Le Centre sous la pluie

Le ciel est gris lorsque je descends du train, en gare de La Louvière-Sud. Zapata a loué une voiture pour la journée et doit passer me chercher d'un instant à l'autre. Il est le joyeux organisateur d'une excursion d'un jour dans la région du Centre... Un événement plus que réussi malgré le mauvais temps puisqu'il réunira treize personnes réparties au sein de trois véhicules : Zapata, Amy, Tom, Ophely, leur bébé Sophia, Ophely II, Bastien, Pietro, Ismerie, Sandro & Sandra (un couple d'Espagnols que je ne connaissais pas) et moi.

Il est avant tout question de montrer à ce groupe un des fleurons du patrimoine industriel de la région du Centre reconverti en Écomusée, à savoir le charbonnage et la cité du Bois-du-Luc, dans la périphérie de La Louvière. Le site vient d'être inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco. Il s'agit d'un exemple unique et extrêmement bien conservé d'habitat ouvrier qui fonctionnait en autarcie sous la direction d'un patron paternaliste. À Bois-du-Luc, les gueules noires et leurs familles n'avaient nul besoin de sortir de leur environnement clos, car ils avaient absolument tout ou presque à portée de la main : leur (petit) logement, une épicerie, une salle des fêtes, une école, un hôpital, un hospice, une église, etc.

J'ai travaillé plus d'un an et demi comme guide dans cet écomusée et, se disent mes amis, je vais pouvoir leur faire une visite personnalisée de l'ancien site charbonnier. Ils se trompent et c'est tant mieux ! Car nous sommes accueillis par mon ancien collègue Alan, qui se fera un plaisir de nous guider à travers l'ancien charbonnage, en compagnie de Florentin, son fils de huit ans, qui connaît la visite par cœur (le pauvre). Alan est le meilleur des guides. Il exerce ce métier depuis tellement d'années qu'il connaît tout sur le bout des doigts : la législation sociale, l'histoire de la société charbonnière (qui s'étale sur plus de trois siècles) ainsi que des milliers d'anecdotes...

Alan nous explique que la visite ne durera qu'un peu plus d'une heure, car « une partie du parcours a été réquisitionnée pour une exposition réalisée par la ville ». Je ris intérieurement : une visite de seulement une heure avec Alan, c'est impossible ! De fait, deux heures plus tard, nous sommes toujours en sa compagnie à l'intérieur du puits d'extraction : « Cette partie de la visite ne durera qu'un petit quart d'heure », nous lance-t-il à nouveau. Tu parles ! (Comment diantre fait-il pour parler aussi longtemps devant la lampisterie ?) À plusieurs moments de la visite, il lâche au groupe : « Mais Hamilton vous expliquera sans doute tout cela mieux que moi ! » ou bien : « Hamilton, tu confirmes ? », alors qu'il est vachement plus calé que je ne le serai jamais. (C'est son côté humble à l'excès.)

« Dis donc, Hamil, il a l'air de bien t'aimer, ton ancien collègue... » (Bastien)
« Les visites sont toujours aussi bien ou c'est parce que t'es là ? » (Ophely)
« "Hamilton, tu confirmes ?" Haha ! » (Bastien)

Je serre chaleureusement la main d'Alan en guise d'au revoir. Je lui donne un bon pourboire — « Pour ton professionnalisme ! », lui dis-je — qu'il refuse plusieurs fois (évidemment), avant de le donner à son fils vu mon obstination. Sur le chemin du parking, je croise mes anciens collègues Giuseppe, qui a l'air très content de me voir (« La fifille va bien ? », « T'es séparé, c'est ça ? T'as retrouvé quelqu'un ? »), et Fatima (« Alors ? Ça va bien ? T'es revenu parce qu'on a eu la reconnaissance Unesco ? Haha ! »). Quoiqu'on en dise et malgré les anciennes petites tensions, le courant passe toujours aussi bien avec elle, je trouve...

Il est presque deux heures de l'après-midi lorsque je rejoins les douze autres au kiosque à musique pour le pique-nique. Ils ont emmené de quoi très bien manger : Sandro a préparé une délicieuse tortilla ; il y a de la baguette à volonté, de l'houmous, de la charcuterie, du fromage ; et pour le dessert, Bastien a même apporté des petits chocolats et de la compote. Pendant le repas, je reçois un coup de téléphone de Fred Jr : « Il paraît que t'es à Bois-du-Luc ? Je voulais y aller cet après-midi, j'ai téléphoné à Giuseppe et il m'a dit que tu venais de passer ! » (Les nouvelles vont vite dans cette région.)

Le pique-nique terminé, direction la brasserie Saint-Feuillien au Roeulx. Alan nous a gardé trop longtemps et il n'est hélas plus possible d'en faire la visite. Nous décidons donc d'aller nous poser dans un café du village. Oui, mais lequel ? Tous les bars sont curieusement fermés. Après avoir tourné un quart d'heure, nous finissons par trouver, à deux pas de la brasserie, un petit bistrot de quartier, avec ses éternels jeux d'argent et ses quatre ou cinq habitués.

« Hamilton, tu confirmes ? »


L'excursion dans la région du Centre se termine par la visite des ascenseurs à bateaux. Nous faisons tout d'abord un crochet par le nouvel ascenseur de Strépy-Thieu — le plus grand ascenseur à bateaux du Monde s'il vous plaît, avec ses 73,15 mètres de dénivelé ! — qui permet de relier le bassin de la Meuse à celui de l'Escaut en une seule fois.

« Hamilton, tu confirmes ? »

Nous sortons de la voiture éclairés par un timide soleil.
Nous observons le transfert de deux bateaux sous la pluie drue.
Nous revenons à la voiture éclairés par un timide soleil.
(Impression d'être à la page 54 des Sept boules de Cristal.) 

Après ce passage par Strépy-Thieu-le-léviathan, nous rendons visite aux quatre anciens ascenseurs à bateaux. Ces derniers, construits entre 1888 et 1917, ont exactement la même fonction que le nouvel ascenseur (à savoir relier les deux bassins fluviaux), tout en s'avérant évidemment beaucoup moins performants. Ils sont néanmoins beaucoup plus jolis et pittoresques que leur homologue moderne. Alors que ce dernier ressemble à un bâtiment LEGO très (trop) propret, entouré d'arbustes ridicules plantés avec une linéarité consternante, les vieux ascenseurs donnent ce sentiment de château fort abandonné recouvert de végétation. (C'est d'un romantique !)

« Hamilton, tu confirmes ? »

De retour à la gare de La Louvière-Sud, j'observe à nouveau la pluie remplir mon champ de vision. Il pleut tellement que les personnes sur le quai se montrent très réticentes à monter dans le train. Le contrôleur descend du wagon et crie à la cantonade : « Il pleut beaucoup pour un mois de novembre, hein ? » — Un classique qui fait toujours sourire !

« Hamilton, tu confirmes ? »

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