« Donc, si je comprends bien, Papa, tu vas être "roi du vote" ? »
(Gaëlle, vendredi 16 mai 2014.)
Deus ex machina. — Hier soir, désespéré à l'idée de ne pas trouver un secrétaire pour le bureau de vote dont j'ai la responsabilité, je retéléphone à l'assesseure récalcitrante que je n'avais pas réussi à convaincre jeudi dernier. Je tombe sur un répondeur. Je me dis qu'elle a prévu le coup, évidemment : elle a coupé son téléphone pour être certaine que je ne puisse plus la joindre (peut-être est-ce de la paranoïa de ma part ? — Mais non !). Je raccroche sans laisser de message. À peine une minute plus tard, le téléphone sonne. Un homme à l'appareil : « Bonsoir Monsieur, je suis le compagnon de la femme à qui vous avez laissé un message dans la boîte aux lettres aujourd'hui. » Ha ? La seconde assesseure possible sur ma liste ? « Elle n'est pas disponible demain », continue-t-il, « mais j'avais convenu avec la commune que je la remplacerais en cas de besoin. Je remplirai donc cette tâche de secrétaire de bureau de vote avec plaisir ! Je suis parfait bilingue. » Ce monsieur me sauve la vie en m'enlevant une horrible aigreur de l'estomac, raison pour laquelle je lui dis : « Vous me sauvez la vie ! » Il me répond : « Vous sauver la vie ? N'exagérons pas. Il ne s'agit que d'une élection. » (Cette personne au sens civique très développé a été du plus grand des secours durant toute la journée de dimanche, à tel point que je considère avoir une véritable dette envers lui désormais.)
Ce qui n'a pas été et n'ira jamais. — Catapultez-moi président de quoi que ce soit, d'accord, oui, pourquoi pas ? Mais ne comptez pas trop sur moi pour la paperasse, car je suis incapable de gérer la paperasse. Je suis incapable de remplir les formulaires ACF/11bis en trois exemplaires, d'être procédurier, de faire de l'administration courante, de compléter un document de manière soignée ! Quand j'écris que j'en suis incapable, c'est que j'en suis vraiment incapable : ce n'est pas une simple question d'être plus consciencieux ou plus appliqué que d'habitude, non, c'est plus profond : je suis incapable d'effectuer des tâches administratives, répétitives et systématiques. Je perds réellement mes moyens lorsque je suis confronté à ce genre de tâches. — Ayant depuis longtemps conscience de mes propres limites en la matière, j'avais plusieurs jours avant l'élection préparé un classeur (!) contenant chaque document et formulaire dans des pochettes en plastique (!!) séparées par des intercalaires (!!!). Mais le jour même, dans le feu de l'action électorale, le classement a volé en éclats, métaphoriquement du moins ! Note pour la prochaine fois : déléguer l'ensemble de cette partie administrative ennuyante à une personne ordonnée qui aime la chose (un secrétaire de direction, un comptable, un juriste, etc.).
Ce qui a été et ira toujours. — Si vous me donnez pour rôle de coordonner une équipe ou de faire en sorte que tout se passe bien dans un lieu dont je suis le responsable en dernier ressort (c'est-à-dire s'il n'y a personne d'autre pour être le responsable à ma place), je m'acquitterai de la fonction avec probité et honnêteté, et ce même si je ne suis pas naturellement porté à le faire. Comme je le savais déjà, la gestion de mon équipe s'est bien déroulée, de même que celle des électeurs de mon bureau de vote. J'ai toujours été très fort pour paraître extrêmement doux et sympathique, pour prendre des décisions pragmatiques très rapidement et aussi pour donner aux gens le sentiment que leur avis était pris en compte dans chaque décision, même minime. J'aime l'idée de commander sans jamais commander, de donner des ordres sans jamais en donner (j'ai peut-être appris cela à treize ans en lisant Dune). Dans une société saine, quelqu'un qui a une fonction de direction ne devrait jamais donner d'ordres : tout devrait aller de soi, logiquement... et aussi être réversible : est un piètre dirigeant celui qui ne remet jamais en doute ses décisions et qui n'admet pas ses propres erreurs ou faiblesses. Un coordinateur qui donne des ordres stricts — qui n'entend pas ce qu'ont à dire ceux qu'il coordonne — est un faible. (Ce constat n'est valable que si l'on a sous la main une équipe compétente et efficace à qui l'on accorde un minimum de confiance et d'autonomie. Dans le cas contraire, c'est une catastrophe : on ne peut rien faire de grand avec des lourdauds.)
« Tu parles comme si tu avais sous tes ordres une armée de cent mille hommes !
