Archives mensuelles : septembre 2014

Le chiffre de Dorabella (8)

Masques de saisie. — Si nous prenons pour hypothèse que le symbole le plus fréquent dans le chiffre de Dorabella est un E (voir à ce sujet l'article du 25 septembre), y a-t-il moyen d'aller plus loin ? Oui, mais avec une seule lettre en place — lettre qui n'est peut-être même pas la bonne ! —, l'exercice reste très compliqué et peut déboucher sur des dizaines de milliers de combinaisons (et de fausses pistes). Par exemple, sur la première ligne, selon cette hypothèse, on aurait droit à une belle suite de E dans la configuration suivante :

... E v w EE E y z z E ...

... où v, w, x, y et z sont des lettres inconnues, avec la particularité supplémentaire que z est dédoublée. Il faut également tenir compte que le dernier E (en rouge) est sujet à caution. À partir de cette séquence, on pourrait imaginer qu'un mot unique soit constitué de trois, quatre, voire même cinq E. Un mot comprenant les cinq E disposés selon ce modèle n'existe pas en langue anglaise. Par contre, si l'on retient la séquence « EvwExEE », en considérant qu'il s'agit d'un seul mot et que ce dernier peut se prolonger sur la gauche ou sur la droite, le site Morewords.com propose seulement dix mots sur base de quatre radicaux : « kedgeree » (un plat indien) « kedgerees », « peacekeeper », « peacekeepers », « peacekeeping », « peacekeepings », « sneezeweed » (le nom vernaculaire de plusieurs plantes de la famille des astéracées), « sneezeweeds », « velveteen » (une imitation de velours) et « velveteens ». D'emblée, sans même regarder ce qu'elles engendrent dans le reste du message, les quatre solutions avec PEACEKEEP* (j'utilise l'astérisque pour signifier que le mot se prolonge) ne fonctionnent pas, car elles butent sur le double symbole identique à la fin du mot (voir ICI). De même, celles avec SNEEZEWEED* ne sont pas très satisfaisantes, car elles demandent que l'on substitue deux symboles différents par la lettre E (voir ICI). Celles avec VELVETEEN* requièrent le même genre de substitution, à savoir deux symboles pour la seule lettre V (voir ICI). Reste KEDGEREE* qui techniquement pourrait convenir, du moins au singulier (voir ICI). Mais peut-on vraiment croire que le chiffre de Dorabella mentionne un plat indien ? C'est toujours possible, mais extrêmement improbable, d'autant plus qu'avec ce mot à cette place-là, on rencontrera plus tard des difficultés à développer le reste du texte (oui, j'ai essayé).

Il ne s'agit que d'un test parmi des milliers d'autres : même en procédant avec méthode et en éliminant les cas improbables, il reste beaucoup de travail... Et si le symbole le plus fréquent n'était pas un E ? Et si la double lettre n'appartenait pas au même mot ? Et si cette partie-là du texte était constituée d'une série de petits mots de deux ou trois lettres ? Et si la méthode de chiffrement n'était pas une simple substitution ? Et si ce n'était pas de l'anglais ? Et si Edwar Elgar avait utilisé des abréviations ? Et si le message ne voulait strictement rien dire ? Et si... ? Et si... ? « Merde, on tourne en rond ! »

Pour couronner le tout, je suis dehors, installé avec mon ordinateur portable sur la cour de la maison familiale — il fait incroyablement délicieux aujourd'hui et les oiseaux chantent comme au mois de mai — et je suis obligé d'écouter les litanies racistes de l'ancienne voisine stupide et beauf venue dire bonjour à ma grand-mère : « À Charleroi, il ne faut pas y aller le dimanche, parce que le dimanche, tout est fermé et alors, tu as beaucoup de Noirs, beaucoup de Maghrébiens... Maghrébins... C'est comme ça qu'on dit ? Et donc, bon, je ne vais pas faire de grimaces ni me retourner quand j'en vois, hein, mais bon, Charleroi, ce n'est plus Charleroi, quoi... » — Cette histoire n'a strictement rien à voir avec le chiffre de Dorabella, mais je ne pouvais pas m'empêcher de donner un aperçu de mon environnement de travail de très haut standing.

