Jeunesse sarkozyste

« Moi, je viens de Thionville. Là-bas, toute la population est de droite. »
« Je veux travailler de 8 heures à 22 heures tous les jours ! »
« Si on est aussi avancés technologiquement aujourd'hui, c'est parce qu'on a beaucoup travaillé. »
« Je veux gagner beaucoup d'argent, je veux devenir trader ! »
« Si dans vingt ans j'ai un cancer du poumon parce que je fume, je ne veux pas que les autres paient pour moi. »
« Soit tu as bien travaillé toute ta vie, tu as du fric et tu t'en sors ; soit t'es un fainéant, et tant pis pour toi si tu tombes malade. C'est comme ça ! »
« À part quelques personnes hauts placées dans le gouvernement de Vichy, personne en France n'a collaboré durant la Seconde Guerre mondiale. »

Voilà ce à quoi j'ai eu droit ce soir à la pendaison de crémaillère de Walter : un jeune de 19 ans qui vient de rater sa première année à l'École Solvay et qui a tenu le crachoir pendant trois heures en nous déclamant sa vision du monde. Dans son monde, rien d'autre qu'un ensemble d'individus en concurrence, qui tirent leur plan dans la vie. Que le meilleur gagne et puis tant pis si « les éléments boiteux » de la société, « les oisifs », « les fainéants » restent sur le bord du chemin. Les Bourses s'effondrent alors faisons du fric tant que c'est encore possible ! D’abord la thune, bébé, et le reste suivra, et le reste viendra : c’est ce qu’on dit je crois en cette époque là bénie des globophages.

Au départ, je suis indifférent, je ne l'écoute pas, je parle avec d'autres personnes. Plus tard, je suis usé d'être indifférent et je m'énerve. Je lui dis, texto, que c'est « un connard et que je préférerais ne plus avoir à être en contact avec des connards pareils » (je suis un peu énervé, sur le moment, hum...). Mieux vaut être franc que mielleux. Il ne s'en formalise pas de toute façon. Emily sera, elle aussi, assez énervée par son comportement. Léandra et Frédéric essayeront quant à eux une autre approche : le discours didactique paternaliste (ou « maternaliste » dans le cas de Léandra).

J'ai en tête Le Droit à la paresse de Lafargue et l'Éloge de l'oisiveté de Russell. Quel contraste ! Je n'en parle pas. Pour finir, je passerai une partie de mon temps dans la cuisine à faire la vaisselle avec Emily, pour me calmer, pour m'éloigner le plus possible de ce type et de ses idées. L'éloignement ne durera qu'un temps car il faudra absolument qu'il me rejoigne un moment pour continuer à me causer (« Dans chaque soirée », me lance-t-il, « il faut toujours qu'il y en ait un qui soit en opposition complète avec moi. C'est marrant ! ») Plus tard, Walter me dira : « Il est jeune, il va changer au contact de la vie ».

* * *

Petit retour en arrière. Aujourd'hui donc, Walter nous invite dans son nouvel appartement pour une pendaison de crémaillère miniature. Sept personnes sont invitées : les quatre « habituels » (Emily, Léandra, Andrew et moi) et, outre le jeune gars en question, Frédéric, un grand pote de Walter, sympa, un peu professoral (déformation professionnelle), qui a étudié l'histoire moderne à l'ULB. Frédéric a le même grand rire que Walter (un rire du genre : « Mouhahahaha ! », la tête dirigée vers le plafond). En fait, c'est plutôt l'inverse... C'est Walter qui a le même rire que Frédéric. Tout ce petit monde arrivera vers 20 heures. Moi, je serai là plus tôt car je suis un des cuistots attitrés de la soirée.

Explications : vu que Walter cuisine très mal, selon ses propres dires, je lui ai proposé de m'occuper du plat principal. Walter vient me chercher en voiture vers 16 heures. On embarque quelques casseroles et trois chaises puis direction le Delhaize près de chez lui. Au programme : des carbonnades flamandes à l'Orval (pour changer de ma recette à base de Chimay bleue), accompagnées d'une purée et d'une salade. Pendant ce temps, de leur côté, Andrew s'occupe avec Léandra des zakouskis-apéritifs (des tartines grillées au Herve, des crevettes grises à la sauce chantilly et des verrines de jambon aux petits pois) et Emily prépare un tiramisu aux framboises.

Walter vit dans un petit studio. L'entrée de son appartement consiste en une porte blindée ultra-sécurisée. Grâce à cela, depuis lors, Walter a beaucoup moins de TOC de vérification (je le comprends). Rien n'est prêt quand j'arrive chez lui. Je me mets donc directement à cuisiner, pendant que Walter s'occupe de plein de tâches annexes (ranger son appartement, accueillir ses parents, monter son canapé, passer au nettoyage à sec, aller chercher Emily et les autres...).

Les autres arrivent. On mange bien. Les pommes de terre de ma purée ne sont pas assez cuites. Un peu avant minuit, Léandra s'en va, suivie de Frédéric. On reste encore une grosse heure à quatre. Quand Emily décide à son tour de rentrer (à pied), on décide de l'accompagner. Andrew voudra absolument « prendre un raccourci » à travers le campus de la Plaine. Sur le trajet, je marche dans une flaque d'eau, nous croisons des étudiants qui sortent de soirée, ainsi qu'une dizaine de lapins (!), après lesquels (les lapins, pas les étudiants) je cours comme un dératé, sans raison apparente, si ce n'est le trop-plein d'alcool dans le sang.

Emily nous laisse au Cimetière d'Ixelles (elle se lève assez tôt demain car elle doit absolument aller voir son match de rugby, de préférence dans un café, pour l'ambiance). Andrew et moi continuons pendant une heure la soirée à la Bécasse, autour d'une Rochefort 8 (m'enfin !) et de deux Orval. À ce moment, je suis un peu saoul, donc je ne me rappelle plus vraiment des discussions. Le retour se fait en taxi, forcément : il doit être environ quatre heures du matin quand je rentre chez moi.

Laisser un commentaire