Un soir au Potemkine

Ce midi, je suis allé manger avec Léandra dans une sandwicherie suisse située sur le Boulevard Anspach, juste devant la Bourse de Bruxelles, portant le nom de "Au Suisse" (vive l'originalité !). Ils font de bons sandwiches – au roast beef pour Léandra ; au hareng à l'alsacienne pour moi – mais, même avec la meilleure volonté du monde, je ne pourrais jamais être rassasié après avoir englouti un si petit bout de baguette ! Autrement dit : Léandra a beau me soutenir mordicus que son nouveau boulot est bien mieux que l'ancien, je continuerai coûte que coûte à considérer ce dernier comme plus professionnel sur un point au moins : la sandwicherie italienne (La Focaccia) qui se trouvait juste à côté.
De la discussion de ce midi, j'ai retenu un élément primordial : Léandra a abandonné son journal, dont elle a fermé le contenu au public à l'exception d'elle-même (forcément) et... de moi (hahaha !). Ça, je le savais déjà... Depuis lors, elle se sent beaucoup plus légère, presque soulagée ! Ce journal, c'était un poids à porter, avec toujours le risque que quelqu'un le lise et le prenne mal. Se faire des ennemis quand on parle de relations interpersonnelles sur le Web est quelque chose d'assez facile. Elle en sait quelque chose, Léandra : elle a déjà écrit bien pire – ou bien mieux, tout dépend du point de vue ! – que ce dont elle parle dans son dernier blog en date. (De mon côté, je commence aussi à en savoir quelque chose, bordel !) Je suis néanmoins un chouïa déçu : je pense en effet que mon amie aurait pu, avant de tout clôturer, s'essayer à l'analyse météorologique ! Une dépression par-ci, un anticyclone par-là... Ah, être Jules Metz à la place de Jules Metz, quel pied !

Léandra repart à son boulot, je repars à ma Maison (du Peuple). Les heures passent, je sirote quelques thés et une bière, j'échange quelques mots anodins avec mes voisins de table, je "croise" même une ancienne copine d'université, puis Léandra est de retour ! Il est environ 19h, il n'y a pas de place en terrasse, alors on part s'installer au Potemkine, le nouveau café branchouille devant la Porte de Hal. 
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Ce qu'il faut savoir en premier lieu sur ce café, c'est qu'on y sert au fût une bière totalement et définitivement répugnante : la Volga. Après recherche, il semblerait qu'il y ait dans le Monde au moins deux bières du nom de Volga : Волга, une bière russe rachetée par Heineken en 2004, et Volga, une bière créée par John Stargasm, chanteur et leader du groupe Ghinzu. D'après Le Soir, c'est la deuxième qu'ils servent dans ce café. Peu importe. En tout cas, ce n'est pas bon : la bière a le goût de la Jupiler "fût de fête" qu'ils servent notamment dans les soirées estudiantines de l'Université libre de Bruxelles. 

Deuxième chose à savoir : le Potemkine a été lancé par Frédéric Nicolay, celui qui a créé le Belga (à Flagey) et le Bar du Matin (à Albert, près de chez moi). Deux endroits où je mets rarement les pieds car j'y déteste l'ambiance et les "bionades" totalement dégueulasses (sans doute encore plus que la Volga car dans cette dernière, au moins, il y a de l'alcool). Une bionade... C'est pourtant ce que prendra Léandra lors de notre premier verre là-bas. Elle fait ce qu'elle veut : c'est son foie qu'elle bousille à petit feu.
Le Potemkine a aussi ses bons côtés : à l'extérieur, juste au pied de la Porte de Hal, une terrasse avec un camion-bar (ils ont l'autorisation pour ça ?) et des serveurs servant de la... Volga à... deux euros dans des... verres en plastique ! Sur un des flancs de la terrasse, un DJ passe des vinyles rétro : de la chanson française qui semble tout droit sortir des années 60. Les titres ne nous disent rien. Léandra adore ce genre de musique... Un de ses grands rêves dans la vie : sortir un disque où elle chanterait à tue-tête, heureuse, des chansons "à la française", un peu comme Françoise Hardy ou France Gall. Léandra télécharge Shazam sur son smartphone pour reconnaître des titres mais ça ne marche pas (pffff, ça vaut bien la peine de se la péter avec une "cacaille" à 300 euros). De mon côté, sur mon vieux GSM tout pourrave (mais avec lampe de poche, siouplaît !), j'essaie d'immortaliser les paroles un peu mystiques d'une des chansons qui me parle, espérant la retrouver plus tard sur le Web. Chose incroyable : je ne la retrouve pas ! Des bribes de paroles : ça parle d'un démon qui descend sur Terre et qui "s'est fait des habits de lumières", mais qui "déçu, reprit sa course". Plus loin : "Obstiné, le diable se transforma en homme". C'est peut-être du Gérard Manset ? Faudrait que je creuse cette piste... Faudrait peut-être aussi que je demande à Pat ou à Flippo car ces deux-là sont clairement plus au courant que moi question chanson française des sixties et seventies.