— C'est la même chose ! »
Jalousie. — « Donc, si je comprends bien, moi, son mari, je ne peux pas aller dans l'isoloir avec elle alors que vous, un inconnu, vous le pouvez ? », me demande-t-il, railleur. Avant cet incident, j'étais presque enclin à penser que ça n'existait pas, alors que ça existe vraiment : un homme qui ne veut pas que j'accompagne sa femme dans l'isoloir pour l'aider à voter. J'ai facilement réglé le problème en me faisant remplacer par une assesseure. Celle-ci fera plus tard la remarque suivante : « Moi, je dis qu'un homme qui se comporte comme ça, c'est un homme qui a un grave problème de confiance en lui. » (Note pour la prochaine fois : toujours avoir au moins une femme dans son équipe, au cas où...)
Trois pouces et demi — Non, ce n'est pas une blague : il s'agit des dimensions des quatre disquettes (!) destinées non seulement à mettre en route les ordinateurs servant au vote électronique, mais aussi à récupérer les informations de l'urne une fois que celle-ci est clôturée. Des années que je n'en avais plus utilisée une. Le vote électronique en Belgique, c'est vintage !
La démocratie incomprise. — J'ai dû assister de nombreuses personnes qui ne comprenaient rien au vote, soit pour des raisons techniques, soit pour des raisons politiques, soit les deux. J'ai pu aider facilement toutes celles qui avaient des problèmes d'ordre technique, mais je n'ai pas pu être d'une grande aide pour celles qui avaient des problèmes d'ordre politique : « Je suis seulement là pour vous assister, je suis tenu à la neutralité absolue ! », ai-je dû répéter à de nombreuses reprises. Les électeurs concernés ne savaient alors pas trop quoi faire, surtout ceux qui me demandaient pour qui ils devaient voter. Certains ne voyaient pas sur la liste des candidats le nom qu'ils avaient en tête et étaient perdus ; d'autres ne savaient même pas ce qu'était un parti et ce qu'il représentait. — Arrivé à ce stade d'incompréhension, le vote est à mon sens une belle mascarade : il n'y a aucun sens à faire voter quelqu'un qui n'a pas l'éducation nécessaire pour comprendre pourquoi/pour qui il vote. (C'est donc avant tout, en amont, une question d'éducation : la démocratie n'a de sens que si tout le monde est éduqué jusqu'à un certain point, et encore ! Donc la démocratie n'a pas vraiment de sens pour le moment. Donc... [Autre débat.])
Du café pour patienter. — Présents en soirée dans la salle du conseil de la commune, après la clôture des bureaux de vote : près d'une centaine de présidents. Certains sont assis, d'autres sont debout ou déambulent dans la salle : un capharnaüm et beaucoup de brouhaha... Au fond de la salle, assise sur un grand siège au centre d'un long bureau, la juge de paix est entourée de ses conseillers. Ils appellent les présidents un à un, dans le désordre : « BUREAU 74 ! », « BUREAU 41 ! ». Quand arrive le tour du « BUREAU 1 ! », tout le monde se met à applaudir et à rigoler, sans raison. Je crois que nous sommes tous un peu fatigués. Dans le coin opposé de la salle, du café ! Mon dieu, du café ! Je me rappelle les mots de notre formateur, le 17 mai dernier : « Nous vérifions ce que vous avez fait de la journée, vous savez. Après l'élection, vous devez venir à la commune avec tous les documents. Cela prendra un certain temps, mais il y aura du café ! » Ce monsieur n'a qu'une parole !
« Monsieur Evenvel veut bien rempiler ! » — Devant Madame la juge de paix et son adjoint (qui n'est autre que le formateur mentionné ci-dessus), je déclare, tout content : « Être président, c'était vraiment une expérience intéressante. Je suis partant pour la recommencer si vous avez besoin de moi aux prochaines élections... » L'adjoint s'exclame : « Ha ! Ça, il faut le noter quelque part ! Avez-vous entendu ce qu'il vient de dire ? Avez-vous un post-it ? Monsieur Evenvel veut bien rempiler ! Il faut le noter, il faut le noter ! » — Est-ce... si rare que ça ? — Toujours est-il que Je suis déchargé de mes fonctions et que je peux enfin quitter la salle. Il est 21 heures 30. Cela fait plus de quatorze heures que je cours dans tous les sens. Je rejoins Léandra au Parvis de Saint-Gilles aux alentours de vingt-deux heures. Il fait presque délicieux dehors. Mon amie va chercher à boire : pour moi, un demi-litre de pils bien fraîche. Mon esprit est vide, je suis heureux. J'ai en tête les paroles de la chanson « Lost On Yer Merry Way » de Grandaddy, qui traduisent merveilleusement bien mon humeur du moment :
« All that I'm asking tonight
Is that I make it back home alive.
No explosions, no crashes, no fights:
I want to get back home
Back home
Back home
Back home tonight. »