« Joey, tu aimes les films sur les gladiateurs ? »

Je n'ai jamais vraiment été convaincu par les psychologues (ces gens qui demandent au moins cinquante euros pour m'expliquer ce que j'aurais pu découvrir par moi-même ou ce que je savais déjà), donc si je suis allé aujourd'hui après-midi voir un psychothérapeute pour Gaëlle dans la jolie banlieue proprette de Gerpinnes, c'est avant tout pour faire plaisir à sa maman, qui s'inquiète. Pourquoi s'inquiète-t-elle ? Parce que Gaëlle est hypersensible (c'est vrai), qu'elle fait parfois des réflexions bizarres (c'est sans doute vrai aussi, mais tout dépend de ce que l'on entend par « bizarre »), qu'elle a un sens de la justice extrêmement (voire trop ?) développé, qu'elle a très peu d'amis de son âge (durant la séance, elle déclare clairement préférer les enfants plus jeunes, « pour pouvoir les protéger contre les enfants plus grands qui les embêtent », ou exceptionnellement plus vieux — sa meilleure amie a bientôt treize ans), qu'elle se fait ennuyer dans la cour de récréation, qu'elle n'arrive pas à dormir avant dix heures du soir et qu'elle n'a pas l'air de prendre vraiment au sérieux l'école, les règles et les devoirs, bien qu'elle réussisse sans problème pour le moment. « Elle veut en avoir fini le plus vite possible pour faire ce qu'elle a envie de faire... », dis-je, avant d'ajouter : « Comme moi à son âge, en fait ».

Il nous demande : « Comment vous comportiez-vous à l'école primaire ? Étiez-vous comme elle ? » Maïté explique qu'elle était très tête en l'air. Quant à moi, j'entre un peu plus dans les détails (parce que j'adore ça et que j'y ai déjà beaucoup réfléchi) : « Oh, moi, vous savez, à l'école primaire, je "flottais". J'avais de très bons résultats, sans m'impliquer plus que ça, si ce n'est dans des choses qui me tenaient vraiment à cœur. J'ai d'ailleurs continué à "flotter" par la suite, en secondaire, mais avec de moins bons résultats, parce que parfois il fallait étudier et que je n'étudiais que quand j'avais envie d'étudier. » (Souvenir d'un 7/20 en biologie, avec ce commentaire : « Aucune étude ! », et de mes parents qui signaient le bulletin sans jamais m'engueuler ou me poser de questions.) « Cela dit, je ne pense pas que les deux situations soient comparables. Je n'étais pas comme elle à l'école primaire. »

Je ne le dis pas, mais je pense (très fort) qu'il n'y a aucune anormalité dans la façon dont Gaëlle se comporte et que, par conséquent, il n'y a pas vraiment de comportements à rectifier ou à comprendre. Le fait qu'elle soit hypersensible, réfléchisse pas mal, s'endorme relativement tard ou ne s'investisse pas plus que cela à l'école n'est pas un problème à mon sens. Le problème se situe plutôt dans cette obsession de trouver « pourquoi ça ne va pas », alors que ça va. C'est un problème de formatage : on veut que l'enfant réponde à un certain moule et, quand il ne répond pas à ce moule, on veut le mettre dans un autre moule. Ce serait particulièrement hypocrite qu'en tant que père, j'en veuille à Gaëlle parce qu'elle veille tard, trouve certaines règles absurdes ou certains devoirs répétitifs. Hypocrite parce que moi aussi, je veille tard, que moi aussi je considère certaines règles comme étant particulièrement absurdes, et que ça ne date pas d'hier : toute cette histoire d'éducation et de règles strictes est en grande partie vide de sens. Je ne dis pas qu'il ne faut pas suivre les règles instituées au sein d'une classe (à son âge, j'avais même plutôt tendance à les suivre scrupuleusement) ; je dis que certaines règles peuvent paraître absurdes si l'on creuse un tant soit peu... et donc que la remise en question de ces règles est un signe de bonne santé mentale, et non pas du tout un signe de déliquescence, un symptôme avant-coureur de délinquance ou bien encore le symbole d'une éducation mal distillée.

