Vertige

Le Hat. — Lorsqu'on est à la recherche de larges panoramas englobants, il faut prendre de la hauteur. Ici pourtant, ni roche à escalader, ni chemin escarpé. La pente du sentier qui serpente à travers bois est tellement douce que, malgré mes souvenirs de l'année dernière, je me mets sérieusement à douter : « Ce chemin majoritairement en faux plat peut-il réellement donner sur l'un des points de vue les plus vertigineux de la région, plus de quatre-vingts mètres au-dessus des méandres de la Semois ? » Donc je marche, je doute, je marche, je doute et, tout à coup, après un dernier tournant, j'aperçois mon objectif : le fameux Rocher du Hat et, bien plus importants que le rocher lui-même, le vide et la vue plongeante qui l'accompagnent. C'est une impression qu'il est impossible de rendre en photographie car, comme souvent dans ce genre de situation, les cinq sens participent au spectacle. L'air est plus froid et plus vif que l'année dernière, les roches plus glissantes ; le vent s'engouffre dans mes vêtements, la pluie dans mes chaussures. Et surtout, je suis seul. L'endroit est beaucoup plus agressif, dur, sévère, violent : il ne m'accueille pas à bras ouverts cette fois-ci, il me rejette ! — Cette pensée : pour me fondre dans un décor si malveillant, il faudrait que je saute ! Un bon élan, un sprint, et hop, un saut dans le vide ! Le néant est tellement proche que j'en suis effrayé (c'est rare). Je m'assieds sur le banc, reprends mon souffle et ne reste pas. Seul face à la nature, mes pensées sont souvent radicales, mais je ne sais jamais à l'avance si elles seront radicalement positives ou radicalement négatives. Me voilà fixé pour aujourd'hui.

Être seul. — Je voulais à tout prix faire cette promenade seul et donc partir avant les deux autres. Je pense que Léandra l'a compris. Parfois, j'ai l'impression que mes amis vivent la solitude comme une privation, alors que je la vis personnellement la plupart du temps comme une sorte de liberté retrouvée (c'est sans doute pour cette même raison que je vis la nuit, ou plus exactement que je dors très peu : pour profiter du silence et de la liberté qu'elle seule me procure). Seul, je peux entamer un dialogue mouvant avec moi-même, sans aucune interférence, sans aucune contrainte, et surtout : je suis obligé de me taire, moi qui, très souvent, parle pour ne rien dire et passe fréquemment pour un idiot.

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