Montagne de caddies !

Interviews historiques. — Interview du matin... Il prend le livre qu'il a posé à côté de lui et nous montre la dédicace que le grand leader syndical (voir le texte de ce lundi), aujourd'hui décédé, a écrite à son intention sur l'envers de la couverture. L'interview étant enregistrée, Lodewijk lit le petit texte manuscrit à voix haute. La lecture terminée, le monsieur commence une phrase : « Vous voyez... Voilà... Voilà ce que... », puis sa voix devient tremblante et ses yeux humides... Plus aucun mot ne sort de sa bouche... Il s'excuse, sort un mouchoir, s'essuie le visage, se mouche, demande un verre d'eau : « Excusez-moi, c'est... C'est l'émotion... Je n'arrive toujours pas à me faire à l'idée qu'il est mort. »
L'après-midi, nous continuons l'interview de la syndicaliste déjà rencontrée la semaine dernière. Elle nous explique sa façon de mener une occupation dans un grand magasin : « Le gérant aurait voulu récupérer les denrées périssables, mais moi je ne voulais pas, évidemment, car s'il récupérait cette marchandise, nous perdions un poids énorme dans les négociations. » Alors, afin d'empêcher les gendarmes et les manutentionnaires de pénétrer dans le magasin, elle et son « armée de caissières » ont installé une montagne de caddies, sur laquelle elle est montée pour s'y enchaîner ! — Cette dame, c'est le Prométhée du monde syndical !
Plus tard, en fin d'interview, elle nous parle des femmes : « Rien n'a changé. Il y a encore beaucoup de boulot pour la génération qui débarque. Beaucoup de femmes sont, aujourd'hui encore, enfermées dans le mythe du prince charmant : elles croient qu'un homme va venir résoudre tous les problèmes qu'elles rencontrent dans la vie. Tant qu'elles croient à cette bêtise, elles ne peuvent être ni libres, ni indépendantes. »
Désastre informatique. — Je décide d'attendre Fred Jr et Zapata au Starbucks de la gare Centrale. Je commande un Caffè Latte Vanilla hors de prix, que ces couillons ont la très mauvaise idée de remplir à ras bord... Lorsque je pose ma tasse sur la petite table et que j'ouvre le petit ordinateur que Léandra m'a prêté depuis des lustres, je me dis qu'il faut surtout que je fasse gaffe de ne pas renverser de lait bouillant sur la machine. Résultat : deux secondes plus tard, j'arrive je ne sais comment à renverser pas mal de liquide sur la majeure partie du clavier. Je peste et les deux jeunes clientes à ma droite me regardent comme si j'étais une sorte de geek maladroit (ce que je suis sans doute, tout bien réfléchi).
En essuyant le clavier du mieux que je peux avec des serviettes en papier, je sais, pour en avoir déjà fait l'expérience, que c'est de toute façon définitivement foutu : la boisson va bousiller une bonne partie de la matrice du clavier et peut-être même toucher la carte mère, s'incruster dans la batterie, etc. J'ai en tête un vieux truc expliqué par mon père : « Dans une usine, si tu veux saboter le matériel informatique, tu renverses du café sur les claviers... » — Donc voilà : je me retrouve désormais avec un ordinateur au clavier inutilisable (du moins pour l'instant), qui inscrit des lettres à l'écran sans que je ne lui demande quoi que ce soit et qui pousse de déchirants petits « bip bip »... (Je vais sans doute devoir te racheter un PC, l'amie !)
Mais comment tu fais pour continuer à écrire ton blog alors ? — Il se fait que j'ai plus d'un tour dans mon sac pour faire fonctionner les ordinateurs récalcitrants. (Tant qu'un ordinateur n'est pas entièrement mort, il y a toujours moyen de le réanimer d'une façon ou d'une autre...)
Feuerbach, Hegel et Marx sont sur un bateau... — Fred Jr et Zapata arrivent vers 19 heures dans la grand hall des pas perdus. Nous allons manger à la Fleur en Papier doré. Fred et moi prenons un grand spaghetti à la bolognaise ; Zapata, redevenu végétarien depuis le 2 mai, un stoemp. Une des discussions de la soirée tourne autour des enfants et de la paternité. Fred : « Deux enfants, c'est amplement suffisant ! Il ne m'en faudrait pas un troisième, oh que non ! » Moi : « Au départ, je ne voulais pas d'enfant. Un, c'est bien, mais c'est vraiment l'extrême limite. » Pour moi, il y a dans la question de la paternité (et de la maternité) quelque chose en rapport avec la privation presque totale de liberté. Aujourd'hui, je ne vois plus ma fille que certains week-ends et je n'ai curieusement pas l'impression d'avoir regagné une éventuelle liberté perdue. — Mais la raison de cet état de fait se trouve autre part.
Nous passons le reste de la soirée à nous promener —  Mont des Arts, Grand-Place, Manneken-Pis, place de la Vieille Halle aux Blés — et finissons par revenir à la gare Centrale, où nous raccompagnons Fred jusqu'à son train. Zapata : « Tu fais quoi maintenant ? » « Sais pas... On peut aller reprendre un verre... Mais un seul verre, hein, parce que je tombe de fatigue ! » Comment croire un seul instant que nous allions nous arrêter au premier verre ? À la Porte Noire, nous en recommandons donc un second (une Bush pour lui, une Jambe-de-Bois pour moi), puis un troisième, puis un quatrième... La différence de pourcentage d'alcool (12% pour la Bush, 8% pour la Jambe-de-Bois) explique sans doute pourquoi Zapata est un peu complètement bourré à la sortie du café, vers 2h30 du matin, alors que je suis simplement en forme. Le taximan qui me ramènera chez moi (que Zapata a arrêté pour moi entre deux hoquets, presque au péril de sa vie) me lâchera d'ailleurs : « Eh bien ! Il vaut mieux être dans votre état que dans le sien ! »
Actuellement, Zapata lit un ouvrage d'économie politique écrit par un anarchiste : « En fait, c'est censé être un traité d'économie, mais le mec ne fait que causer philosophie... » Zapata semble emballé par sa lecture : il cite Feuerbach, Hegel, Marx... et même Schopenhauer (en tant que pourfendeur de la dialectique hégélienne). Je suis un peu largué par ce qu'il raconte : j'adore la philosophie, mais j'ai beaucoup de mal avec la dialectique. Pourtant, Zapata me répètera à plusieurs reprises : « C'est toujours très sympa de discuter philo avec toi ! » — Comme quoi...

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