Haine féroce

En congé aujourd'hui et particulièrement solitaire, voire seul : je veux dire par là que je ressens la solitude comme un poids, chose assez rare pour être notée. Je continue de lire Nietzsche, notamment les aphorismes du chapitre VIII de Humain, trop humain consacrés à l'État (je fais une pause dans Zarathoustra car je pense sincèrement être beaucoup trop faible en ce moment pour digérer les quatre livres d'un seul coup). Je suis toujours aussi ému par la haine féroce que N. y déploie envers le socialisme et l'éducation des masses.

Au paragraphe 462, dans un aphorisme qui m'a particulièrement choqué, il décrit son « utopie » : une société dans laquelle les corvées les plus ingrates seraient distribuées par gradation, proportionnellement à l'intelligence des travailleurs : les tâches pénibles y seraient dévolues aux plus stupides, car c'est eux qui en souffriraient le moins, tandis que les plus raffinés, « même dans l'allégement le plus grand de la vie », souffriraient encore. (Brave New World un demi-siècle plus tôt.)

N. méprise l'instruction publique (§467, notamment), qui ne sera jamais assez élitiste à ses yeux ; il se méfie également des professeurs : à tout le moins considère-t-il que ces derniers doivent être réduits au plus strict minimum, car ils constituent des intermédiaires superflus entre le savoir et celui qui désire savoir. — Je le rejoins sur ce point : passé un certain cap (celui de l'apprentissage de base), est-il encore nécessaire d'apprendre via un tiers, d'avoir des professeurs ? La connaissance est à portée de main et j'ai rarement besoin d'un intermédiaire entre le savoir et moi. Mais il s'agit d'un rapport purement personnel qu'il ne me viendrait pas à l'esprit de projeter sur l'ensemble d'une population (je sais que certaines personnes ne peuvent apprendre seules, qu'elles doivent être accompagnées).

Quand N. compare le socialisme au « frère cadet du despotisme presque défunt dont il veut recueillir l'héritage » (§473) ou bien encore, dans Opinions et Sentences mêlées, tour à tour à une « maladie », à une « gale » et à une « peste » (§304), je suis confronté à un sérieux problème : d'un côté, je trouve certains des griefs de N. sensés, surtout ceux qui ont trait à la critique des partis constitués ou des sermons d'égalité venant de la classe dirigeante ; d'un autre côté, ce qu'il raconte entre en conflit avec une partie non négligeable de mon éducation.

Ce dilemme personnel me rappelle Wittgenstein qui, au début de la Première Guerre mondiale, s'était procuré le huitième volume des œuvres de Nietzsche et avait été « fortement frappé par son animosité envers le christianisme » (Carnets secrets, 8 décembre 1914) : « Car il y a aussi quelque chose de vrai dans ses écrits. Il est clair que le christianisme est la seule voie certaine vers le bonheur. Mais qu'advient-il dans l'hypothèse où l'on refuse ce type de bonheur ? Ne vaudrait-il pas mieux périr dans le malheur, en s'opposant désespérément au monde extérieur ? (...) » — Dans cette phrase, il suffit assez curieusement de remplacer « christianisme » par « socialisme » pour retomber sur mon propre questionnement. Et évidemment, directement, se pose cette question : la propagande socialiste n'est-elle qu'un succédané de religion ? 
J'esquisse ici trop de choses sans jamais les développer ; il faudrait que j'y revienne bien plus patiemment... Une autre fois car, à l'heure où j'écris ce texte, je suis très en retard dans les mises à jour, et malade de surcroît ! [Texte écrit difficilement le 17 et le 18 décembre 2012, avec parfois un peu de nausée et surtout de nombreuses grosses poches sous les yeux.]

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