Ene bwagne pou ene aveûle

La citation du jour
« Èle a lèyî tchér s'bwagne pou ene aveûle. »

                                                       Bobonne
J'espère ne pas avoir fait trop de fautes d'orthographe dans l'expression wallonne lancée par ma grand-mère (86 ans au compteur cette année). Car autant je comprends plus ou moins ce dialecte (du moins celui de l'Entre-Sambre-et-Meuse), autant sa retranscription, avec ses multiples accents diacritiques et ses apostrophes, est une autre paire de manches... 

La traduction française donne ceci : "Elle a laissé tomber son borgne pour un aveugle". J'ai par ailleurs trouvé sur le Web une variante de cette expression, usant d'un wallon légèrement différent mais néanmoins tout aussi compréhensible : "Kangî s'boign chivå contt inn aveul", c'est-à-dire : "Changer son cheval borgne contre un aveugle". Pas trop difficile de comprendre le sens de l'expression : ça se dit d'une personne qui laisse tomber quelque chose (ou quelqu'un) d'imparfait pour quelque chose (ou quelqu'un) d'encore plus imparfait ; qui pratique une sorte de troc désavantageux. Ma grand-mère faisait référence à une situation en particulier (dans son histoire, c'est moi le borgne), mais je suis certain que l'on peut trouver une multitude d'applications différentes à ce joyeux proverbe.

Le wallon, c'est chouette : c'est un langage truffé d'expressions terre-à-terre dans ce genre-là. La langue wallonne utilise beaucoup de termes imagés pour dire de simples constats sur la vie. Ma grand-mère ne parle presque plus wallon aujourd'hui, mais elle a néanmoins gardé un certain côté pragmatique qui est peut-être lié en partie à l'apprentissage de ce dialecte durant son enfance — un langage enferme-t-il celui qui l'apprend dans une façon de voir, de penser les choses ? Toujours est-il que si je veux une réponse simple (ce terme n'est absolument pas péjoratif) à une question que je me pose (souvent trop compliquée), j'aurai plutôt tendance à demander à ma grand-mère, qui n'est nullement un puits de sagesse comme le voudrait un stéréotype sur les "Anciens", mais une source de pragmatisme, ce qui est bien mieux, pour tout dire.

* * *

Pour endormir ma fille, ce soir, je n'ai pas trop d'idées, d'autant plus que Gaëlle me perturbe en s'agitant dans tous les sens au milieu de sa chambre. Aujourd'hui, elle est très loin de l'image de la petite fille emmitouflée dans ses couvertures écoutant sagement l'histoire de son papa. Elle est même à l'opposé de cela : Gaëlle saute, court partout et, quand je lui demande si elle écoute, elle me répond : "Mais oui, j'écoute !" et me ressort texto les deux dernières phrases que j'ai dites. Oui, elle écoute, mais ça m'énerve quand même.

Gaëlle ne veut pas dormir et pleurniche pour que je raconte d'autres histoires, encore des histoires, toujours des histoires. Pour finir en beauté, je teste le concept de micro-histoires en rafale. Une micro-histoire, c'est une histoire très résumée, récitée rapidement et racontée en moins d'une minute. Par exemple, Hansel et Gretel devient : "C'est l'histoire de deux enfants qui se perdent dans la forêt, tombent sur une maison faite de bonbons, y rencontrent une méchante sorcière qui veut les manger, mais ils arrivent à la tuer et à s'enfuir." Point. Moby Dick : "C'est l'histoire d'un capitaine pas content qui pourchasse un cachalot et qui en perd la raison." Point. Etc. C'est ridicule mais ça la fait rire et, curieusement, ça la calme (le nombre d'histoires racontées est donc apparemment plus important que leur durée respective).

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