L'autre moule en question, c'est l'intelligence supérieure à la moyenne. Aujourd'hui, le terme à la mode est « zèbre », et je le trouve encore plus ridicule que « surdoué » ou « HP », ce dernier m'ayant toujours fait penser à la marque d'imprimantes. « Je vais vous expliquer », nous dit-il en prenant une feuille blanche et un stylo. Va-t-il dessiner une courbe de Gauss ? Bingo ! Il dessine une courbe de Gauss. C'est d'un convenu. « La moitié des enfants se trouvent entre 90 et 110. Si tu te trouves beaucoup plus à droite de la courbe, c'est normal que tu te sentes déphasée. » Oui, mais se sent-elle vraiment déphasée ? Je n'en ai pas l'impression. En arrière-plan, il y a les nouvelles théories de Jeanne Siaud-Fachin et consorts sur les hauts potentiels, le tout accompagné d'un discours, presque mielleux, qui fait l'éloge de la différence : « Tu sais, être hypersensible, ça peut être embêtant, mais ça peut aussi être une qualité. Quand on est hypersensible, on comprend plus de choses, des choses que d'autres ne voient même pas... Les sens sont exacerbés, le cerveau devient une éponge qui absorbe tout, le bien comme le moins bien... » Il pose ensuite une série de questions à Gaëlle et je vois parfaitement où il veut en venir. Jusqu'à un certain point, les questions induisent les réponses (si je cherche à trouver un profil, je finirai par le trouver) : « Est-ce que tu as l'impression de t'ennuyer à l'école ? », « Est-ce que ça t'arrive d'être distraite en classe ? », etc.

Après une heure, la conclusion est qu'il n'y en a pas : il faut faire des tests pour aller plus loin. « Les tests ne sont jamais que des tests », nous dit-il, « ils ne permettent que de déceler deux types bien ciblés d'intelligence : la logico-déductive et la verbo-linguistique. L'intelligence globale d'un individu est bien sûr quelque chose de plus complexe que ça. » Concrètement, cela ferait deux séances de tests, suivies d'une dernière séance où il nous détaillerait les résultats. (3 x 50 = 150 : moi aussi je peux faire de la « logico-déduction ».)

« Ça te dit de faire des tests, Gaëlle ?
— Je ne sais pas... Ce sera un quel jour ?
— Un samedi.
— Alors non. »

Affaire à suivre... (En tout cas, ça m'amuse beaucoup.)

Le chiffre de Dorabella (7)

