Un premier thé après l'aurore

Depuis la soirée d'anniversaire de Léandra du 17 janvier, j'ai supprimé l'alcool de ma vie. Complètement et radicalement. De trois litres de bière par jour en moyenne, je suis repassé à zéro. Les Orval achetés le 16 janvier restent sagement dans mon frigo sans que je n'y touche et les recoins de ma cuisine ne voient plus aucun cadavre de bouteille s'accumuler. — Et moi, enfin, je respire. 

J'avais clairement un problème avec l'alcool. Un léger problème, mais un problème quand même. En fait, j'ai encore un problème avec l'alcool. Et j'aurai sans doute toujours un problème avec l'alcool. Le simple fait que je compte en ce moment le nombre exact de jours et d'heures (59 jours, 19 heures) que je passe sans la moindre goutte d'alcool est le meilleur témoin que ce doux poison est toujours là, quelque part, en négatif, dans mon esprit et dans mon corps. Bien sûr, le plus difficile est passé : les premiers jours « sans » furent une petite horreur à la fois mentale et physique... Quelques nuits sans sommeil, des maux de crâne, une bouche pâteuse au réveil et surtout, surtout, cette envie de reprendre la sacro-sainte routine : les bières du train de retour, la première bière de la soirée puis toutes les autres qui suivent inéluctablement — la deuxième, la troisième, la quatrième, etc., jusqu'à l'endormissement.

Ma survie, je la dois presque entièrement à une et une seule chose : le thé. Sans lui, je n'aurais sans doute arrêté de boire qu'une semaine ou deux maximum. Au début, le thé n'a été qu'un simple produit de remplacement, un ersatz plutôt curieux : à chaque fois que mon corps réclamait une bière, je me préparais systématiquement un thé. Par la suite, ce breuvage est devenu bien plus que ça et c'est justement ce « bien plus que ça » qui m'a sauvé.

Je me suis rendu compte que la dégustation du thé allait de pair avec une certaine philosophie de vie alliant sens du détail, perfectionnisme et simplicité, trois choses qui pouvaient somme toute parfaitement me convenir. Certes, préparer du thé, pour l'essentiel, ce n'est jamais que mettre de l'eau (chaude, la plupart du temps) en contact avec des feuilles de camellia sinensis — « Le thé n'est rien d'autre que ceci : faire chauffer de l'eau, préparer le thé et le boire convenablement. C'est tout ce qu'il vous faut savoir » : ce n'est pas moi qui le dis, c'est Sen no Rikyū (1522-1591), un célèbre maître du thé japonais. — Mais c'est justement dans cette simplicité, cette rusticité, qu'apparaît toute la beauté de la pratique. Préparer du thé, c'est effectivement ne faire que ça, mais c'est essayer de le faire tellement bien, avec la bonne théière, les bons ustensiles, la bonne eau, les bonnes feuilles, les bons gestes, la bonne température que ça peut devenir un art de vivre (ça peut, ça n'est pas une obligation). Préparer le thé, c'est aussi créer amoureusement, autour de soi et autour de ses éventuels invités, une bulle de bien-être, d'amitié et d'écoute sans jugement. Voilà comment je vois la chose en ce moment.

J'ai une certaine tendance naturelle à développer au fil des années certaines obsessions qui avalent une grande part de ma concentration. Ce sont mes lubies, mes monomanies du moment, qui sont souvent espacées à l'intérieur de grandes périodes de vide durant lesquelles il ne se passe pas grand-chose. Ma dernière grande lubie en date était la philosophie et la vie de Ludwig Wittgenstein. Une preuve ? Tapez « Wittgenstein » dans le champ de recherche de ce blog et vous serez redirigé vers 84 articles qui en parle. Plus récemment, il y a eu l'aquariophilie, même si je n'ai jamais acheté le moindre aquarium. J'ai eu beaucoup de sujets privilégiés depuis que je suis adolescent : l'univers de Dune, le groupe R.E.M. ou encore la vie, l'œuvre et l'apport épistémologique du chanteur français Carlos... Ces lubies ne durent jamais assez longtemps pour que je puisse être considéré comme un spécialiste, mais elles me permettent néanmoins de ne pas rester à la surface des choses. Quoi qu'il en soit, la lubie « cuvée 2017 », celle qui accapare presque toutes mes pensées en ce moment, c'est le thé.

Le thé participe à une évolution personnelle que je voudrais plus globale, une nouvelle hygiène de vie que j'essaye de développer progressivement en ce moment : ne plus boire d'alcool, maigrir, refaire du sport et surtout essayer de créer quelque chose de personnel. En ce qui concerne ce dernier point, il est navrant de constater que je n'ai plus du tout alimenté mon blog depuis mes vacances en Écosse de juillet 2016. C'est d'autant plus navrant que la majorité de ce que j'ai écrit à cette époque s'avère clairement insipide et sans couleur. J'aimerais faire quelque chose de mieux, mais je ne sais pas encore quoi. J'ai plusieurs idées en tête, quelques projets possibles qui me demanderaient facilement un an de travail. En attendant, je vais parler de thé sur ce blog. Ce sera toujours mieux que rien et, rétrospectivement, cela donnera une vue d'ensemble sur cette période de ma vie.

(Affaire à suivre...)

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