Les petits paragraphes dominicaux (7)

La falaise. — Sur le profil Twitter de Léandra, un lien vers une récente interview, réalisée à la veille du sommet Rio+20, du physicien Dennis Meadows, membre honoraire du Club de Rome et militant environnementaliste... Il y critique de façon cinglante la raison d'être d'un tel sommet mondial et, quarante ans après le rapport sur les limites de la croissance (1972) auquel il a participé, considère que l'humanité court vers la catastrophe : « On me parle souvent de l'image d'une voiture folle qui foncerait dans un mur. Du coup, les gens se demandent si nous allons appuyer sur la pédale de frein à temps. Pour moi, nous sommes à bord d’une voiture qui s'est déjà jetée de la falaise et je pense que, dans une telle situation, les freins sont inutiles. Le déclin est inévitable. » (Encore un joyeux !)

L'appartement.  — « Pourquoi n'achètes-tu pas un appartement plutôt que d'en louer un qui ne t'appartient pas ? » Je ne comprends pas cette question. Car l'appartement dans lequel je vis actuellement m'appartient au même titre que si je l'avais acheté. C'est mon appartement, celui dans lequel je vis pour le moment. Quelle importance (bordel de merde) que dans un avenir plus ou moins proche, il ne sera plus mon appartement ? Quoi que je fasse, que je l'achète ou que je ne l'achète pas, il ne sera de toute façon plus mon appartement un jour ou l'autre. À quoi bon thésauriser, thésauriser, thésauriser ? Tout ce que je thésaurise ne me sera d'aucune utilité dans la tombe. (Il y a sans doute moyen de creuser cette idée, notamment sur la question de la propriété visuelle/sensorielle d'un bien ou d'un lieu à un moment donné de mon existence.)

Adelita. — « On a pendu tous les notaires, les curés et les propriétaires... Et pendant qu'ils agonisaient, nous autres on dansait, on chantait ! » Qui déballe cette joyeuse mélodie en l'honneur de Pancho Villa et de la révolution mexicaine ? Julien Clerc, pardi ! (Album Niagara, 1971.) Étienne Roda-Gil, son parolier d'alors, était du genre rêveur et anarchiste. Bon dieu, il faut réécouter les premiers albums de ce chanteur, qui font référence à la révolution, aux Républicains espagnols et à la liberté ! Ses autres chansons —  « Yann et les Dauphins », « Ivanovitch », « Zucayan », « Sertao »... —, en plus de me rappeler mon enfance, sont des voyages en terre inconnue à elles seules ! « Tout seul, je suis resté parmi les Indiens bleus, les lianes enchevêtrées et les anciennes mines... » : en voilà de sacrées paroles ! (Non, non, je n'ai pas d'actions chez EMI...)

« Nous » suspect. — Les Belges raillent les mauvais résultats des Bleus au Championnat d'Europe de football et beaucoup de Français prennent assez mal la moquerie, répondant que les premiers, au vu de l'état lamentable de leur propre équipe nationale, feraient bien de la fermer. Dans les deux cas, Belges et Français se comportent comme si les gens étaient responsables des résultats des quelques joueurs qui composent l'équipe de leur pays. Et pourtant, cela sort complètement de leur domaine de compétence : un supporter (à l'exception peut-être de celui qui se trouve directement dans le stade, et encore !) ne peut adopter qu'une attitude passive et fataliste ; se dire qu'il n'a aucune prise sur le match qui est en train de se dérouler devant ses yeux. Dans pareil cas, c'est donc le « nous » qui me paraît suspect : « Nous vous avons battus à plate couture ce soir les gars ! » Mais non ! Personne n'a battu personne : cela ne concerne qu'une vingtaine d'humains sur un terrain. — Il y a là, je trouve, une nette ressemblance avec le patriotisme en temps de guerre.
Chuck Norris regarde passer les trains. — Tony, rencontré par hasard sur le quai de la gare de Charleroi-Sud : « Je suis très énervé », me lâche-t-il le plus calmement du monde. « Ha bon ? Ça ne se voit pas du tout », lui réponds-je. Et il me raconte : « Dans le train Couvin-Charleroi, j'ai vu un gars pointer une carabine sur le train. Un barakie du genre à vouloir faire justice lui-même... Chuck Norris mais en beaucoup plus large du bide... Je suis allé voir le contrôleur et tout ce qu'il m'a répliqué d'une voix indolente, c'est : "Ha bon ? Ce serait bien la première fois que ça arrive..." »

La politique vue par Tony. — Dans le train vers la capitale, il m'explique : « La politique aujourd'hui, c'est juste essayer de savoir ce que l'électorat a envie d'entendre et le restituer plus ou moins tel quel : "Allons bon, qu'est-ce qu'un électeur de gauche aimerait bien nous entendre dire ? Oh bah on va mettre le mot solidarité quelque part, ça sonne bien ça, solidarité... Et puis on va se prononcer pour l'euthanasie et le mariage homosexuel... Ce sont des thèmes de gauche et c'est une simple loi à changer, ça ne coûte pas beaucoup de pognon..." »

Le nouvel amour de Tony. — Dans la station de métro : « J'ai une nouvelle compagne, mon vieux, tout le contraire de l'autre ! En fait, ça faisait des mois que je la voyais en tant que simple copine, mais j'étais un peu mal à l'aise avec elle... Elle m'évitait... Chaque fois que je lui parlais, elle me disait : "Faut que j'y aille !" J'ai compris plus tard que c'était parce qu'il y avait quelque chose : on était tous les deux attirés l'un par l'autre... Un jour, elle sortait ses poubelles et je lui ai juste proposé d'aller manger au restaurant le lendemain... Et voilà, quoi... On s'est embrassés... Et puis, directement après la chose, elle m'a dit qu'elle devait rentrer chez elle, et je me suis demandé pendant une journée si c'était fini, si elle voulait simplement qu'on s'embrasse une fois comme ça... Mais non ! Voilà... »
Aphorismes. — Pourquoi suis-je plus à l'aise devant ces courts paragraphes qu'en compagnie d'un long texte suivi ? Parce que j'ai l'impression, en écrivant de la sorte, d'être beaucoup moins artificiel que d'habitude... Je m'oblige à traiter d'un sujet en quelques lignes et c'est sans doute ce que je peux faire de mieux...  En philosophie, les aphorismes sont légion et je crois en comprendre la raison : ils constituent les meilleures armes pour décrire des pans du réel... Considérer la réalité comme un amalgame de petites pièces qui s'ajoutent et qui finissent par entrer en relation les unes avec les autres, cela peut avoir plus de gueule que les grandes synthèses globalisantes.

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