Attaque par les doubles lettres. — Parfois, un bon départ pour avancer dans le décryptage d'un chiffre dont on ne possède pas la clé consiste à repérer les doubles lettres. Cela peut fonctionner si la technique de chiffrement utilisée est une simple substitution (un symbole égale une lettre). En anglais moderne, les doubles lettres les plus fréquentes sont, dans l'ordre, SS, EE, TT, FF, LL, MM et OO. Si une succession de deux symboles se trouve dans un message chiffré, il y a une probabilité non négligeable que l'une des lettres mentionnées ci-dessus soit impliquée. Dans le cas du chiffre de Dorabella, les symboles sont écrits les uns à la suite des autres, ce qui ne permet pas de dissocier directement les mots et complique la tâche (car, bien sûr, il est toujours possible que deux lettres qui se suivent soient simplement une lettre de fin et une lettre de début de mot). Cependant, on remarque aussi qu'un symbole apparaît plus que tous les autres (11 fois, ou 10 si l'on considère un de ces symboles comme tendancieux) : la double boucle dont les pointes sont tournées vers le nord-ouest. Et l'on remarque aussi qu'à deux endroits du chiffre, ces symboles sont doublés. Beaucoup de gens y ont pensé avant moi, évidemment : il pourrait s'agir de la lettre E (voir le test ICI). Pourquoi ? Parce qu'en anglais, c'est la première lettre quant à la fréquence d'apparition (environ 12 %, ce qui correspond par ailleurs à sa fréquence d'apparition dans le chiffre !) et qu'en plus, elle est aussi très fréquente en tant que double lettre (elle se retrouve en double dans 3854 mots, selon ce site — une aide précieuse pour les amateurs de Scrabble®, mais aussi de cryptanalyse). Cela dit, dans une feuille d'exercices exécutée plus de vingt ans plus tard, Sir Elgar s'amuse à (nous ?) montrer qu'il est possible de fausser les statistiques avec le très beau « DO YOU GO TO LONDON TOMORROW? » qui contient neuf O, un seul U et aucune autre voyelle ! Mais peu importe : le symbole de la double boucle nord-ouest, donc, a une probabilité plus haute que la moyenne d'être un E. Soit dit en passant, la EE pourrait également représenter les initiales d'Edward Elgar. Que EE puisse être une signature, certains aussi y ont pensé, mais c'est pour moi un non-sens : pourquoi donc Edward Elgar mettrait-il ses initiales en plein milieu d'un message ? Certains répondent : « Parce qu'il était coutumier du fait et qu'il voulait brouiller les pistes en inversant des pans entiers de phrase ». Faux départ : quand on est devant ce genre de chiffre, il faut absolument supprimer rapidement toutes les fausses pistes. Et cette signature, c'est très certainement une fausse piste. Ceux qui y croient y croient sans doute parce qu'ils sous-estiment le nombre de messages qui, si on torture un peu le chiffre, peuvent signifier quelque chose. Par conséquent, je persiste et signe : si ce message doit être déchiffré un jour, ce doit être de manière flamboyante. Autrement dit, il doit faire l'unanimité avec une solution à l'intérieur de laquelle tout se tient. Un Eurêka ou la mort, en quelque sorte !

Le chiffre de Dorabella (6)

Hier soir — en plus de boire un verre à la Maison du Peuple et de manger un spaghetti au Verschueren avec Léandra — et aujourd'hui soir — en plus de boire un verre à la Maison du Peuple et de manger un spaghetti au Verschueren avec un improbable revenant, à savoir le docteur Nanash en personne ! —, j'ai continué à travailler sur le « déchiffreur de Dorabella » (voir l'article précédent pour les détails). On s'amuse comme on peut, n'est-ce pas ?

Hier, je me suis amusé à ajouter une base de données qui retient chaque test réalisé. Aujourd'hui, j'ai mis en place un script qui permet de récupérer aisément un de ces tests. Imaginons que quelqu'un ait trouvé un mode d'attaque intéressant et qu'il veuille partager son avancée avec le reste de l'humanité. Ou bien que quelqu'un ait vraiment réussi à déchiffrer cette saloperie de chiffre (soyons optimiste !) et qu'il veuille rendre sa découverte publique... Alors, il lui suffira de noter le numéro du test qui s'affichera en haut à gauche de l'écran. Pour le retrouver plus tard, deux solutions : soit on remplit le champ en haut à droite (« Numéro d'un précédent test ») et on clique sur « VOIR ! », soit on utilise l'URL en ajoutant à la fin de celle-ci un « ?t= » suivi du numéro du test. Par exemple, en tapant dans sa barre de navigation...

http://www.underniercafeavantlaurore.net/Dorabella/?t=182

... on obtiendra un message partiel qui commence par « BONJOUR JACK ». C'est sympathique, mais ce n'est sans doute pas le bon début ! Et c'est là tout le problème : on peut facilement créer des bouts de phrase qui signifient quelque chose, mais c'est une chimère de croire qu'ils nous mèneront au résultat correct. On trouve pourtant sur la Toile une flopée de gars convaincus que leur solution est la bonne et qui sont très fâchés quand on leur fait remarquer que des pans entiers de leur message soi-disant déchiffré ne veulent strictement rien dire.

