"Ça va à la Maison du Peuple ?"

Ce matin, au boulot, je reçois un coup de fil de Lewis, vingt jours après son dernier coup de téléphone. Je décroche. Je comptais le joindre un de ces jours, tout en remettant constamment la chose à plus tard. Lewis a une petite voix triste.

– Lewis, bonjour ! Comment ça va ?
– Pas très bien, j'ai eu quelques ennuis de santé mais je ne téléphone pas pour cette raison.
– Oh.
– J'ai vu Mary dernièrement. La discussion est toujours aussi intéressante avec elle. Mais elle m'a dit que tu ne comptais peut-être pas recommencer le badminton. Est-ce vrai ?
– Oui, bah, je ne le sais pas moi-même. Peut-être. Disons que ça m'énerve quand on me demande si je vais recommencer, alors je réponds souvent que je ne recommencerai pas du tout
– Tu as rencontré quelqu'un, c'est ça ? Tu as trouvé une jolie jeune femme ?
– Non, non, je passe juste mon temps libre autrement, pour le moment.
– Tu sais, tu fais ce que tu veux, Hamilton. Ce serait ridicule de recommencer quelque chose si tu n'as pas l'envie de le faire, mais tu dois savoir que tu seras toujours chez toi au club. Toujours. Sache-le.
* * *
Le midi, dans la sandwicherie en face de mon boulot (dans la banlieue de Liège), une des vendeuses m'apostrophe :

– Ça va à la Maison du Peuple ?
– Pardon ?
– À la Maison du Peuple, à Saint-Gilles. 
– Euh...
(Pendant un bref instant, une pensée traverse mon esprit : "Lit-elle mon blog ?". Puis : "M'enfin, mais non !")
– J'y étais avec des amis bruxellois la semaine dernière. Vous étiez à une table, mais vous ne m'avez pas vue.
– Ha ! Haha, oui ! Ha, ben disons que je passe beaucoup de soirées là-bas pour le moment.
– Vous habitez Bruxelles ?
– Yep...
(Elle écarquille les yeux) Et vous venez travailler ici tous les jours ?
– Yup, ça va faire six ans...
– C'est loin.
– Hé ouaip !
– Tout ça pour travailler dans une administration communale ?
– Ben en fait, je ne travaille pas à l'administration. L'endroit où je travaille se situe dans les locaux de la Commune, mais c'est tout. Pour faire simple, mais vraiment très simple, je travaille dans un institut d'histoire contemporaine.
– Et vous faites quoi ?

S'il y a bien quelque chose que je ne sais pas faire dans la vie, même si je me suis vachement amélioré à ce niveau, c'est expliquer en quoi consiste mon travail. Il y a cinq ans, je me présentais simplement comme "archiviste" et quand on me demandait en quoi ça consistait, je répondais : "En fait, je trie et je fais des inventaires de vieux documents". Sans doute ma présentation aurait-elle eu beaucoup plus de gueule si je m'étais présenté de cette manière : "Je suis record manager ; mon domaine d'activité, c'est la préservation du passé pour envisager le futur en toute quiétude, yeah !". Hors de question que je dise ça un jour, même pour rire. 

En ce qui concerne la jeune dame de la sandwicherie, j'ai trouvé un moyen d'éluder sa question. Je lui ai donné l'adresse de notre site Web : "Vous verrez, c'est très chouette !".

* * * 


Je m'installe au Verschueren en attendant Walter, qui doit arriver d'un moment à l'autre. Ils ont de l'Orval, dans ce café : rien à voir avec l'autre "bidule" d'à côté, toujours en rupture parce qu'un certain Evenvel, Hamilton de son prénom, vide leur stock aussi vite qu'ils ne le remplissent... Mais quand Walter débarque, il veut absolument que nous allions à... la Maison du Peuple (argh !) parce qu'ils y servent de la Chimay Blanche au fût. Pour une fois que je voulais changer d'atmosphère, hé bien c'est raté !

Incroyable : quand nous débarquons à la Maison du Peuple, Emily y est déjà, ultra-concentrée sur son PC portable. Elle ne m'avait même pas dit qu'elle s'y rendait ce soir. La raison : elle y est pour travailler, oui-Monsieur-c'est-ça-être-cadre, à tel point que Walter et moi la laissons pour nous installer à une autre table pas loin. De temps en temps, je regarde dans sa direction pour m'assurer qu'elle n'a pas disparu sous ses papiers. Pour notre deuxième tournée, je prends quand même la peine de lui apporter un cappuccino, faut pas déconner non plus !

Walter est très content. Il a "une bonne nouvelle" à m'annoncer : il a sans doute trouvé un boulot de stagiaire dans une ONG du nom d'Acted (Agence d'aide à la coopération technique et au développement). Il parle désormais de partir au Congo ou au Tadjikistan (comme Annabelle ?) pendant six mois dès décembre ou janvier prochain pour travailler au sein du département "Finance" d'une cellule d'aide humanitaire. Ce gars m'étonnera toujours.

Une des grandes questions de Walter en dehors de la coopération au développement est la suivante : "Est-ce que les hommes d'église se touchent parfois ? Tu crois que Monseigneur Léonard, il se masturbe de temps en temps ?". Autre question de Walter, corollaire de la première : 

Est-il physiologiquement possible pour un homme de passer une vie entière sans se masturber ?
Je suppose que oui...
(Pensé très fort : ... bien que je n'ai nullement envie d'expérimenter la chose juste pour la prouver.)
– Mais à un moment, il y a un "trop plein" et ils doivent quand même bien finir par éjaculer !
– Mais ils ne sont pas obligés de se masturber pour ce faire. Ils peuvent éjaculer dans leur sommeil, de manière fortuite... 
– Ce n'est pas bon du tout, ça.  
(Walter a l'air très préoccupé par la santé des hommes d'église.)
– J'en sais rien...
– Si, si. Il faut régulièrement se vider, sinon ça peut créer des problèmes.
– Je suppose qu'après un certain temps d'abstinence, leur production de sperme diminue, non ?
Pas sûr... Et puis, les spermatozoïdes pourrissent à l'intérieur, après un petit temps.
Mais non !
Si, c'est comme ça !
(À un moment, j'ai envie de me lever et de crier : "Y a-t-il un sexologue dans la salle ?" mais je me retiens – de crier, j'entends bien.)

Emily nous rejoint plus tard dans la soirée. Elle a terminé son travail. Elle est en petite forme. Elle transforme des sous-bocks de la marque Omer en de minuscules bouts de papier (un point commun avec Léandra !) et tente de réaliser tant bien que mal un Pac-Man que j'essaie de démolir à chaque fois. On s'amuse comme on peut... Je me dis que les serveurs doivent râler parfois, à ramasser nos enfantillages à la fin de leur service... Peut-être nous ont-ils même donné un surnom, comme "la table des petits nerveux qui déchirent tout" ?

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