La découverte du flocon

Six heures quarante. Sur le chemin de la gare, rue de la Petite Pierrère, le vieux chat roux fatigué, assis confortablement sur son mur de schiste, me regarde passer sans broncher ni bouger. — Voir sa bonne gueule désabusée chaque jour me réconcilie un tant soit peu avec cette espèce tant honnie.

J'ai trouvé ma navetteuse favorite sur le trajet Tamines-Liège. Elle est du genre « toujours légèrement soucieuse » et aussi « yeux bleus fixes interrogateurs ». — Non, non, je ne me fais pas un film !

Matin et soir, depuis le train, j'observe les enceintes de confinement et les hautes cheminées de la centrale nucléaire de Tihange, de l'autre côté de la Meuse. Là-bas, des techniciens s'occupent de fendre l'atome pour créer de la vapeur d'eau (en résumé).

« Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément » (Boileau) : c'est bien exprimé mais est-ce vrai  ? Combien de fois n'ai-je pas pesté en exprimant maladroitement une pensée qui pourtant se présentait clairement dans mon esprit ?

Les bons philosophes sont des rémouleurs : ils aiguisent la pensée, la laissant telle quelle mais supprimant les scories inutiles. Les autres ajoutent curieusement des aspérités à la lame, voire la cassent complètement.

« On a découvert le boson !
— C'est quoi, un boson ?
— Je ne sais pas, mais on l'a découvert ! »

Au moment de l'accident de Fukushima, nous nous prenions tous pour des ingénieurs en énergie nucléaire. Aujourd'hui, avec la découverte du boson de Higgs, nous allons sans doute devenir pendant quelques jours des spécialistes en physique quantique. Werner Heisenberg, prends garde car nous voilà !

Le physicien John Ellis compare le boson de Higgs à un flocon de neige, le champ de Higgs à une étendue de neige et les autres particules à des skieurs ou à des marcheurs (avec ou sans raquettes). — La vulgarisation scientifique était plus facile du temps d'Isaac Newton !

Un jour, j'ai expliqué à ma collègue Wynka que j'étais souvent attiré par des femmes à l'allure très bourgeoise. Elle m'a alors répondu : « Ha ! Tu es comme mon père ! Lui aussi est fils d'ouvrier et craque fréquemment sur des petites bourges ! » — Nous autres, enfants de prolétaires instruits, voulons usurper notre condition sociale !

La recherche historique possède des points communs avec l'enquête policière... Recueillir des indices ça et là, les trier, combler les vides d'information, puis s'écrier enfin, victorieux : « Voilà ! C'est comme cela que ça s'est passé ! »

L'historien est le pire des jardiniers : vous lui commandez un champ de roses et il met l'accent sur les mauvaises herbes.

Je pourrais emprunter l'autoroute de l'Histoire, mais je préfère de loin les chemins sinueux et remplis d'ornières. — Emily me dirait alors : « De toute façon, en Belgique, les routes sont toujours pleines d'ornières ! »... Mais Emily n'est plus jamais là.

L'Histoire est beaucoup plus une arme à destination du futur qu'un outil de compréhension du passé. C'est sans doute pour cette raison que les commandes de travaux historiques effectuées par des acteurs du monde politique se font toujours avec méfiance et circonspection : « Nos archives ? On cherche, on cherche... », « Lui, vous ne l'interviewez pas ! », « Non, non, traitez plutôt cet événement ! », etc.

Au téléphone, la vieille militante syndicale glisse, entre deux renseignements sur l'histoire de sa centrale : « J'ai toujours été étonnée, tout au long de ma vie, par cette faculté qu'a mon cerveau de travailler tout seul. Une pensée est floue ? Je n'y réfléchis plus et je m'occupe d'autre chose... Plus tard, quand j'y reviens, la même pensée est beaucoup plus nette... Comme souvent, mon cerveau a travaillé en secret. » — Vite, vite, un bloc-note !

La même, interrogeant sa prodigieuse mémoire (sauf en ce qui concerne les dates), me permet d'éliminer au moins dix points d'interrogation insérés à divers endroits de mon texte. Je raccroche et lance triomphalement à Wynka et Sylvette : « Cette grande dame, si elle n'était pas de cinquante ans mon aînée, je la demanderais en mariage ! »

Qu'une œuvre soit aimée par beaucoup de monde me paraît toujours très suspect... Comment tous ces gens peuvent-ils sortir si contents de la salle de cinéma ou faire l'éloge de tel ou tel roman quand, la plupart du temps, ils ne peuvent même pas différencier une orchidée d'une ortie ? 

J'ai toujours eu un train de retard : adolescent, je me comportais comme un petit enfant et aujourd'hui, je me comporte comme un adolescent... — Avoir un train de retard : une métaphore qui me va bien, donc.

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