Grâce à ce système d'URL, on peut par exemple poster son avancée sur les réseaux sociaux, ou bien encore envoyer sa tentative directement à l'Elgar Society pour tenter d'empocher la récompense de 1500 dollars que cette société propose pour le déchiffrement du chiffre. — La somme est ridicule, oui, mais personne ne joue à ce genre de jeu pour de l'argent, de toute façon.

Le chiffre de Dorabella (5)

Voilà près d'un an et demi que le chiffre de Dorabella me fascine. Écrit selon toute vraisemblance en 1897 par le compositeur anglais Edward Elgar (adepte de cryptologie), ce message crypté n'a à ce jour pas encore été déchiffré : en tout cas, à ce que je sache, ceux qui déclarent avoir découvert son secret proposent des solutions alambiquées qui ne sont pas du tout satisfaisantes, et ce malgré des raisonnements qui s'avèrent parfois très intéressants. (Je parle longuement de ce chiffre dans quatre articles, dont le premier date du 18 mars 2013 ; je ne vais donc pas me répéter ici.)

dorabella_original

Quand je dis que ce chiffre me fascine, je suis assez loin de la vérité : en réalité, il m'obsède (de temps à autre, sans raison, je trouve une nouvelle idée et je me replonge dans son étude, sans aucun résultat probant) et il me frustre (je suis frustré de ne pas trouver d'angle d'attaque pertinent, de point d'appui grâce auquel je pourrais monter d'un cran dans la compréhension). Je suis comme un mauvais alpiniste au pied d'une montagne, n'arrivant pas à trouver la moindre prise pour atteindre le premier plateau, qui ne se trouve pourtant qu'à quelques mètres de hauteur seulement. En l'occurrence, une bonne prise serait la découverte d'un ordre ou d'un sens, d'une séquence de lettres ou d'un mot, découverte qui permettrait, à force de déductions, de découvrir d'autres ordres, d'autres sens, séquences, lettres, mots...

Tout porte à croire qu'on est à la recherche d'une texte chiffré par simple substitution, c'est-à-dire pour lequel un symbole équivaut à une lettre (ou peut-être à deux dans le cas de i/j et u/v). Cependant, rien n'est certain : il est toujours possible que la méthode de chiffrement soit plus complexe (avec par exemple un système de décalage progressif des équivalences symbole-lettre). Il est aussi tout à fait possible qu'on soit devant un canular, une succession de symboles aléatoires, bref quelque chose qui ne signifie absolument rien. Pour continuer à espérer un tant soit peu, je prends pour hypothèse de départ que ce n'est pas le cas, autrement dit qu'il s'agit d'un chiffrement par substitution qui donne une réponse compréhensible. J'ai bien sûr pensé à d'autres méthodes plus sophistiquées (voir notamment les articles précédents), mais mon flair me ramène constamment à la substitution pure et simple : après tout, s'il est véridique, le message n'était-il pas destiné à une jeune femme qui ne développait a priori aucun intérêt pour la cryptanalyse ?

Si, dans ce chiffre, un symbole est vraiment égal à une lettre, on se dit que la réponse est à portée de main... Sauf que les possibilités de combinaison restent phénoménalement élevées. D'où justement la nécessité d'un point d'appui (analyse de la fréquence des lettres, découverte de motifs semblables, etc.)... Point d'appui difficile à trouver en raison de la brièveté du chiffre. — « Merde, on tourne en rond ! », comme dirait l'autre.

