« Votre verre est vide... »

Cet après-midi, Charlotte, Lodewijk et moi sommes invités au congrès durant lequel notre « publication de l'année » doit être distribuée. « À l'intérieur de vos badges », explique le secrétaire général aux quelque deux cents congressistes présents, « vous trouverez un bon. En échange de ce bon, à la sortie, vous recevrez votre cadeau : un livre sur l'histoire de notre syndicat. Au départ, il ne devait faire qu'une centaine de pages, mais tout compte fait il en totalise 350. » — Oh, mais c'est qu'avec un peu plus de temps, il aurait facilement pu en faire le double !

Je savais comment se déroulait un congrès syndical (mon père m'en a souvent parlé) mais je n'en avais jamais observé un de l'intérieur. C'est donc vrai que l'approbation d'une décision se fait en applaudissant (bien qu'en cas de litige, un carton de vote à main levée soit prévu) et que la réunion se termine par l'Internationale. — Ah là là, je me sens toujours aussi peu à ma place quand il s'agit de me lever et de chanter un hymne, quel qu'il soit. D'ailleurs, je ne chante pas et ne lève pas le poing. C'est complètement au-dessus de mes forces... C'est lié à une très vieille peur de tout ce qui noie l'individu dans le collectif, de tout ce qui brise l'analyse au profit de l'émotion. D'un autre côté, je serais extrêmement critique vis-à-vis d'un syndicat qui renierait ses racines ouvrières et socialistes. Alors quoi ? Alors rien... Je conçois parfaitement l'aspect fédérateur de ce chant, mais il n'est pas fait pour moi.

Après le congrès, un « walking dinner » est prévu : mousseux et zakouskis, puis vin et plats. Les serveurs font de nombreux allers-retours, comme dans les mariages. Très mauvaise idée. « Votre verre est vide... Je vous le remplis, Monsieur ? » Je pense « Non, merci » mais je réponds « Oui, volontiers ». Ensuite un serveur débarrasse la table haute à laquelle nous sommes accoudés. « Ouf ! », me dis-je, mais un autre serveur revient à la charge : « Oh ! Vous n'avez plus de verre, Monsieur. Je vous en ramène un ? » « Non » en pensée, mais ma bouche prononce à nouveau un « Oui, volontiers ». Et merde ! Boire ou ne pas boire ? Charlotte semble être dans le même dilemme.

Nous faisons connaissance avec trois déléguées qui partagent la même table que nous. Elles sont très franches, elles tutoient d'office. Elles me font penser à mon papa. (Je me dis que la part de franchise qui me reste après toutes ces années de polissage est directement héritée de mon syndicaliste de père.) 

L'une d'elle, retraitée depuis peu, commente : « Le syndicalisme d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celui d'il y a trente ans ! Il est devenu beaucoup plus mou ! » L'autre, plus jeune, n'est pas d'accord : « Oh, ce n'est pas forcément vrai ! », et c'est parti pour une discussion sur le thème « Avant c'était mieux/Non absolument pas »... La plus âgée conclut par : « Le congrès a duré deux heures et ça fait trois heures que nous sommes à ce "walking dinner". Je trouve que ça en dit long sur l'évolution du syndicalisme ! » « Mais ça permet de rencontrer d'autres délégués, d'échanger nos vues, de discuter ! », répond l'autre. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elles ne sont pas d'accord.

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