisins, intrigués, nous regardent ; d'autres engagent la conversation. Du coup, Jerry a une idée : faire une méga-fête de quartier dans la rue ce jeudi ou ce vendredi, « avec barbecue et tout »... Certains autres sont assez emballés. 

Plus tard, durant une heure environ, Bob et sa copine viendront nous faire un petit coucou. Cette dernière, psychologue de formation, vient de démissionner d'une maison d'accueil pour enfants tenue par une sorte de psychopathe qui, entre autres sévices, fait dormir les gamins sur l'escalier lorsqu'ils font pipi au lit. « Une plainte est en cours », nous rassure-t-elle.

La soirée se termine un peu avant minuit... Je suis très fatigué, je n'ai pas envie de marcher. En attendant mon bus, les extrasystoles recommencent. Ambiance !