Dernièrement, j'ai eu de nouvelles idées par rapport à ce message chiffré (idées que je développerai un autre jour). Cependant, pour pouvoir réaliser une batterie de tests rapides, j'avais besoin d'un outil plus performant qu'un cahier et un stylo. Il me fallait un petit programme permettant de tester facilement un grand nombre d'équivalences symbole-lettre. J'ai donc profité d'une partie de ce week-end sans ma fille pour développer un petit script PHP entièrement dédié au chiffre de Dorabella, que l'on trouvera en cliquant sur le lien suivant :

« Le déchiffreur de Dorabella »

Il s'agit d'une toute première version bêta qui demande sans doute à être corrigée (il est possible que je me sois trompé dans certaines équivalences) et améliorée (j'aimerais bien, entre autres choses, placer en arrière-plan une base de données gardant en mémoire toutes les combinaisons testées). Cela dit, cette version est tout de même pleinement fonctionnelle. Le principe est le suivant : dans le tableau du bas, à droite de chaque symbole, on peut assigner une lettre. Les chiffres en rouge correspondent aux occurrences — approximatives dans certains cas (voir à la fin de ce paragraphe pour l'explication) — de chaque symbole. Après avoir cliqué sur « TESTER ! », les lettres remplacent les symboles directement dans le message chiffré. Le programme retient la dernière combinaison testée, à moins que l'on ne clique sur « REINITIALISER », ce qui remet tout à zéro. Quant au bouton « AU HASARD ! », il ne sert pas à grand-chose, si ce n'est à se dire qu'il est toujours possible (bien que très, très, très hautement improbable) de déchiffrer le message de cette manière, sur une espèce de « coup de bol divin ». Enfin, certains symboles du message ne sont pas très clairs (par exemple, sont-ils tournés vers le haut ou sont-ils obliques ?). Dans de pareils cas, les deux lettres possibles selon l'interprétation sont présentées en rouge. Dans une prochaine version, je développerai peut-être un petit outil donnant la possibilité de choisir sa préférence.

Ne reste plus qu'à tester...

Justification

L'étymologie d'un mot nous en apprend beaucoup plus que sa simple définition. Certains termes viennent de très loin : dans ce « monde des origines », la terre est liée à la soif et la vie à un chemin. — Et la déception ? Assez curieusement (du moins de prime abord), à la duperie et à la tricherie (voir le latin decipio). La déception entretient un rapport direct avec le monde des apparences : par exemple, je suis déçu si une personne n'est pas conforme à l'image que je m'en faisais. Et la justification ? Justifier, cela renvoie à la vérité, à l'honneur, au fait de rendre la justice. — Ce soir, à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, Léandra est déçue parce qu'elle a l'impression que son entourage se dérobe. Quant à moi, j'explique que je ne peux m'empêcher de me justifier, sans doute parce que j'entretiens un rapport enfantin avec cette idée de vérité et de droiture. Il faut que je montre que ce que je fais est juste et vrai. (Récemment, Léandra a parlé à Romain de ma tendance récurrente à glorifier mon enfance. « C'est évident que son enfance compte beaucoup pour lui », aurait-il répondu, « cela se voit ne fût-ce que par les  photos de lui enfant qu'il poste régulièrement sur Facebook. »)

Léandra me déclare qu'elle n'a pas été surprise en lisant mon nouveau blog, autrement dit que celui-ci est dans la continuité de l'ancien. C'est tout le problème : je suis prévisible. Pire encore : mon journal est une justification ! Il est beaucoup plus cadenassé que le précédent. Il faut constamment que je justifie non seulement mon comportement, mais aussi tout ce que j'écris. Je ne me libère pas du tout, je m'enferme encore plus ! Je suis encore plus insatisfait de ce que je rédige, je dois me relire encore plus de fois, je dois absolument tout contrôler. Il n'y a strictement plus rien de naturel. Rien de nouveau ne peut sortir de tout cela. Pour que du nouveau soit créé, il faut que je me relâche. « Actuellement, comme tu le sais, j'apprends de nouveaux langages, comme l'arabe ou certaines branches des mathématiques. Est-ce une libération ? Non, pas du tout : c'est un enfermement supplémentaire ! » Tout cela est lié au contrôle : je veux pouvoir tout contrôler par moi-même.

