"Nona" (2)

Samedi 5 décembre 2009

— Papa ?
— Yup ?
— Pourquoi est-ce que la lune, parfois, elle change ?
— Elle change ?
— Oui, elle change. Pourquoi est-ce que parfois on la voit comme un cercle, et parfois pas ?
— Ha oui... Les phases de la lune. C'est à cause de sa révolution autour de la Terre... Euh... Le soleil ne l'éclaire pas toujours de la même façon. Parfois, la lune est pleine, parfois c'est un croissant, parfois on ne la voit pas du tout...
— Et là, elle est quoi ?
Gaëlle me tendit un de ses dessins.
— Ben là, sur ton dessin, elle est presque pleine, mais pas vraiment. En fait, c'est ce qu'on appelle une lune gibbeuse.
— "Gibbeuse". Je ne connaissais pas le mot. Nona non plus.
Gaëlle reprit son dessin de mes mains, attrapa le rouleau de papier collant qui traînait sur sa petite table et s'en alla coller la feuille à l'un des murs de sa chambre.
Le dessin représentait un paysage de nuit. La lune était bien présente en haut à droite de la feuille : Gaëlle avait maladroitement dessiné un cercle, dont elle avait noirci avec application un mince croissant. Traversant le dessin, ce qui ressemblait à une route, avec en son centre des traits discontinus. Sur la route, un long camion vaguement esquissé mais reconnaissable. Dans le camion, un visage souriant ; devant le camion, un chat au regard triste. En arrière-plan enfin, des géants aux gueules béantes.
— Il représente quoi, ce dessin, ma chérie ?
— Ben c'est Isidore, tiens ! Nona dit qu'il faut qu'il meure.
— Ha ?
— Oui. Il doit mourir. Mais Nona dit que j'ai le choix de la mort. C'est pour ça que j'ai dessiné un camion : parce que j'ai décidé qu'il sera écrasé par un camion.
— Un camion...
— Oui, un camion. T'es bête ou quoi ? Tu sais ce que c'est, un camion, quand même ? Mais je ne sais pas où. Nona m'a dit que je devais dessiner des mangeurs de pierres.
— Des mangeurs de pierres... D'accord.
— Tu sais s'il y a des mangeurs de pierres près de la maison de Nanou et Gégé, papa ?
— Euh...

Le lendemain, pour la première fois, je voyais les petites ombres qui voltigeaient autour de ma fille.
Le lendemain, ma petite cousine arrivait en pleurs au dîner familial. Son chat venait de se faire écrabouiller par un camion.
Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas.
Longtemps, je me suis levé de bonne heure.
Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours !
Oh et puis merde !

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