Mary

Je pense de plus en plus souvent que ce format n'est pas le bon. Vouloir absolument mettre en mots toutes mes journées, placer trois astérisques pour séparer différents faits ou idées, décrire des événements qui n'ont d'intérêt que pour moi (et encore !), cela a-t-il réellement un sens ? Des amis me disent parfois : "J'aime bien te lire", mais quand je leur demande pourquoi, ils sont incapables de me répondre. Ce blog dans sa totalité serait-il donc une vaste escroquerie à double sens ? (Je ne sais pourquoi je l'écris et personne ne sait pourquoi il le lit.)

Et pendant ce temps, tout ce retard qui s'accumule... 

Je me suis donné pour objectif de tenir au moins jusqu'au dimanche 22 avril 2012. À cette date, ce journal (mais non ce blog) fêtera son premier anniversaire. Un révolution complète de la Terre autour du soleil. — En un an, la planète aura parcouru un peu moins d'un milliard de kilomètres, relativement à son étoile. De mon côté, je n'aurai rien parcouru du tout.

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Lorsque j'arrive au Bistro des Restos, une place vient de se libérer en terrasse. Je m'y installe et attends Mary.

Le café, au croisement de la Rue Américaine et de la Rue du Page, est à quelques minutes du quartier du Châtelain. Cela se ressent jusque dans l'habillement et le mode d'expression de nombreux clients. Le Bistro des Restos est un poste frontière. Il est comme ce "saloon de la dernière chance" qui, dans tout Western qui se respecte, donne à l'aventurier, au desperados ou au cow-boy l'ultime possibilité de se désaltérer ou de faire demi-tour avant le grand plongeon dans l'espace sauvage ou le désert de sel. 

"Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance", disait l'autre. 

Au-delà du Bistro des Restos, j'entrerais dans une zone de non-retour. Là-bas, dans un monde constitué de beaux décors, de marchés bio hors de prix et de visages souriants, les m'as-tu-vus aux chemises échancrées changent le monde sans le changer. Ils parlent du poste qu'ils ont réussi à décrocher au sein de leur société. — Depuis la terrasse, j'observe l'étendue du désert de sel et me dis que jamais, jamais plus, je n'y remettrai les pieds. (Je joue un jeu dangereux en me rapprochant à ce point : je pourrais me faire happer.)


Mais je m'égare.

Mary est originale, complexe, difficilement cernable. C'est aussi pour cela que je l'aime bien. Paradoxe : elle est à la fois très sure d'elle et remplie de doutes. Elle lance constamment de nouvelles idées ou de nouveaux sujets de discussion. Elle peut changer de sujet très rapidement. J'ai, avec le temps, appris à reconnaître ce motif — le fait de changer de sujet très rapidement — comme un signe de grande intelligence. Elle me rappelle mon vieil ami (?) Hamilton, deuxième du nom, sur ce point. Sur d'autres, elle me rappelle Léandra.

Je ne suis donc que modérément surpris lorsque, au détour d'une conversation sur sa recherche d'une colocation pour l'année prochaine, elle me propose de venir loger un an chez moi. Elle prendrait la chambre de ma fille, s'en irait quand cette dernière devrait y loger (une fois par mois, la plupart du temps) et payerait une partie significative du loyer. J'essaie d'imaginer le pour, le contre, mais je n'y arrive qu'à moitié. Il faut que j'en parle avec Léandra, avec ma maman et avec Gaëlle (l'amie, la mère, la fille : les trois femmes de ma vie ? — Haha !).
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Chez Mary. Nous écoutons des groupes qui participent à l'Optimus Primavera Sound 2012, un festival de rock (vraiment) alternatif qui a lieu du 7 au 10 juin à Porto. Mary s'y rend, cette veinarde. Je l'accompagnerais bien, mais je n'ai en ce moment ni les congés, ni l'argent nécessaire pour un tel minitrip. Je regarde la liste des groupes : "Mon dieu, il y a Jeff Mangum de Neutral Milk Hotel ! Et Yo La Tengo ! Et Shellac ! Et les Flaming Lips, bordel ! Et Explosions in the Sky ! Et Dirty Three. Et Merde, merde, merde."

"Oh comely, I will be with you when you lose your breath, 
chasing the only meaningful memory you thought you had left..."
C'est beau, c'est sincère, c'est tragique... C'est Neutral Milk Hotel.

Par-delà une ligne de basse extrêmement répétitive,
Ira Kaplan emmène sa guitare jusqu'à ses tout derniers retranchements.
Ce type est un grand malade (l'expression n'est pas de moi).

Un hommage évident à "Good Morning, Captain" de Slint 
et à son "I miss you!" final, interprété par Steve Albini/Shellac.
(Brillant, sans être révolutionnaire.)

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