Léandra propose une solution : « Tu devrais essayer autre chose que l'écriture, d'autres moyens d'expression. L'écriture, tu la maîtrises trop. Pas le dessin, parce qu'en dessinant, tu serais encore dans le contrôle. Tu devrais peut-être acheter un dictaphone et t'enregistrer, seul. Dire quelque chose, t'exprimer. Je ne sais pas si ça peut fonctionner, c'est juste une idée. »

Rêve de nitroglycérine

Depuis un promontoire rocheux, j'observe, entouré d'ingénieurs (qui portent un casque de chantier et une chemise avec un stylo dans la poche gauche... bref tout l'attirail archétypique d'un d'ingénieur), un paysage montagneux brunâtre, curieux mélange entre la Monument Valley et les Alpes. Tous attendent mon signal : je sais que si nous sommes ici, c'est pour faire exploser les montagnes environnantes. J'ai dans la main un bouton rouge. À peine l'ai-je effleuré que le monde autour de nous tremble, explose et rugit. L'explosion détruit les montagnes et notre environnement est désormais entièrement plat, à l'exception de notre promontoire. De l'eau monte rapidement : elle gagne mes genoux, mes hanches, mon buste, mon cou... Je vois mes amis dans la même situation embarrassante que moi. Je n'ai curieusement pas peur. Notre horizon n'est plus qu'une vaste étendue d'eau. Une pensée s'impose avec clarté : nous avons agi avec trop de précipitation et n'avons pas calculé avec précision tous les facteurs de risque ; dans notre volonté de supprimer les montagnes, nous avons fait exploser beaucoup trop de rochers — et un barrage aussi peut-être ! — et allons mourir noyés. Cependant, arrivée à notre bouche, l'eau redescend aussi rapidement qu'elle ne s'était répandue. Un ingénieur se présente alors à moi et me tend deux petites fioles remplies d'un liquide transparent : « Voilà, je t'ai enfin trouvé de la nitroglycérine ! », me dit-il, fier de sa découverte. Je suis embêté : conscient que c'est à ma demande qu'il a apporté ces flacons, je suis bien obligé de les accepter, tout en sachant que le moindre choc pourrait provoquer une nouvelle catastrophe. J'imagine une destruction encore plus forte, un déluge encore plus grand que ceux que nous venons de subir. Me vient alors l'idée de conserver les deux récipients dans le frigo, à mon travail. C'est d'ailleurs ce que je décide de faire, mais je ne suis pas à l'aise. J'ai toujours en tête que la nitroglycérine entreposée non loin de mon bureau pourrait faire d'incroyables ravages. Je me mets à chercher des solutions alternatives, d'autres endroits de stockage : il faut que je me libère à tout prix de cette nitroglycérine ! — Et je me réveille.

Ce rêve m'a tellement impressionné qu'en me levant du lit ce matin, je me suis précipité sur la Toile pour lire tout ce que je pouvais trouver sur la nitroglycérine, et notamment l'information suivante : l'instabilité de ce puissant explosif liquide est en partie (mais en partie seulement) une légende véhiculée par des films comme Le Salaire de la peur, des dessins animés comme ceux de la Warner Bros. ou encore par certaines bandes dessinées comme Lucky Luke. J'ai alors poussé un bref (et bien réel) soupir de soulagement, avant de me rappeler que cette histoire n'était de toute façon qu'un rêve, que je n'avais pas vraiment à côté de moi de la vraie nitroglycérine et que je ne devais donc pas réfléchir dans l'urgence à un moyen pour m'en débarrasser.