Pour ou contre l'étalage de culture-confiture ?

J'ai décidé de passer à l'anniversaire de Charles-Henri samedi prochain, tout compte fait. Je me suis dit que ça ne servait à rien de faire l'anxieux social de service. (Je change tout le temps d'avis, c'est ennuyant.)

Avant-dernier épisode de The Shield dans le train : cette série vire à la tragédie... L'ancienne équipe d'amis se tire dans les pattes. L'antihéros égoïste de service joue un triple (voire un quadruple) jeu pour se tirer d'affaire et les deux seuls détectives honnêtes de la série tentent de l'arrêter... Superbe fin en préparation.

Au boulot, je travaille à l'inventaire d'un fonds d'archives charbonnières et m'occupe actuellement d'une série organique en rapport avec la sécurité et l'hygiène dans les mines. Je ne peux m'empêcher de compulser de manière légèrement morbide un dossier contenant un descriptif détaillé des accidents graves survenus dans les mines liégeoises en 1962 : un plombier complètement désarticulé tombé d'un « cuffat » (sorte de tonneau servant d'ascenseur pour les mineurs ou le charbon) ; un ouvrier qui se coupe deux tendons en coupant du bois avec une hache ; le bras gauche d'un machiniste arraché net par le mécanisme de sa locomotive ; un pied malencontreusement accroché à une berline, le corps trimbalé sur une vingtaine de mètres ; et le meilleur pour finir : un pauvre type écrabouillé entre deux wagons et souffrant d'une déchirure à la fois du rectum et de l'urètre, mort huit jours plus tard. Beurk.

Au badminton, je joue en double, pas trop mal, mais je m'en fous. À la buvette du club, Lewis est en pleine conversation avec Gwendoline (une dame bien comme il faut, qui a la cinquantaine bien entamée, que Lewis apprécie — c'est le moins qu'on puisse dire). Moment fort, quand Lewis explique « ce qu'il convient de faire » quand il mentionne un événement dont il a déjà parlé : « il faut m'arrêter si je me répète, sauf dans un cas... » Et en regardant la Gwendoline en question droit dans les yeux : « ... sauf si je dis "je t'aime". Là, je peux le dire autant que je veux ». Du coup, il le répète plusieurs fois : « Je t'aime, je t'aime !... ». Gwendoline a l'air enchantée. (Je note la situation pour mon prochain article.) Et moi, et moi, je tiens la chandelle.

Ensuite, Mary arrive et je me sens moins seul. La discussion bifurque sur l'histoire de l'art. Lewis dirige la conversation, ou a en tout cas l'impression de la diriger. Il parle du David de Michel-Ange (encore et toujours) et du fait qu'il a pleuré quand il l'a vu la première fois. Je comprends totalement (j'ai été moi aussi estomaqué la première fois — la seule fois d'ailleurs — que je me suis retrouvé devant cette sculpture) et je lui dis que c'est le très étonnant syndrome de Stendhal : être pétrifié, voire tomber dans les pommes devant tant de richesse artistique... Il me dit que c'est « n'importe quoi » (alors qu'on en avait déjà parlé et qu'il était d'accord). Déjà, ça m'énerve. Puis il sort un truc gros comme une pastèque (voire un concombre) : « C'est difficile d'avoir des sensations devant le David depuis qu'il est protégé par une vitre pare-balles. » Forcément, je lui réponds : « Ce n'est pas le David qui est protégé, c'est la Pietà à Saint-Pierre », depuis (je cite ce que je lui ai dit, texto) qu'un « géologue polonais l'a abîmé avec un marteau en 1973 ». Bon, je me suis un peu trompé : l'agresseur était en fait Australien d'origine hongroise et c'était en 1972. N'empêche, Lewis a parié 500 euros que le David était protégé par une vitre pare-balles. Je suis sûr et certain d'avoir vu cet énorme gaillard en marbre, à la Galleria dell'Accademia à Florence, sans vitre pare-balles, mais peut-être la situation a-t-elle changé  depuis ma visite ? (Vérification sur Internet : bah non.) Peu importe : jamais je ne lui donnerai 500 euros, et jamais il ne me les donnera non plus. Par après, il veut faire le malin et parle de la seconde Pietà qui « comme tout le monde le sait... » Que je complète par « ... est à Bruges, oui, tout le monde le sait ». Cet étalement de culture à deux (vitres pare-)balles m'énerve. C'est seulement du déballage de connaissance stérile, sans discussion à la clé. Dernière question de Lewis : « Quelle œuvre vous correspond le plus ? ». Tout le monde essaie de répondre à sa question mais il parle déjà d'autre chose. Mary a le temps de sortir un truc du genre : « Moi dans le miroir ».

Plus tard, verre au Corto avec Emily, Mary, le chimiste et Walter. On arrive tous en même temps. Encore une fois, on a presque tous envie d'être en congé. Je dis à Emily que j'irai à l'anniversaire de Charles-Henri tout compte fait et elle me dit que ça lui fera vraiment plaisir de me voir, ce dont je doute un petit peu. Je caresse la tête de la « belle-chienne » (c'est-à-dire la chienne du compagnon) de la serveuse. L'animal, comme c'est souvent le cas avec les chiens, me présente son dos/son cul pour que je le caresse. Du coup, je sors une phrase mémorable (mais néanmoins vraie, je pense) : « quand un chien ou une chienne présente son cul à la caresse, c'est pour signifier qu'il ou elle a confiance ». Ma phrase fait rire tout le monde.

De retour chez moi, message de Charles-Henri, qui me dit grosso modo la même chose que ce que m'a dit Emily tout à l'heure. Je vais essayer de moins me prendre la tête, de vivre, etc. Je vais aussi essayer d'aller dormir et d'arrêter d'écrire dans ce putain de journal aujourd'hui.

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