Le vent dans les combles

Cinq heures 20 est peut-être une bonne heure pour aller se coucher, mais ce n'est certainement pas une bonne heure pour se lever. Quand j'entre dans le salon, ma mère est toujours en train de dormir dans son fauteuil (elle ne dort apparemment plus jamais dans sa chambre). J'ai vingt minutes pour faire passer le café et pour me préparer. C'est le cadeau de Noël de la SNCB : un tout nouveau plan de transport qui m'oblige à partir plus tôt de chez moi et à revenir plus tard du travail. Désormais, les trains font des arrêts plus fréquents et roulent moins vite. Dans de nombreuses gares, des « tampons » ont été mis en place : si le train est en retard, le tampon l'absorbe ; si le train est à l'heure, il s'arrête quelques minutes. Certains horaires ont complètement changé ; certaines correspondances aussi : j'attends moins en gare, mais en cas de retard de mon premier train (malgré les tampons), je rate le second à coup sûr. — Est-ce une expérience néolibérale ? Nous habitue-t-on à la médiocrité du transport public pour nous présenter dans quelques années sa privatisation complète comme la seule alternative viable ?

« Deux jours avant de me quitter, elle m'a offert l'intégrale de la première saison de Derrick. Je me suis toujours demandé s'il y avait une symbolique cachée. Elle m'aurait offert l'intégrale de Tatort, j'aurais tout de suite compris. Tatort, "T'as tort !", ha-ha !
— Mais aimais-tu vraiment Derrick ? C'est toute la question.
— Eh bien... C'est compliqué. Ce n'est pas que j'aimais, mais je regardais quand même. C'est difficile à expliquer : je pense que j'ai poussé la plaisanterie sur Derrick tellement loin que j'ai fini par en être la victime et à regarder vraiment. »
Cette série était tellement mauvaise, tellement plate, tellement lente. Elle refusait toute forme de mise en scène dynamique ; elle montrait la réalité ouest-allemande des années septante dans tout ce qu'elle pouvait avoir de morne, avec ses vieux téléphones ridicules qui n'arrêtent pas de sonner et ses bâtiments gris sans âme. Ça ne pouvait pas être fortuit, il devait forcément y avoir quelque chose de caché. Peut-être même toute cette série n'était-elle qu'une énorme blague, ou bien alors un acte artistique très fort, hyperréaliste ? J'y ai cru, oh oui, j'y ai cru !
« Et elle savait que c'était de l'humour poussé très loin ?
— Oh, oui, oui, elle me connaissait bien. C'était Maïté, quand même, elle avait l'habitude. J'ai aussi eu ma grande période "Dragon Ball Z" à vingt-trois ans, qui est arrivée un peu de la même manière : j'ai regardé et je me suis pris au jeu.
— Alors, il n'y a sans doute pas de symbolique cachée. Elle voulait seulement continuer la blague en t'offrant ce coffret ! »
(Mais oui, justement ! Et donc on en revient au début de la discussion...)

« Je lave rarement mon mug au bureau. J'aime bien remettre du café sur le vieux fond noir et sec de la veille. Je tiens ça d'un collègue à mon ancien boulot. Lui, il ne lavait jamais sa tasse. Cela devait bien faire vingt ans qu'il ne l'avait plus lavée ! Il disait que ça donnait un autre goût au café. » C'est vrai que j'exagère un peu avec cette histoire, mais pourquoi donc ma mère entre-t-elle dans une telle colère ? « C'est un gros dégoûtant, c'est tout ! » Quand bien même il n'aurait pas lavé sa tasse depuis vingt ans, en quoi est-ce son problème, à elle ? — Réponse (pour ce que j'en devine) : ce qui l'énerve, c'est que je trouve ce comportement intéressant, que je donne l'impression de le cautionner, alors qu'elle le trouve vraiment complètement stupide. (Mais c'est pourtant vrai que le café a une autre saveur quand il est servi dans une tasse que l'on ne lave pas tous les jours.)

Gaëlle entend des bruits inquiétants dans la chambre au-dessus de la sienne et n'arrive pas à s'endormir. Il s'agit simplement du chauffe-eau qui se met en marche et d'un vent puissant qui s'engouffre dans les combles. Je lui dis quelque chose comme : « Sois tranquille, reste tranquille, mon enfant : c'est le vent qui murmure dans le vieux toit. » Je lui explique que lorsque j'avais son âge, une chouette avait pris l'habitude de marcher dans le grenier au-dessus de ma chambre et que ses bruits de pas me faisaient peur, car ils ressemblaient à ceux d'un être humain. Il faut que je me retienne pour ne pas lui raconter la suite : « En fait, j'ai compris bien plus tard qu'il ne s'agissait pas d'une chouette. C'est ce que mes parents m'ont fait croire pour ne pas que j'aie peur la nuit. Eux savaient qu'il y avait autre chose, là-bas, dans le grenier ; qu'il y avait vraiment un être inconnu qui marchait toutes les nuits au-dessus de ma chambre. Du jour au lendemain, le bruit s'est arrêté et n'est plus jamais revenu... jusqu'à aujourd'hui ? » — J'ai envie de dormir cette nuit, je garde donc cette histoire pour moi.

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