Après la terrasse, nous testons l'intérieur du Potemkine... Enfin, je teste (Léandra est déjà venue auparavant). Au plafond, de faux ossements de cétacé. Au mur, un écran fait de grosses ampoules qui, en jouant sur la lumière et le contraste, rejouent la fameuse scène des escaliers d'Odessa dans Le Cuirassé Potemkine d'Eisenstein (c'est Léandra qui s'en est rendu compte ; si on ne fixe pas l'écran pendant un certain temps, on ne voit que des taches informes). Au fond : un beau bar aux alcools russes, avec une serveuse blonde qui se fond parfaitement dans ce décor slave. Enfin, la salle du café fait un peu cantine, mais en plus sophistiqué, en plus "lounge". Comme le Belga, mais en un peu mieux, quoi.

Ça ne se voit pas spécialement à l'écrit, mais je suis totalement déprimé lors de cette putain de soirée dans ce putain de café hype. Je suis déprimé depuis deux jours... Sans doute une conséquence de mon état grippal... Sans doute, ouais, ouais. J'ai l'impression d'être transparent, de n'avoir aucune présence, de ne pas savoir aligner deux mots sans devoir me reprendre, de ne rien dire d'intéressant (pour ne pas changer). Je n'arrive même pas à être comique... (Allez, Hamilton, prends un Vicks, ça ira mieux !) À un moment, j'explique à Léandra que ma vie est un peu comme du sable que j'essayerais de retenir avec mes mains : j'ai beau tout faire pour empêcher les grains de s'échapper, ils filent entre mes doigts, jusqu'au dernier... Ha, misère !

Plus tard, Léandra parle de son projet lointain de blog pornographique ou plutôt érotique. Elle ne sait pas très bien comment elle pourrait parler de "la chose". En effet, à l'exception d'un passage assez soft dans un ancien blog, elle n'a jamais expérimenté ce type d'écriture. Je me suis pour ma part posé la question également, mais dans un sens légèrement différent : et si je devais sortir avec quelqu'un dans les mois à venir, comment gérerais-je l'écriture de ce blog ? Pour Léandra, son journal était une phase temporaire, transitoire : elle avait depuis le début prévu de le laisser tomber un jour ou l'autre – et ce jour est arrivé ! Pour moi, c'est différent : je compte bien continuer ce projet aussi longtemps que j'en suis capable, donc la question pourrait se poser : comment décrire une relation amoureuse dans un journal ? Ne pas en parler du tout ? En parler un peu ? Être dans l'exhibitionnisme total ? En fait, évidemment, ça dépend totalement de la personne rencontrée. Léandra rigole et me dit que je devrais m'en faire un leitmotiv ; utiliser cette argumentation sur un site de rencontre : "J'écris un blog sur ma vie de manière journalière. Si vous voulez apparaître dedans d'une manière ou d'une autre, envoyez-moi un message !". Le pire dans l'histoire, c'est que l'idée est somme toute assez sympathique.
Dernière réflexion de Léandra avant de se quitter (mais pourquoi pense-t-elle à ça maintenant ?) : nous devrions mettre en place des ateliers "causerie". Le concept : quelqu'un invite en soirée une série d'amis (choisis de manière arbitraire) pour discuter d'un sujet donné. Pas de bouffe, juste quelques bouteilles de vin. Aucune volonté de se saouler, le but étant juste de parler posément d'un thème particulier. Chacun recevrait le thème de la soirée une semaine à l'avance. Moi : "Ouais bon, on rajoute quelques bougies et ça fait franc-maçonnerie." – Léandra : "Non, justement, ce qui serait drôle, c'est d'en interdire l'accès aux francs-maçons !". Ah ouais, carrément ! 

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